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Mohamed Ramadan, inquiétante icône de la jeunesse égyptienne

Publié le 14 juillet 2016 par Gonzo

MohRamadanDans la série « en arabe dans le texte », je vous propose cette semaine la traduction d’un article publié le 11 juillet par Amina Khairy dans le quotidien Al-Hayat. Il évoque le succès impressionnant que rencontre auprès de la jeunesse égyptienne et arabe le comédien Mohamed Ramadan (محمد رمضان), spécialisé dans les rôle de truand (même pas au grand cœur !) On avait évoqué ce comédien à l’occasion d’un précédent billet consacré à 3abdo MoOta (عبده موته), un des films qui ont fait sa réputation et qui sont généralement programmés au moment de la « grande fête », celle du Sacrifice (Adha). La nouveauté télévisuelle de ce dernier ramadan (en plus des émissions de caméra cachée présentées la semaine dernière), ce sera donc d’avoir offert une tribune, durant une période en principe aussi « sainte » que familiale, à ce type d’acteur.

La légende, modèle de la jeunesse des bidonvilles, tandis que les élites pleurent les temps révolus de Rouchdi Abaza.

Quelque part, loin des projecteurs, ignorés par la recherche et oubliés du public, il y a des millions de jeunes qui ne rêvent pas d’émigrer vers l’Ouest pour vivre le rêve américain, ou vers l’Est à la recherche d’un emploi dans les pays du Golfe, ni même vers l’Italie sur une de ces barques qui errent en pleine mer sur le mode « marche ou crève ! »

Là-bas, il y a des jeunes qui n’ont d’autre rêve que de travailler avec un tok-tok [triporteur] vrombissant , de s’acheter une moto de récupération pour impressionner les filles du quartier ou d’avoir en poche 100 guinées [une centaine d’euros] pour acheter un peu de marchandise et ouvrir un petit commerce sur un bout de trottoir, quitte à le défendre à coups de couteau.

Toujours là-bas, il y a des jeunes à qui on a dit quand ils étaient petits qu’un vrai mec, c’est celui qui n’a pas peur de parler fort, qui tombe la chemise au premier signe de bagarre et qui menace, sérieusement ou non, de descendre quiconque s’en prend à lui.

Là-bas, ce n’est pas si loin, et ce n’est pas un endroit précis non plus. Là-bas, ce sont tous ces endroits, dans d’innombrables quartiers, presque des villes parfois, où l’habitat informel s’est développé, et avec lui l’anarchie. De nouvelles générations y ont vu le jour, avec des rêves et des idéaux aussi pauvres et violents que l’environnement dans lequel elles vivent.

En ce moment, le modèle qui enthousiasme la jeunesse de ces endroits-là, c’est La légende, qui a quitté les écrans télé des feuilletons de ramadan pour se prolonger dans la rue. C’est aussi Mohamed Ramadan, celui-là même qu’une partie de l’élite appelle « la nouvelle plaie d’Égypte » tandis que les plus âgés se souviennent avec nostalgie de Rochi Abaza, le beau jeune homme bien élevé de ces temps révolus où l’on ne parlait pas de l’horrible vulgarité des bidonvilles.

Toutefois, ce que l’élite et les habitants des quartiers plus ou moins aisés trouvent vulgaire, avilissant, laid, c’est, pour une bonne partie de la jeunesse, ailleurs, « celui qu’on rêve d’être ».

La légende, le feuilleton qui a pour vedette le très controversé Mohamed Ramadan, occupe toutes les discussions des jeunes dans les quartiers populaires et les bidonvilles. Ils ne parlent pas seulement de l’histoire, de la dégaine de l’acteur, ou encore de ses victoires sur ses ennemis dans un style qui emprunte à Bollywood, Hollywood et au cinéma populaire égyptien, mais aussi de sa virilité, le terme le plus souvent employé par ces jeunes lorsqu’ils évoquent les prouesses du héros imaginaire incarné par Ramadan ; un mélange d’assurance, de force, de capacité à résoudre sans l’aide de personne n’importe quel problème qui surgit dans le quartier, d’élégance également – du moins selon les critères en vigueur dans ces milieux –, notamment grâce à la taille particulière de sa barbe… Une véritable légende, au sens social, psychologique et économique du terme.

C’est bien La légende qui s’affiche sur le plateau du tok-tok bondissant dans une petite rue populaire de Chobra. C’est ce modèle que revendique fièrement le jeune chauffeur d’à peine dix-neuf ans, en arborant une barbe taillée avec soin, comme un dessin ou un tatouage, sur le modèle de celle qu’on voit dans La légende et que tous les jeunes gens des quartiers populaires réclament désormais à leur coiffeur.

Rien d’extraordinaire ni même de choquant si les jeunes copient la barbe de Mohamed Ramadan ou imitent sa façon de s’habiller ou de parler ! Depuis la moustache de Clark Gable jusqu’au pull-over de ‘Amr Diab en passant par la barbe de Souleiman dans le feuilleton Le harem et le sultan, c’est souvent que les stars fascinent leurs fans au point de les inciter à reprendre leurs tics, leur façon de marcher, de s’habiller, de bouger, etc.

Seulement, Mohamed Ramadan propose une définition de la virilité assez effrayante. Il ne s’agit plus de courage ou d’esprit chevaleresque, de prendre la défense des plus faibles contre les plus forts, ou encore de se servir de sa force contre l’injustice et l’oppression, mais de s’en prendre à la loi, d’user de la force pour son propre profit, de se vanter de son habileté à manier un couteau. Quant aux femmes, elles se situent quelque part entre ce qu’il faut obtenir tout en le cachant aux yeux de tous…

Devenu célèbre en jouant des rôles de truands et autres hors-la-loi fiers de leur mode de vie, Mohamed Ramadan a pu être utilisé avec succès dans des campagnes de lutte contre la drogue auprès d’un public qui appartient aux classes les plus défavorisées dans l’échelle sociale, celles qui sont privées d’enseignement et qui vivent dans les conditions les plus difficiles. En même temps, quand bien même elle est utilisée à des fins morales, c’est cette image de violence, celle des rôles de voyou qu’il interprète, qui, en définitive, s’impose dans les esprits.

Quand ils copient Mohamed Ramadan et sa façon de tailler sa barbe, les chauffeurs de tok-tok qui se battent comme des chiens dans leur vie de tous les jours prennent aussi comme modèle sa façon, dans les films qu’il interprète, de s’imposer en faisant peur aux autres en réglant les problèmes tantôt à coups de poing, tantôt à coups de couteau…

La jeunesse des quartiers pauvres ne rêve plus d’émigrer à l’ouest ou à l’est. Ses rêves ont fondu pour se réduire à la seule possession d’un tok-tok ou d’un étalage posé à la sauvette sur un trottoir. Apprendre ne fait plus partie de ses priorité non plus, persuadée qu’elle est que cela ne sert à rien, qu’elle soit ou non encore à l’école. Ses besoins, ses vrais problèmes, tout cela n’a plus guère d’importance depuis que la situation économique est devenu tellement mauvaise à la suite des tempêtes du Printemps arabe qui ont tout compliqué, faisant disparaître les rêves de réforme et d’amélioration. Lorsqu’on critique devant lui son idole, l’icône de La légende, en disant qu’il ne fait que jeter le discrédit sur toute une génération en lui donnant le goût de se comporter comme la racaille, un de ces jeunes s’écrit : « Les gens sont nuls : même imiter un type comme Ramadan, ils nous le reprochent ! Avoir envie de ressembler à un mec comme Mohamed Ramadan, pour eux c’est déjà mal ! »

Un gouffre sépare ces mondes, celui où La légende est un modèle, un rêve, et celui où il pervertit la jeunesse en cultivant chez elle un goût avilissant pour la racaille. Une situation sans issue, quoi qu’en pensent les élites, face à l’expansion, dans les esprits et dans la vie réelle, des « modèles » tirés de La légende.

Mohamed Ramadan, inquiétante icône de la jeunesse égyptienneEn prime en cliquant ici (mais en arabe dans le texte et sans ma traduction !), trouvé sur Internet, 3abdo MoOta (عبده موته), sorti en octobre 2012.


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