C’est l’été mais ce ne sont pas les vacances pour tout le monde : dès septembre, les activités de tous reprendront. À la télé, les nouvelles grilles de programmes seront présentées et devront tenir compte de l’actualité chargée de 2017 : avec l’élection présidentielle, il va falloir aménager les programmes. Et pour certaines chaînes, il s’agira surtout, avant tout, de bien conscientiser les foules.
Oh, il y aura du spectacle, avec de la bousculade à gauche, de la bousculade à droite, des velléités de candidats pour les Verts et l’extrême-gauche, et surtout avec la forte probabilité d’un score solide pour la candidate du Front National. Les primaires des Républicains et celles de ce qui reste du Parti Socialiste (ou de la Belle Arnaque Populaire) ne sont pas encore passées qu’on sait déjà qu’il y aura du sport sur les ailes extrêmes.
Si certaines rédactions télévisées se frottent les mains en imaginant tous les scénarios possibles (même les plus terribles avec Hollande réélu) et les audiences afférentes, d’autres ont choisi, presqu’ouvertement, de prendre parti, et pas celui d’en rire. C’est le cas de France 3 dont une indiscrétion du Figaro Télé nous apprend qu’elle s’est lancée dans la production d’une fiction sur la montée du Front National dans le Nord.
La nouvelle est courte, et paraphraser les trois petites phrases donne à peu près ceci : la chaîne publique en partenariat avec Cinétévé prépare un téléfilm sur la montée du Front National dans le Nord de la France. Afin probablement d’éviter d’éveiller un peu trop les soupçons de biais partisan, le téléfilm promet d’être une fiction et sera accompagné d’un débat qui pourrait être animé par la journaliste Carole Gaessler. Pour le moment, le tournage et le casting n’ont pas commencé (c’est prévu cet hiver), mais le scénario est en cours d’élaboration.
Un peu de contexte permet de mieux situer l’ambiance qui devrait se dégager du téléfilm.
En effet, Cinétévé, c’est cette société de production responsable des deux séries télé « Les Témoins » et « La vie devant elles » et qui est dirigée par Fabienne Servan-Schreiber, déjà connue tant dans le milieu de la production télévisuelle qu’ailleurs pour ses prises de positions politiques et sociales particulièrement engagées : même si on ne s’en souvient absolument pas (sa prose n’ayant rien de palpitant), la productrice et petite fille de Robert Servan-Schreiber, fondateur des Échos, avait ainsi pris la plume en 2012 dans le Huffington Post pour soutenir Hollande et demander l’abrogation de l’abominable circulaire Guéant qui avait le mauvais goût de sélectionner les étudiants étrangers non ressortissants de l’Union Européenne. Son vocal soutien à Hollande lui avait d’ailleurs permis d’obtenir gain de cause.
Bref, Fabienne est très manifestement une sachante, qui sait mieux que beaucoup ce qu’il faut dire et faire pour éviter que le peuple ne sombre dans ses travers les plus abominables, ses vices les plus sordides et (bien évidemment) ses heures les plus sombres. Fabienne est déjà conscientisée et sait faire passer une tribune dans Libération dans laquelle elle explique exactement les pièges affreux qu’il faut éviter, au nombre desquels on retrouve (bien évidemment) le vote Front National, qui provoque un choc au plus profond de son moi profond :
« Dimanche 22 avril, de nombreux Français ont été choqués de constater que la candidate du Front National faisait un score très élevé au premier tour de l’élection présidentielle. »
Et Fabienne va donc produire un téléfilm non pas documentaire, mais de fiction, sur la montée du Front National dans le Nord. Elle ne fait pas un documentaire sur les châteaux de la CGT, sur les financements des syndicats en France, sur les dérapages multiples des antifas et autres groupustules zadistes en mal de révolution armée et de fumées noires. Elle ne fera pas non plus de fiction sur le train de vie des sénateurs, sur le coiffeur de François Hollande ou sur ces élus condamnés qui siègent pourtant à l’Assemblée, parce que tout ceci est sans intérêt pour une campagne électorale qui s’annonce fort tendue.
Ne vous méprenez pas : je ne veux pas tomber ici dans le procès d’intention et peut-être cette fiction sera-t-elle à la fois bien fichue, réjouissante même, avec des dialogues ciselés, des acteurs enjoués et une mise en scène intelligente. Après tout, c’est de la production française, et on sait ce que la production française est capable de faire en mode « 24 secondes par image ». Et je ne pourrai donc, tant que cette fiction n’aura pas été diffusée, me prononcer sur son contenu.
En revanche, on devrait s’interroger sur la pertinence ou même l’éthique de produire un tel objet télévisuel dans ce contexte et sur cette chaîne.
Sur la pertinence, on doit en effet s’interroger sur le choix de ce parti pour cette fiction : tant qu’à faire une fiction, pourquoi ne pas se lancer dans un téléfilm montrant Mélenchon ou même (horresco referens) Cécile Duflot accédant à la présidence, par exemple ? En réalité, le propos semble délicat à mener, voire contre-productif pour Fabienne et son équipe, surtout compte-tenu du moment où la diffusion aura lieu : si elle vise juste, et qu’elle dépeint dans sa fiction des éléments crédibles, sans caricature ni exagération, elle pourra être soupçonnée de faire le jeu de ce parti en lui donnant une exposition médiatique toute particulière. De l’autre côté, si elle caricature grossièrement, si elle se vautre dans la tarte à la crème facile de la doxa des bien-pensants au sujet du Front National sur le mode « si Marine dit que deux et deux font quatre, alors les maths sont fascistes », alors elle donnera une démonstration éclatante que le système médiatique est bel et bien biaisé en défaveur du Front, ce qu’il a toujours clamé (à tort ou à raison). L’opération ne fera alors qu’inciter les électeurs hésitants à rejoindre les rangs des militants frontistes devant la mauvaise foi dont aura fait preuve la réalisation.
Dans les deux cas, le risque est grand que la pauvre Fabienne se tire une grosse balle dans le pied.
Et sur le plan éthique, on doit se demander s’il est bien du rôle d’une chaîne publique de diffuser telle production au seul prétexte que c’est une fiction : aussi éloignée soit-elle de la réalité, elle vise explicitement à retracer les aventures d’un parti qui, lui, n’est pas fictif, et peut donc s’apparenter à une œuvre politique engagée. En pleine période électorale, est-ce neutre ? Est-ce seulement équitable comparé à d’autres partis qui, au choix, pourraient rêver ou craindre telle exposition ? Plus à propos, est-il normal que la redevance télévisuelle aille aider à la diffusion de cette réalisation alors que les convictions des téléspectateurs balayent inévitablement tout le spectre politique et qu’on peut donc raisonnablement imaginer qu’il y en aura plus d’un qui sera choqué par un tel choix de programmation ?
Lorsque de l’argent public, pris de force aux citoyens, sert à diffuser un message politique orienté (peu importe l’orientation), comment peut-on encore éviter de parler de propagande dans ce cas ?
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