Après le soutien apporté par Bernie Sanders à Hillary Clinton mardi, la phase des primaires est désormais close. Cette étape, marquée par la victoire surprise de Donald Trump chez les républicains et par celle, plus attendue, de Hillary Clinton dans le camp démocrate, va désormais faire place à deux passages obligés au cours de l'été. Le premier sera le choix, pour chacun des candidats, de son colistier, c'est-à-dire de celui ou de celle qui occupera en cas de victoire le poste de vice-président(e). Même si ce choix n'est officiellement formalisé que lors de la Convention du parti par un vote des délégués, il est en général annoncé dans les semaines voire les jours qui la précède. La convention républicaine se tenant du 18 au 21 juillet, et celle du parti démocrate devant se dérouler entre le 25 et le 28 juillet, c'est donc dans les tout prochains jours que Donald Trump et Hillary Clinton dévoileront leurs choix respectifs.
L'évolution des sondages pour l'élection présidentielleAlors que Hillary Clinton dispose continuellement depuis l'entrée en campagne de Donald Trump d'une nette avance dans les sondages ( cf. graphique), la question de l'impact du nom des colistiers est déterminante pour le résultat de l'élection. Sur quels critères les candidats à l'élection présidentielle se basent-ils pour choisir leur colistier ? Quels sont les principaux noms évoqués par les médias américains ? Quel sera l'impact des colistiers dans les sondages ? Donald Trump peut-il en profiter pour rebondir et retourner une tendance jusqu'ici très défavorable ?
Un colistier qui doit avant tout équilibrer le " ticket "
Le choix du colistier répond traditionnellement à deux objectifs. Le premier est d'équilibrer le " ticket ", c'est-à-dire de faire en sorte que le profil du candidat à la vice-présidence soit complémentaire de celui du candidat à la présidence. L'idée sous-jacente est évidemment de faire en sorte que le ticket formé par les deux prétendants s'adresse au maximum d'Américains possibles. Les critères pris en compte sont nombreux (âge, sexe, géographie, idéologie, expérience, etc.) et ont même été modélisés par des chercheurs en sciences politiques qui sur cette base ont pu prédire le choix de Paul Ryan par Mitt Romney en 2012.
Pour Hillary Clinton, le colistier idéal serait donc un homme, issu d'une minorité ethnique, plus jeune mais bénéficiant tout de même d'une expérience significative pour devenir, le cas échéant, président. Politiquement, il devrait logiquement se situer à la droite du parti démocrate, Hillary Clinton étant elle-même positionnée assez nettement sur la gauche du parti. Pour autant, le succès de Bernie Sanders lors des primaires pourrait la pousser à sélectionner un colistier susceptible d'attirer, ou du moins de ne pas rebuter les soutiens du sénateur du Vermont.
Quant à Donald Trump, il devrait, en toute logique, sélectionner un colistier plus jeune (en cas d'élection, il serait à 70 ans le plus âgé des présidents américains au moment de l'investiture) mais disposant d'une longue expérience politique pour rassurer l' establishment sur sa capacité à diriger le pays. Afin de rassurer les républicains conservateurs rebutés par certaines de ses positions, il devrait choisir un élu issu de leurs rangs. Désigner un candidat de sexe féminin et hispanique pourrait lui permettre de toucher ces segments électoraux où le GOP est en grande difficulté, comme l'a admis le parti après le scrutin de 2012. Le caractère imprévisible du candidat républicain rend toutefois cette liste de critères moins certaine, son choix pouvant finalement s'orienter vers un candidat situé hors du champ politique (homme d'affaire, militaire, etc.) afin de renforcer son message populiste et anti-système.
Pour Hillary Clinton, le secrétaire au logement Julian Castro semble a priori avoir le profil idéal : 41 ans, hispanique, originaire du Texas... Toutefois, son expérience politique limitée (il a été 5 ans maire de San Antonio, puis a été nommé au cabinet présidentiel en 2014) semble rédhibitoire pour se présenter aux côtés d'une candidate qui sera âgée de 69 ans si elle accède à la Maison Blanche. De plus, le basculement de son État dans le camp républicain semble à ce stade difficilement envisageable, malgré des évolutions démographiques favorables. Un autre choix pourrait être celui du sénateur Martin Heinrich, âgé de 44 ans, plus expérimenté que Julian Castro (il est élu au Congrès depuis 2009) et venant d'un swing state, le Nouveau-Mexique. Hillary Clinton pourrait cependant prendre la décision de consolider ses forces plutôt que d'équilibrer le ticket, à l'image de Bill Clinton qui, en 1992, avait choisi un autre jeune élu populiste du sud, Al Gore. Si elle se range à cette stratégie, le choix de Hillary Clinton devrait se porter sur Elizabeth Warren, sénatrice du très démocrate Massachusetts, une des figures de proue de la gauche démocrate avec Bernie Sanders. Une telle décision viserait à rendre la portée d'un tel ticket totalement féminin encore plus historique et à mobiliser la base démocrate.
Julian Castro, Elizabeth Warren et Tim KaineLes possibilités de Donald Trump sont plus limitées, car les élus du parti républicain offrent moins de diversité, mais surtout car de nombreux élus offrant un profil idéal ont indiqué leur refus de figurer sur le ticket avec le milliardaire. Parmi eux, la gouverneure hispanique du Nouveau-Mexique Susana Martinez, la gouverneure d'origine indienne de Caroline du Sud Nikki Haley, ou encore les deux élus modérés de l'Ohio que sont le sénateur Rob Portman et le gouverneur John Kasich, battu lors des primaires. Les postulants restants ne cochent que quelques-unes des cases listées précédemment : le sénateur de l'Alabama Jeff Sessions pourrait rassurer l' establishment républicain grâce à sa longue expérience, mais il vient d'un des États les plus républicains du pays, manque de charisme et a été au centre de plusieurs polémiques. La gouverneure de l'Oklahoma Mary Fallin, si elle pourrait contrebalancer la dynamique en faveur de Hillary Clinton au sein de l'électorat féminin, est elle aussi très conservatrice et n'équilibrerait pas le ticket sur le plan géographique. Même constat pour le gouverneur de l'Indiana Mike Pence, élu d'un État très conservateur et dont les positions sur le mariage gay risquent d'aliéner à Donald Trump l'électorat modéré. Face à ces candidats susceptibles d'enthousiasmer la base républicaine mais pas au-delà, Donald Trump pourrait faire le choix de consolider ses forces en désignant un colistier populiste et anti- establishment. Le gouverneur du New Jersey Chris Christie pourrait répondre à ce profil, mais il souffre de son implication dans plusieurs scandales et ne pourrait probablement pas faire basculer son État dans le camp républicain. On peut aussi penser à Newt Gingrich, ancien Speaker (président) de la Chambre des Représentants (1995-1999) mais, sans compter son âge (73 ans), ses propositions parfois étonnantes pourraient ne pas donner à la campagne de Donald Trump le sérieux que son directeur, Paul Manafort, souhaite lui imprimer depuis quelques semaines.
Le second déterminant du choix du colistier : remporter un swing state
Le second objectif traditionnel auquel répond le choix du colistier est celui de remporter un swing state, et ce faisant d'aider à gagner l'élection. En sélectionnant un colistier issu d'un État stratégique, populaire et disposant d'une assise électorale bien établie, le candidat à la présidence et ses conseillers espèrent que les électeurs seront favorablement impressionnés par ce choix dont ils sont familier. En déplaçant dans son État une partie des électeurs indécis, voire du camp adversaire, le colistier pourrait alors avoir un impact décisif en cas de scrutin serré au niveau national.
Dans le camp démocrate, plusieurs colistiers potentiels de Hillary Clinton sont élus de swing states décisifs. Ainsi, le sénateur de l'Ohio Sherrod Brown pourrait permettre de conserver dans l'escarcelle démocrate cet État industriel et populeux sur lequel Donald Trump mise beaucoup. Populaire auprès de l'aile gauche du parti, ce choix permettrait de plus de convaincre les électeurs de Bernie Sanders, même si son âge (63 ans) est probablement un handicap pour Hillary Clinton, qui cherchera aussi à mobiliser les jeunes. De même, le choix du sénateur de Virginie Tim Kaine maintiendrait plus sûrement en faveur de la candidate démocrate cet État qui a récemment basculé vers la gauche. Dans son cas, c'est essentiellement un certain manque de charisme et des positions conservatrices sur plusieurs questions de société qui pourraient lui coûter le poste.
Quant à Donald Trump, aucun des colistiers potentiels évoqués récemment dans les médias ne semble susceptible de lui permettre de remporter un swing state. L'ancien sénateur du Massachusetts Scott Brown ne parviendrait certainement pas à faire basculer ce bastion démocrate, et sa candidature avortée en 2014 dans le New Hampshire voisin augure mal de sa capacité à remporter ce swing state. Le gouverneur de Floride, Rick Scott, est très impopulaire dans cet État décisif et risque donc plus de handicaper Donald Trump que de porter sa candidature. Hélas pour le milliardaire, la plupart des élus dans des swing states ont refusé de figurer sur le ticket républicain, qu'il s'agisse du sénateur Rob Portman dans l'Ohio, du gouverneur John Kasich du même État, de la sénatrice Joni Ernst de l'Iowa ou de la gouverneure Susana Martinez du Nouveau-Mexique.
Mike Pence, Newt Gingrich et Chris Christie
Un impact en réalité extrêmement limité sur l'électorat
On le voit, le choix du colistier répond à une stratégie qui doit prendre en compte une multitude de critères. Mais a t-il un réel impact sur les électeurs ? La plupart des études portant sur le sujet estiment que cet impact est faible, voire inexistant au niveau national : entre 1% et 0% des électeurs modifieraient leur choix en fonction des colistiers, là où les candidats à la présidence peuvent déplacer de 3% à 5% du corps électoral. En effet, dans un contexte politique de polarisation extrême, la proportion d'électeurs réellement indécis d'une élection à l'autre est très faible, représentant à peine 5% de l'électorat. Ces rares électeurs indécis font leur choix sur des critères tels que la situation économique du pays, le bilan du président sortant et leur opinion envers les candidats. La personnalité des candidats à la vice-présidence joue dès lors un rôle très marginal, d'autant que leur notoriété est généralement très faible au niveau national au moment de leur nomination.
Le meilleur exemple de ce faible impact des colistiers réside dans le choix de Sarah Palin par John McCain en 2008. Très handicapé par le bilan (crise économique, guerre en Irak) d'un George W. Bush à l'impopularité record et les scandales frappant son parti, distancé dans les sondages par Barack Obama, le candidat républicain avait désigné cette gouverneure de l'Alaska inconnue au niveau national dans l'espoir de susciter l'enthousiasme de sa base électorale grâce à une colistière jeune et charismatique. Si l'incompétence manifeste de Sarah Palin a conduit à l'échec de cette stratégie, il est peu probable que sa présence sur le ticket républicain ait coûté un nombre significatif de voix à John McCain. Obtenir 46% des voix dans le contexte très difficile du scrutin était assez logique pour John McCain, avec ou sans Sarah Palin à ses côtés.
On peut toutefois penser que l'impact électoral des colistiers existe bel et bien dans leur État, où ils disposent d'une réelle notoriété et, le plus souvent, d'une popularité substantielle. Les études montrent qu'un tel effet existe mais qu'il est très limité : 0,3, 2,2 voire 2,7 points gagnés selon les analyses. Cet effet ne serait significatif que dans les petits États, et quand le colistier dispose d'une longue expérience politique. Sans surprise, plus les électeurs connaissent personnellement le colistier, plus sa capacité à remporter leurs voix est grande. En analysant les résultats électoraux et les sondages, des chercheurs ont donc montré que le colistier n'a permis l'élection d'aucun président depuis 1900. L'exemple canonique du sudiste Lyndon Johnson qui aurait permis l'élection de John Kennedy en 1960 ne serait pas confirmé par ces analyses.
En revanche, la croyance bien répandue parmi le personnel politique et leurs conseillers d'un effet des colistiers dans leur Etan peut avoir des conséquences bien réelles. Persuadées que la sélection de Paul Ryan pouvait mettre son État, le Wisconsin, en jeu, l'équipe de campagne de Mitt Romney y a investi des ressources humaines, financières et logistiques très importantes. Cette implication n'a pas eu d'impact majeur : Barack Obama a gagné l'État avec 7 points d'avance. Mais si ces moyens avaient été dépensés dans des swing states, ils auraient peut-être pu faire basculer le scrutin...
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On le voit, l'impact des candidats à la vice-présidence sur les résultats des élections présidentielles est très limité. Mais alors, quelle importance accorder à ce poste longtemps resté sans pouvoir ni prestige, à tel point que l'ancien vice-président Hubert Humphrey (1964-1968) racontait l'histoire suivante à son propos : " Les deux enfants d'une vieille femme quittent le foyer familial. L'un devient marin, l'autre vice-président. La pauvre femme n'entendit plus jamais parler d'eux " ? De fait, son rôle s'est considérablement étoffé depuis la vice-présidence de Walter Mondale (1976-1980). A tel point que les trois derniers vice-présidents, Al Gore (1992-2000), Dick Cheney (2000-2008) et Joe Biden (2008-2016) ont exercé un rôle déterminant, soit en s'emparant de dossiers essentiels, soit étant le plus proche conseiller du président. Si la personnalité et les idées des deux colistiers seront à analyser de près, c'est donc plus à cause de l'influence qu'ils pourront exercer sur le successeur de Barack Obama que pour leur capacité à influer sur les dynamiques électorales.