Années 60. Province de Québec.
80% de la population est d'origine francophone. Pourtant l'économie est contrôlée par la minorité anglophone.
L'anglais est la langue de travail et de l'argent.
Les postes de direction et ceux de la fonction publique fédérale sont réservés principalement aux anglophones.
Les lois du travail favorisent le patronat, les grèves se multiplient, mais les choses ne changent pas.
Le Québec vit sa révolution tranquille. Un peu trop pour certains,
La force ouvrière québécoise reste à l'écart de la vague de prospérité qui déferle sur l'Amérique du Nord.
Pour certains Québécois, les réformes politiques ne suffisent plus à renverser les règles d'un jeu dont ils estiment être les éternels perdants. Une conviction monte en eux.
Des moyens plus radicaux doivent maintenant être envisagés.
Depuis 1960, le Rassemblement pour l'Indépendance Nationale est né. La visée séparatiste est claire dans le parti. Quand deux ans plus tard la République Française et le Gouvernement provisoire de la République algérienne, formé par le Front de Libération Nationale signent la fin de la guerre d'indépendance algérienne, un germe naît dans l'esprit de plusieurs Québécois. Le 1er juillet 1962, fête du Canada, la statue de Sir John A. MacDonald est vandalisée et on peut alors y lire "Je suis séparatiste".
En février 1963, Gabriel Hudon, Georges Shoeters & Raymond Villeneuve, qui se sont connus dans le branchement du RIN appelé RR (pour Réseau de Résistance) fondent le Front de Libération du Québec (le FLQ). Quelques semaines plus tard, un cocktail molotov traverse une vitre de la station de radio anglophone CKGM de Montréal.
Le 8 mars suivant, trois casernes militaires entre Montréal et Westmount sont incendiées par des bombes du FLQ dans la nuit.
Le 29 mars, sur les Plaines d'Abraham, la statue de Wolfe est déboulonnée, tombe, et se casse en plusieurs morceaux.
Le 1er avril suivant, trois bombes explosent à l'édifice de l'impôt fédéral et à la gare centrale situés sur une voie ferrée appartenant au CN. Le patron du CN avait soulevé l'ire de plusieurs francophones quand, un an avant, il avait dit que les postes de direction ça se méritait pour expliquer pourquoi des 17 postes de haute direction du CN au Québec, aucun n'était francophone. Mon grand-père maternel est alors soudeur pour le CN. Qu'il ne porte absolument pas dans son coeur.
En avril toujours, premier manifeste du FLQ. Le 20 avril suivant, une bombe explose dans la nuit contre le mur de la GRC à Westmount. Le lendemain, le gardien de nuit Wilfred O'Neil est tué dans l'explosion d'une bombe du FLQ au Centre de Recrutement de l'Armée Canadienne à Montréal.
En mai, ça saute partout, sans faire de victimes. On offre une récompense pour la dénonciation de membres du FLQ, 60 000$ qui iront à Jean-Jacques Lanciault qui infiltre le réseau et qui, à lui seul fait arrêter 23 Felquistes et fait démanteler un réseau au complet.
En juin, 18 autres felquistes ou soupçonnés felquistes seront arrêtés et accusés d'homicide involontaire. Hudon & Villeneuve écoperont de 12 ans de prison.
Des cellules se créent, le Front Républicain pour l'Indépendance, l'Armée de Libération du Québec sont aussi fondés. Giovanni Corbo et son grand frère Claudio habitent Ville Mont-Royal et travaillent pour le RIN,
Giovanni, hors de la cuisine familiale est francisé sous le prénom de Jean. Claudio, Claude. Ce dernier sera de l'état major de l'UQAM de 1972 à 2012, passant d'enseignant à vice-doyen, à recteur avant de redevenir enseignant, puis recteur à nouveau.
Mais en 1965, les deux frères travaillent pour le RIN. Ils appellent les familles anglophones afin de les convaincre d'un jour voter pour la RIN, devenu parti politique. Jean se laisse séduire par la revue La Cognée , publication officielle du FLQ. Sous un pseudonyme, il entre dans leurs rangs (ils entrent tous sous pseudonymes). Aussitôt, des doutes naissent sur son implication puisque que, contrairement à la plupart des adhérents, il est issu d'un milieu privilégié (son père est notaire), il est d'origine italienne et qu'il a habité une ville extrêmement bourgeoise. Mais l'engagement du jeune Jean est réel. Il n'a que 16 ans.
En juin 1965, Pierre Vallières fonde le Mouvement de Libération Populaire avec Charles Gagnon. Ils adhèrent aussi au FLQ. Naîtra alors la cellule Vallières-Gagnon. C'est à eux que se joint Jean.
Le 5 mai, un colis piégé explose dans les mains de la secrétaire de Lagrenade Shoe Factory, Thérèse Morin, la blessant mortellement. C'est la première action de la cellule Vallières-Gagnon et ça tourne mal.
17 jours plus tard une bombe explose au Dominion Textile de Drummondville ne faisant aucune victime.
Le 3 juin suivant, une autre bombe saute au Centre Paul-Sauvé où une assemblée du Parti Libéral se tient. Jean Lesage, entre autre, s'y trouve, mais il n'y a aucune victime.
Voulant prouver sa bonne foi dans le militantisme felquiste, Jean se propose pour aller porter une bombe sur le site de la Dominion Textile du quartier St-Henri. En plaçant la bombe dans un sac, il dérègle la minuterie et avance la cadran par mégarde. La bombe le fait exploser sur place.
Giovanni Corbo, 16 ans, décède aujourd'hui, il y a 50 ans.
Mathieu Denis a tourné un très beau film sur lui, sur eux, maintenant disponible en vidéo.
Tu allais Jean Corbo au rendez-vous de ton geste
tandis qu'un vent souterrain tonnait et cognait
pour des années à venir
dans les entonnoirs de l'espérance.
Qui donc démêlera la mort de l'avenir.
Écrira Gaston Miron à sa mémoire dans son poème, Le Camarade.
L'escalade anarchique felquiste se poursuivra jusqu'à la grande dégénération d'Octobre 1970.
Où James Cross sera kidnappé et Pierre Laporte, sacrifié.