(Carte blanche) à Claude Minière : "Lecture de vacances"

Par Florence Trocmé

Lecture de vacances

« La lettre d’un impérieux jambage affirme que la chose est telle » (1)

L’été est généralement la saison où l’on regarde les choses d’un autre œil.  Les « choses » : les corps, les vagues, les montagnes, les…jambages.  On les regarde dans la vacance.  C’est le moment de relire les petites conférences dans lesquelles Paul Claudel parle des lettres, des signes, de l’écriture occidentale et des caractères chinois. Je suis à nouveau étonné de son attention : est-il un écrivain français qui ait plus que lui été sensible à « l’incarnation » de la pensée et de l’émotion dans les signes, le dessin d’un mot, l’écriture progressant sur la ligne ? On sait qu’il intervint auprès d’André Gide, alors directeur de la N.R.F. (en 1913), afin qu’y soit imprimé le manuscrit de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Qu’on lise seulement « La Philosophie du Livre », « Idéogrammes occidentaux » et « Les mots ont une âme » (2) et on reconnaîtra quelle sensibilité intellectuelle et physique le poète entretenait avec le « graphisme ». Je dis « reconnaîtra » parce que cette action de l’écriture, son emportement, son « jeu », on les connaît dans les Psaumes (3) et dans plusieurs autres poèmes.
Ce que j’éprouve alors, je l’appellerai la liberté-Claudel : il passe, sa plume court, elle franchit les pudeurs, contrôles, réticences instituées, goûts bonifiés…Il s’autorise d’impérieux jambages par-dessus et par-dessous les « niveaux » de langage.  On dirait frivolement : « il pousse ».  Il vaque souverainement, pulsion et pulsations se provoquant sur le vide.
1. « La Philosophie du Livre », mai 1925.
2. Pléiade, Œuvres en prose, Gallimard, 1965. Pages 68-95.
3. Psaumes (traductions 1918-1953), Gallimard, 2008.