Bien entendu, l'illusion de l'optimisation des coûts ne sort pas de nulle part. Son origine est à rechercher dans le fonctionnement du bitcoin, première application de grande ampleur de la blockchain. Il est vrai que, depuis ses origines, la crypto-devise est systématiquement présentée comme un instrument de paiement – voire d'échange de valeur en général – particulièrement efficace et bon marché. Or, si cette perception est correcte d'aujourd'hui, elle évoluera certainement à l'avenir.
Les mécanismes économiques et technologiques sous-jacents de bitcoin sont en effet conçus de manière à assurer en permanence un équilibre entre l'offre et la demande, sur différents plans. Une conséquence de cette caractéristique est d'entraîner presque automatiquement une augmentation des coûts des transactions au fur et à mesure de la progression de la maturité et des usages de la monnaie, ou de sa blockchain. La quasi-gratuité actuelle n'a donc pas vocation à perdurer jusqu'à la fin des temps…
Mais ce n'est pas là l'erreur de jugement la plus grave qui puisse être commise. Ainsi, l'idée – largement répandue dans une multitude d'institutions financières à travers le monde entier – que la mise en œuvre d'une blockchain privée ou semi-privée (partagée entre les banques, par exemple) pourrait être une source d'économies est aussi absurde qu'impardonnable : il suffit de se souvenir que le concept technique suppose une duplication massive des traitements et du stockage pour le comprendre !
Comment peut-on croire un instant que la démultiplication des infrastructures peut être moins onéreuse qu'un système centralisé ? Même les défenseurs de bitcoin admettent que la seule consommation électrique du réseau de machines qui le sous-tend est un facteur de coûts susceptibles de poser des difficultés à terme. Et, dans les banques, le problème est singulièrement exacerbé par l'incapacité de la plupart d'entre elles à optimiser leurs coûts informatiques (matériels, logiciels et humains) de base.
Car le fond du débat est bien là et, cette fois, il concerne aussi bien les projets autour de blockchains privées que sur celle du bitcoin (ou d'Ethereum ou de toute autre crypto-devise). Dans tous les cas, les acteurs persistent à croire naïvement que l'adoption d'une nouvelle technologie va résoudre leurs problèmes budgétaires, alors que ceux-ci sont principalement dus à des modèles d'organisation et de fonctionnement opérationnel déficients qu'ils ne cherchent jamais à remettre en cause.
Continuer à privilégier les solutions propriétaires hors de prix face aux outils banalisés accessibles gratuitement ou à peu de frais, à gérer la fiabilité et la robustesse par des méthodes ancestrales plutôt que par la redondance généralisée, à multiplier les strates dans la chaîne de commandement avec leurs lourdeurs administratives et leurs coûts incompressibles… sont quelques exemples des défauts qui devront être résorbés avant d'espérer faire des économies grâce à la blockchain… ou toute autre innovation.
Surtout, arrêtons d'attendre des miracles à chaque nouveau concept émergent : le changement dans l'entreprise, quel qu'il soit, ne peut se produire qu'à condition d'y consacrer des moyens et des efforts, d'autant plus conséquents que l'ambition est élevée. Et, dans la plupart des cas, la première étape consistera à renverser les habitudes et transformer la culture interne, bien avant d'installer les derniers outils à la mode…