Je n’ai quasiment jamais parlé de ma phobie. Simplement parce que mettre des mots dessus était trop difficile. J’ai peur des papillons (je les appellerai X dans l’article pour m’éviter quelques angoisses). Pendant longtemps, je ne pouvais même pas prononcer ce mot, et encore moins raconter l’épisode qui a donné lieu à cette phobie.
J’avais environ huit ans, et je suis tombée sur une BD d’horreur où un X devenait géant et tuait un homme. Je l’ai refermée, mais mon frère, pour s’amuser à me faire peur, me la remise sous le nez peu après. C’était le début de longues années de terreur. Non seulement je ne pouvais supporter la présence d’un X sans craindre de devenir folle, mais je me réveillais aussi toutes les nuits, terrifiée à l’idée qu’un X géant soit dans ma chambre. J’avais aussi peur qu’il sorte des toilettes. Je n’exagère pas quand je parle de terreur, c’était vraiment un sentiment intense d’horreur profonde.
Vers 18 ans, j’ai commencé à pouvoir prononcer le mot X. J’étais contente, c’était un progrès, alors je disais à tout le monde que j’avais la phobie des X, pour apprivoiser un peu la peur. Je ne savais pas que les phobies et la peur font rire les gens. Certains s’amusaient à me raconter des histoires horribles avec des X, et moi je hurlais pour ne pas entendre. Un garçon m’a poursuivie avec un X mort, pour essayer de me le mettre dans le tee-shirt. J’ai couru comme je n’ai jamais couru, ma vie en dépendait, j’aurais pu le frapper à mort s’il avait fallu, pour me défendre. Je savais que si le X me touchait, je deviendrais folle. Heureusement, je n’ai pas été rattrapée.
Un psychologue m’a proposé une TCC mais je n’arrivais pas à l’envisager, ma peur était trop forte. J’ai guéri de ma phobie par la manière forte. Je travaillais depuis quelques années quand on a reçu les affiches trimestrielles du magasin, à placarder partout dans la librairie, des affiches avec d’immenses X jaunes, comme celui de la BD. J’ai hurlé sur le stagiaire qui s’avançait vers moi avec une affiche, j’ai fait n’importe quoi avec les commandes que j’étais en train d’envoyer. J’ai vite ôté l’ancienne affiche qui était sur la porte de la cuisine, pour que le stagiaire ne la remplace pas pour une nouvelle. Je ne voulais pas toucher cette affiche plusieurs fois par jour. Pendant des jours, j’ai travaillé la tête baissée, angoissée, de mauvaise humeur, au bord des larmes. Je me suis sentie rechuter pour la première fois depuis longtemps. J’étais très mal, je vérifiais derrière moi que le X géant n’y était pas, comme en Espagne, quand j’étais très malade. Même chez ma psychiatre, et elle m’a dit gentiment et doucement »il n’y a rien derrière vous », ça m’a touchée. Elle a proposé de me mettre en arrêt maladie, mais je ne voulais pas prendre trois mois d’arrêt, le temps que les affiches soient remplacée par d’autres. Et puis je me suis habituée. A force d’avoir l’horreur devant moi, c’est devenu moins horrible. Il ne m’arrivait rien. J’ai surmonté ma peur.
Aujourd’hui, j’ai toujours peur des X quand j’en vois un, j’ai toujours du mal à écrire ce mot, voilà pourquoi je me le suis évité ici. Je pense toujours au X géant chaque jour, mais sans terreur. Je vis depuis trente ans avec cette peur qui s’amenuise chaque jour, la preuve c’est que j’ai réussi à écrire ce texte. Je voudrais juste que les gens comprennent que ce n’est pas drôle, qu’il ne faut pas en rajouter devant quelqu’un qui a peur, que son équilibre psychique peut être en jeu.
Classé dans:La schizophrénie expliquée par une schizophrène