Le droit d’auteur, le droit d’image et tous ces droits connexes, voisins et en relation, c’est super-vachement important dans cette Nouvelle Économie Numérique que notre gouvernement, qui suce à la roue technologique avec application, se devait de bien encadrer législativement parlant. Et pour pouvoir bien tout remettre à plat, faire rentrer les petits articles bien droit dans les cases prévues par le législateur et correctement tronçonner les droits des uns avec les corporatismes des autres, il fallait bien une Commission Mixte Paritaire pour arbitrer le projet de loi Création, n’est-ce pas. C’est grâce à elle qu’une « nouvelle » liberté (youpi, joie, bonheur) vient d’apparaître pour les citoyens français : la liberté de panorama.
« La liberté de panorama », ce n’est pas un titre de Houellebecq calqué sur « La possibilité d’une île », mais comme l’explique Wikipedia, cette liberté laissée aux photographes (notamment amateurs) de prendre des photos de lieux, généralement touristiques, dans lesquels des monuments ou des réalisations architecturales apparaissent. En pratique, c’est une exception au droit d’auteur permettant de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public.
Jusqu’à récemment en France, cette liberté n’existait pas : en pratique, la jurisprudence française, épaisse, confuse, parfois contradictoire mais toujours complexe, permet au photographe aussi bien professionnel qu’amateur de patauger avec un bonheur douteux dans le marigot bien gluant d’exceptions, d’autorisations et d’interdictions qui s’est formé. Vous prenez en photo la Tour Eiffel ou un joli bâtiment ? Tout peut arriver.
Cette complexité a poussé le législateur, dans son immense sagesse, à mettre un peu d’ordre. En plus, ça tombait bien, il y avait ce projet de Loi Création dans le tuyau. Aussitôt dit, aussitôt fait, des discussions sont lancées, des amendements posés, des votes effectués, la loi est passée, le Sénat est saisi qui détricote bien vite ce que l’Assemblée a tricoté, et, pour mettre tout le monde d’accord, une Commission Mixte Paritaire est appelée à la rescousse pour bricoler un arrangement à mi-chemin des deux chambres (Ici, vous comprendrez que c’est un raccourci du trajet réel rocambolesque que cette « liberté de panorama » aura parcouru – je fais dans la simplification administrative, afin d’éviter des billets de 3000 mots).
Cependant, après cette randonnée sur sol rocailleux de notre projet de loi, le bilan est le suivant : le texte voté au Sénat et conservé ensuite est plus strict que celui adopté initialement par l’Assemblée nationale. En substance, ne sont plus autorisées que les reproductions d’œuvres en permanence sur la voie publique, réalisée par des personnes physiques, et seulement hors de tout caractère commercial (direct ou indirect).
Le pompon, c’est que cette restriction – à la fois pratique et normale au pays de la liberté, des droits de l’Homme et du Bac pour Tous – s’accompagne d’un mécanisme de gestion de droits obligatoires « permettant de rémunérer les auteurs d’œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques ou de leurs ayants droit pour les images que les moteurs de recherche et de référencement mettent à la disposition du public sur Internet sans avoir obtenu d’autorisation préalable ».
Vous pressentez l’arnaque ? Vous reniflez la ruse ? Vous sentez l’entourloupe ? C’est normal, il y en a une, grosse.
Ce que ce charabia législatif veut dire, c’est que les moteurs de recherche d’images tels que Google Images, Wikimedia ou tant d’autres, ou les réseaux sociaux qui autorisent le partage des images sont directement visés et devront donc activement empêcher la vilaine reproduction illicite voire (osons le mot) la contrefaçon de ces œuvres, ou payer un ensemble de droits et de taxes pour se permettre cette reproduction et cette diffusion. Concrètement, cela veut dire qu’un personne pourra donc prendre en photo – joie d’une liberté de panorama qui roxxe ! – la pyramide du Louvre et la partager sur les réseaux sociaux. Mais une fois indexée, cette photo ouvrira droit à la perception d’une redevance sur le moteur qui l’aura indexée.
Oui, vous l’avez compris : le moteur d’images de Google devra s’acquitter de taxes pour avoir le droit d’afficher les images résultantes d’une de vos recherches. Et oui, vous l’aurez aussi compris : enfin, après des années de ruses et d’essais plus ou moins fructueux, les lobbies des ayant-droits représentés par les indétrônables SDRM, ADAMI, SPEDIDAM, PROCIREP SCPA, SACEM, SACD, SCAM, ADAGP, SAJE, SCPP, SPPF et SPRD ont fini par obtenir une nouvelle entrée juteuse d’argent directement de la poche du consommateur vers les leurs en utilisant la force publique et la ponction sur les résultats d’exploitation d’un géant quelconque. Cela aurait pu tomber sur les fabricants de disques durs, de mémoires de masse, sur les vendeurs en ligne, mais cette fois-ci, c’est tombé sur Google Images et Wikimédia (entre autres).
Et vu le nombre de photos partagées sur les réseaux sociaux (on parle de plusieurs millions à la minute), photos dont une proportion non négligeable contient inévitablement l’un ou l’autre monuments soumis à droit d’auteur, on comprend que ces sociétés vont toucher un énorme jackpot, d’autant qu’elles se partageront des profits même lorsque les auteurs d’images n’ont pas fait le choix de s’affilier à l’une d’entre elles.
Décidément, le lobbying, c’est facile, c’est discret et ça peut rapporter très gros.
Bien évidemment, vous pouvez compter sur ces sociétés pour crier à leur bonne foi, expliquant que « La taxe sera de toute façon payée par ces méchantes multinationales qui faisaient du beurre sur des œuvres pourtant protégées, n’est-ce pas, qui spolient leurs auteurs, n’est-ce pas, dont nous sommes les protectrices, n’est-ce pas ». Peu importe que, tout comme pour les taxes sur le lait qui ne sont jamais acquittées par les vaches, ces taxes seront inévitablement reportées d’une façon ou d’une autre sur le consommateur (qui, pour le coup, en est une belle, de vache à lait).
De façon plus tragique, peu semble aussi importer que cette démarche, très franco-française dans son approche punitive et sa mise en pratique usinagazophile, finisse par provoquer des effets de bords catastrophiques.
De dépit (ou de peur de se retrouver à payer des sommes astronomiques), on pourrait ainsi voir disparaître de l’internet français Google Image et ses équivalents sur les autres moteurs. Voilà un gain évident pour le consommateur. Voilà aussi un moyen pratique pour ruiner toute possibilité de publicité facile au travers des moteurs d’indexation.
De façon encore plus visible, des plateformes pourtant basées sur les Creative Commons vont se retrouver dans un enfer juridique invraisemblable puisqu’à la suite d’un amendement à cette loi sur le panorama, il a été créé un nouveau droit patrimonial à destination des gestionnaires des domaines nationaux, pourtant plus du tout soumis au droit d’auteur, qui impose à présent d’avoir leur accord pour publier des photos, et éventuellement payer pour le faire. Pire et comme l’explique la Fondation Wikimédia France, les moteurs de recherche devront, désormais, payer pour la totalité des images qu’ils indexent dans leurs résultats, y compris pour les images sous licences Creative Commons ainsi que les images « orphelines » (sans auteur identifié), catégories qui représentaient une source indispensable d’illustration de l’encyclopédie en ligne Wikipédia.
Dans le grotesque, voilà qui touche au sublime.
Rappelez-vous qu’au départ, il s’agissait de rendre plus claire et mieux cadrée la liberté de panorama, en accord avec ce qu’on observe dans beaucoup d’autres pays qui accordent bien plus de libertés à leurs citoyens (l’Allemagne, par exemple, qui n’est pourtant pas réputée pour être une anomie débridée).
Et pourtant, en quelques articles de loi troussés à la mode de chez nous, on a habilement fusillé tout un pan d’internet et rendu impraticable l’exercice photographique ou d’illustration pour les citoyens français qui ne chercheront pas à passer par un VPN ou un proxy étranger afin de trouver l’une ou l’autre image. Par une application invraisemblable d’un droit d’auteur de plus en plus absurde, on a effectivement mis en coupe réglée l’image sur l’internet français (!) au profit d’une bande d’indispensables corporatistes dont le service rendu, minuscule, ne pourra jamais être en rapport avec les sommes colossales que la collecte promet.
Vraiment, quelle réussite !