Une liseuse, c'est bien. Un livre, c'est mieux.
Jamais cette affirmation, aux allures de slogan publicitaire, n'apparaît plus exacte que lorsque l'on tient dans ses mains un sensuel et bel objet tel qu'En noir et blanc, le recueil de poésie, en prose et en vers, d'Eliane Vernay, publié chez Samizdat. Il pèse son poids de papier 120g, mais sans excès. Et il est doux au toucher et à la vue.
Annie Fayolle Dietl a, pour sa part, ajouté sa touche poétique aux mots surgis de la plume d'Eliane Vernay. De sa plume à elle naissent des images, colorées, à l'encre de Chine, celle de la couverture et celles des sept illustrations qui correspondent au texte, à l'intérieur du volume, et font appel à l'imaginaire du lecteur.
Eliane Vernay commence d'ailleurs par des images, qui lui parlent. Et, quant à elle, c'est avec des mots qu'elle fait tout de suite appel à l'imaginaire du lecteur, en mélangeant les genres, paroles et musique, ou en esquissant de véritables petits tableaux, en couleur, et en noir et blanc...
Images I est ainsi une partie dédiée à Debussy. Quand Eliane Vernay évoque d'emblée masques et bergamasques, comment ne pas rêver un instant à Verlaine et à Fauré, mais en fait il s'agit bien d'Eliane Vernay, et de nulle autre - et on est déçu en bien -, et des mots qui lui viennent à l'esprit comme des airs de musique à l'oreille:
les notes accrochent aux branches
un train de voyelles
comme autant de guirlandes du ciel à la terre
Images II est dédiée à des peintres - à des phares, aurait dit Baudelaire:
Le Caravage et une scène biblique,
Vermeer et une de ses scènes de genre:
l'ombre veille
la mère coud
ses petits en rond autour d'elle -
comme une louve
Goya et ses visions fortes:
et les ombres
noircies
au feu des jours
Rembrandt et ses firmaments tourmentés:
niée alors,
ou dépassée et comme absoute,
l'image d'un ciel trop bas
Tàpies, Hopper, Chagall ou Chavaz...
A un sculpteur, Chillida, en pleine action:
cet éclair furtif qui scalpe, incise, sectionne
puis ouvre, tranche, fouille
écarte mortaise, caresse
puis casse
brise fracasse
pierre et le souffle de la pierre, souffle du néant
A l'écrivaine Corinna Bille:
Pendant longtemps tes rires cachèrent tes peurs. Tu alignais les pardons au fond de ton sommeil pour épargner tes prières: "Tu approches, tu brûles", disait-on
mais seules te préoccupaient les épines qui déchiraient tes mots, les fourrés où s'égaraient tes images,
fouillis d'encre et de boue obstruant le sentier.
La mer inspire Eliane Vernay comme tous les vrais poètes et elle a, elle aussi, son cimetière marin:
La lente patience du cyprès au-dessus des tombes
quand au crépuscule la terre se retire
comme la mer
pour prier
En noir et blanc, qui donne son titre au recueil, est principalement un requiem, dont est extrait ce passage d'amour que la mort défait:
Englouti, le néant de ta nuit
qui ne tenait qu'à un fil.
Le tien.
Sectionné.
Et moi, accrochée à ce fil m'agrippant
toute la nuit
mordant
garrotant
étranglant
le fil -
Etranglée
la nuit.
La tienne.
Tout contribue dans ce recueil à la poésie - ce regard singulier d'un auteur qui se pose sur les êtres et les choses, qui les compose et les transpose: les mots et leur sonorité, les phrases qu'ils forment et leur disposition sur les pages de par la volonté d'une âme, les illustrations qui ne sont pas toutes en noir et blanc - certaines comportent en effet de l'ambre et du feu, c'est-à-dire de l'ardeur...
Francis Richard
En noir et blanc, Eliane Vernay, 120 pages, Samizdat