Copyright Stephane Maisonneuve
Il est difficile de mettre des mots sur le spectacle de Salia Sanou. L’honnêteté voudrait que je reconnaisse que c’est mon premier spectacle de danse contemporaine. J’ai certes déjà vu des pièces de théâtre qui convoquent quelques séquences dansantes mieux chorégraphiées. Mais ici, nous sommes sur un exercice plus contraignant. Les artistes danseurs ne s’expriment que par le langage du corps par le biais unique de la danse. Et c’est par cette expression corporelle et l’exploitation de l’espace scénique qu’on peut voir le désir d’horizons affirmé. On perçoit par ces mots, déjà, la performance athlétique consistant à danser de manière continue, durant un peu plus d’une heure, soumis au rythme variant d’une chorégraphie exigeante, tenue avec maestria, vie et parfois sensualité.Tout d’abord, peut être faudrait il revenir à la genèse du projet, s’appuyant sur un projet de l’AAD soutenu par TILDER, le programme Refugees on the move. Salia Sanou a participé à ce projet dans les camps de réfugiés et au sortir d'un camp du Burundi, l'idée d'un spectacle s'est imposée à lui. Les chiffres ont été cités plus haut. Faire danser des réfugiés. Pourquoi pas? Salia Sanou a travaillé sur ce projet et sa mise en scène sobre renvoie dans sa forme à la vie dans un camp comme la séquence de l’installation et l'occupation des lits. Comment ne pas penser au campement devant la présidence d’Ayiti après le séisme de 2010? Aux différents de camps du HCR, aux hôpitaux de campagnes militaires? Montage, démontage. Mobilité. Des amours se tissent dans ces camps. La danse devient sensuelle là où elle était parfois guerrière. Des amours qui peuvent se transformer en quelque chose de brutal, violent.
Il est très difficile de décrire cette chorégraphie très élaborée. Désir d'horizons. Avec un tel titre, on s’attend à identifier les éléments qui caractérisent ce désir d’exils : la guerre, la faillite économique d’un pays, le mauvais traitement des minorités. Certains mouvements dans la phase silencieuse et néanmoins dansée qui introduit le spectateur dans ce spectacle renvoient à l’envol. Sinon, j’ai vu de la tendresse, de la fraternité, une musique extrêmement variée tantôt très classique, tantôt africaine, une occupation maîtrisée de l’espace de la scène. La parole quand elle est entendue mais en valeur des mots de Samuel Beckett. Les péripéties des artistes dans les portées, des exercices de danse complexe, la parité aussi porteuse de sens, forcément. Les hommes portent les femmes. Et parfois ces dernières les portent les hommes. Ce qui n'est pas neutre.
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Dans le fond, même le final sur mobylette laisse la possibilité de nombreuses lectures. Ce spectacle parle avant tout du programme Refugees on the move. Faire danser des réfugiées. Faire renaître l’espoir par le moyen de la danse. Pour les populations africaines, de toute façon, la danse reste au centre de la vie. Elle accompagne la douleur, le cri le plus strident et la joie. Car en Afrique centrale, on pleure les morts en dansant autour de leurs dépouilles. Je me demande si un tel programme serait possible dans les camps de réfugiés en Turquie. Salia Sanou a réussi à nous faire sentir la vie dans ces camps dont il est légitime de vouloir s’évader.
Tilder réussit une belle opération de communication. Normal me direz-vous, c'est leur métier. La qualité de la soirée traduit l’exigence et la finesse du travail d’une entreprise. Du moins, on peut l’envisager. De plus, la soirée n’a pas versé dans le misérabilisme dans lequel un regard trop facile cantonne l’Afrique. L’expression artistique de la troupe de Salia Sanou s’inscrit dans ce dynamisme. Après, il faut creuser en lisant par exemple le livre de prospective paru pour les 25 ans de Tilder et qui donne la parole à de nombreuses personnalités françaises. A suivre.
* Quelques chiffres :18 millions de réfugiés17 ans est la durée moyenne de vie dans un camp150000 réfugiés ont bénéficié du programme Refugee on the move de l'African Artist for Development