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Réflexions sur l'éducation (suite): de la mythologie à l'histoire. La nation, le colonialisme. Par Roger Garaudy

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

La mystification de l'idée de nation.

[...] Telle que, par exemple, celle d'une France éternelle,
anachroniquement et rétrospectivement reconstruite en

projetant l'actuel hexagone dans le passé, et la dotant,

avant même l'existence d'unpeuple français, des attributsd'une personnalité agissante en fonction d'un but, quelle que soit d'ailleurs l'origine mythique assignée à cet acteur.

Notre pays a toujours existé ou préexisté à sa réalité actuelle.

Michelet, ont servi de moule à la fabrication du mythe, et,

malgré l'immense progrès de l'école des Annales , le moule n'est

"Il y a deux mille ans la France s'appelait la Gaule.... Dans la suite,

le rassemblement des terres qui constituent aujourd'hui la

France, fut l'oeuvre d'une série de guerres, de conquêtes, de

massacres des hommes et des cultures.

Cette déité fantasmatique a tous les caractères d'un personnage

poursuivant: un but bien déterminé : la réalisation de

Le point de départ est hasardeux et dépend du pouvoir du

De toute façon la France est éternelle : elle descend de DIEU.

Pendant des siècles ses rois, de droit divin par leurs ancêtres

bibliques, incarnèrent à eux seuls la France et ses ambitions

conquérantes. A en croire Jean Lemaire de Belge vers 1510

les rois de France sont descendants de Samothes, quatrième fils

de Japhet, lui-même fils de Noé. En un mot la France remonte

à Adam lui-même, sinon à Dieu. Mais à cela s'ajoute un

riche héritage gréco-romain : un membre de cette famille

royale proscrit s'est enfui en Asie, a fondé Troie, apportant la

civilisation gauloise à la Grèce et à Rome.

ème siècle, à l'abbaye de Saint-Denis, le premier Roi de France

était Pharamon (qui figure encore dans une réédition de 1838

de l'histoire de France de Ragois.)

Dans sa Franciade, dédiée au Roi très chrétien Charles IX,

Ronsard, reprend cette mythologie de l'origine troyenne de la

monarchie française avec ses fondateurs légendaires :

Francion, Pharamon, etc.... Cette mythologie a ses variantes ;

par exemple l'opposition d'une plèbe issue des gallo-romains,

et d'une aristocratie franque (c'est à dire d'origine germanique)

dont le débat ne sera tranché qu'avec la Révolution

française, mettant fin à cette querelle en remplaçant les privilèges

du sang par ceux de l'argent.

Ce rappel de la mythologie nationale n'est pas une diversion

car la conception mythologique des histoires nationales

continue à opérer des ravages dans les esprits et dans les

La France, même après les massacres des juifs, des chrétiens

de Byzance, ou des musulmans de Jérusalem, même après

l'extermination des cathares, après que le pieux Roi Saint

Louis fit porter aux juifs la rouelle (morceau d'étoffe jaune en

forme de roue - pas encore d'étoile). La France où sévirent la

Saint-Barthélémy, les dragonnades de Louis XIV, la férocité de

la répression vendéenne sous la Révolution, les tueries européennes

de Napoléon (qui n'en reste pas moins un héros

trouvée), lorsqu'elle construit un Empire colonial à coups de

massacres et sans parler de la participation à la guerre de

l'Opium en Chine, ou du négoce des esclaves noirs sur tous

nos ports de l'Atlantique, reste le soldat de Dieu et du Droit.

Ce glorieux passé est la justification officielle du racisme colonialiste

telle qu'en fit la théorie, à l'Assemblée nationale, Jules

Ferry, (J.O. du 28 juillet 1885 (J.O) :

" Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un

droit vis à vis des races inférieures. "

Cette France reste éternellement le soldat de DIEU ou du

1997 ou de célébrer, sur le mode de l'odieux et du grotesque,

le deuxième centenaire de la Révolution française, en n'en

retenant qu'une Déclaration de papier qui excluait du droit de

vote les 3/4 des français.

Cette mythologie de la nation n'est d'ailleurs pas une spécialité

française, qu'il s'agisse, pour l'impérialisme anglais massacreur

de l'Inde, magnifié par Rudyard Kipling comme fardeau

répressions féroces de l'Etat d'Israël au nom de la promesse

Au nom du destin manifeste des États- Unis, dont les premiers

envahisseurs puritains d'Angleterre assimilaient les Indiens

aux Amalécites de Josué justifiant le vol des terres aux

Indiens, leur refoulement ou leurs massacres.

L'on peu contempler encore, en bordure des ruines du Forum

de Rome, les cartes de l'Empire romain par lesquelles

Mussolini, qui prétendait en être l'héritier, justifiait ses carnages

africains jusqu'en Ethiopie.

L'utilisation de l'entité abstraite d'une France éternelle préexistant

à son peuple et à son histoire, qu'il s'agisse de Clovis,

de Jeanne d'Arc ou de la Fête de la Fédération présidée par

Lafayette, peut justifier tous les crimes jusqu'au moment où

renonçant à la mythologie en faveur de l'histoire, on reconnaisse

en la France de 1998, une création continue faite du

de chacune, qu'il s'agisse, par exemple, des troubadours

d'Occitanie inspirés, comme le notait Stendhal, des conceptions

de l'amour et de la poésie des poètes arabes de

l'Andalous, de l'Espagne voisine, du cycle breton des épopées

du Roi Arthur, des cultures méditerranéennes des grecs et des

romains, ou des influences germaniques, de la musique à la

philosophie, par les marches de l'Est qui ont bouleversé et enrichi

Cette critique historique mettant fin aux entités métaphysiques

de la mythologie, a une importance capitale pour

résoudre aujourd'hui les fausses querelles sur la citoyenneté et

Fausse querelle, celle de la citoyenneté, fondée sur le droit du

ou le droit du sang, comme si l'appartenance à une communauté

dépendait de facteurs extérieurs à l'homme et à sa

sensibilité : être né en un lieu déterminé ne dépend aucunement

de moi et ne saurait donc être une raison de fierté ou

Quant au droit du sang il repose sur un autre facteur indépendant

de ma volonté : comme, pour un animal, d'être éléphant

Le seul lien, proprement humain, d'une communauté proprement

humaine, c'est la participation à un projet commun et la

contribution à la réalisation de ce projet, patrimoine commun

de l'humanité considérée comme un tout. Chaque peuple, par

sa culture originale, participe à l'humanisation de l'homme, à

sa véritable croissance et développement en humanité.

Il en est de même du problème de l'immigration qui ne peut

être, selon les règles génératrices d'inégalités croissantes du

monothéisme du marché, une question d'exclusion de

concurrents sur le marché du travail et du marché tout court,

mais une question de dialogue où chacun prend part, pour

élargir la vision de l'homme et du projet humain de chacun

(par exemple, échange et partage du sens de la communauté

des uns et du sens de la personne de l'autre, dans une lutte

commune contre un individualisme de jungle ou un totalitarisme

De même, échange et partage pour échapper à la fois à une

conception dogmatique de la religion prétendant régenter la

société entière, et d'un laïcisme excluant la recherche des fins

dernières, afin de lutter ensemble pour l'unité de la foi et pour

la fécondation réciproque des cultures et des institutions dans

lesquelles cette foi est vécue.

La place de l'histoire dans l'éducation doit donc être radicalement

Il ne peut plus s'agir de la transmission, par les manuels scolaires,

se succédant et se recopiant les uns les autres à partir

de deux ou trois modèles variant dans leur présentation mais

obéissant tous à la même logique, d'une pensée-unique, des

mythes sur l'origine ou la genèse historique de la nation formant

des citoyens à la pensée-unique du politiquement correct.

Ces mythes sont de plus en plus nocifs, au fur et à mesure

qu'on approche de la situation contemporaine, depuis les

réalisaient une union sacrée contre les ennemis héréditaires.

Après la deuxième guerre mondiale, et le tribunal de

Nuremberg, où était interdite toute évocation des causes

génératrices du monstre nazi (depuis le traité de Versailles

rendant son ascension possible, jusqu'en 1933 où i l devint, le

plus démocratiquement du monde, le tyran de son peuple),

avec le soutien du monde capitaliste tout entier qui, à partir

de 1933, voyait en lui le meilleur " rempart contre le bolchevisme".
Il fut salué comme tel par Churchill, comme par les chefs

de l'Église allemande, (et, à leur suite, de toutes les églises qui

appelaient, après sa victoire, à la collaboration des peuples. En

France comme en Allemagne, en Italie, en Espagne et dans

Après sa défaite l'histoire fut rendue plus incompréhensible

encore en attribuant (par un culte de la personnalité à l'envers)

tous les malheurs du monde au délire obsessionnel raciste

d'un Hitler fou, ce qui était le fruit d'une longue gestation :

depuis les traités de Versailles, puis les fournitures d'argent et

d'acier par tous les banquiers du monde, de l'Angleterre, de

la France, des États-Unis, puis les concessions politiques (dont

Munich est le symbole et les accords germano- soviétiques,

conséquence défensive contre ceux qui voulaient l'orienter

vers l'Est), jusqu'aux collaborateurs sionistes (alliés naturels

d'Hitler contre les Allemands de confession juive : les premiers

voulaient aider, par la création d'un État d'Israël puissant,

à " vider l'Europe de ses juifs " (Judenrein), ce qui était le

rêve d'Hitler, alors que l'Association des allemands de religion

juive voulaient rester en Allemagne, demandant seulement

le respect de leur religion et de leur culture. C'est contre

eux (95 % de la communauté juive contre 5 % de sionistes) que

Dès lors l'histoire mettait en oeuvre de nouveaux tabous : la

collaboration des sionistes par les accords bancaires de la

Haavara pour lesquels, en échange du départ de quelques

millionnaires juifs et de leur fortune, ils promettaient de lutter

contre le blocus de l'Allemagne nazie ; les propositions de

coopération militaire des groupes armés de la bande Stern et

d'Itzac Shamir, avec l'armée hitlérienne, en raison de leur

communauté de vue ; l'échange abject proposé par Hitler et

accepté par les dirigeants sionistes en 1944, de 1 million de

juifs contre 10 000 camions (à condition qu'ils ne servent que

sur le front de l'Est). Hitler et les alliés ne rêvaient que d'une

paix séparée par l'entremise des sionistes. (Voir Yehuda Bauer.

Sur ce chapitre de la falsification délibérée de l'histoire

contemporaine (depuis la chute d'Hitler) la conclusion fut formulée

explicitement en 1990, par une loi scélérate, dite loi

Laurent Fabius, légalisa la répression de toute histoire critique

des crimes hitlériens en imposant, comme un tabou, toute critique

des décisions du Tribunal de Nuremberg dont le

Président même, le Juge américain Jackson, reconnaissait

qu'il était le " dernier acte de la guerre " et qu'il n'était donc pas

tenu " aux règles juridiques des tribunaux ordinaires en matière de

A l'époque du colonialisme européen il est significatif que

l'histoire est celle de la conquête légitime de nouveaux territoires

pour apporter la Civilisation aux barbares.

Toute invasion ou agression coloniale est alors légitimée au

nom de la civilisation, et la résistance des peuples colonisés,

spoliés et massacrés, est invariablement appelée terrorisme.

L'histoire scolaire, c'est à dire, essentiellement celle de

l'Occident, ne peut avoir, évidemment, que deux sources,

comme l'Occident lui-même : judéo-chrétienne et grécoromaine.

En 1975, Preisswerk et Merrot, étudiant 30 manuels scolaires

les plus utilisés (3 allemands, 6 anglais, 11 français, 2 portugais,

8 russes) se bornaient à un seul problème : celui de la

intellectuel faisant de l'histoire " une histoire de

l'Occident avec des annexes concernant d'autres peuples "

(Ethnocentrisme et histoire. (1975) Ed. Anthropos). La perspective

ethnocentrique prenant pour critère du progrès, de la

hommes, permet d'établir un palmarès où l'Europe arrive en

Primitifs à son niveau de perfection. Même lorsqu'un manuel

dit : " A leur arrivée dans le pays les Européens y trouvèrent une

", ils ne trouvent brillante civilisation brillant que ce qui répond

à leurs propres critères.

L'on est loin, ici, de l'admirable humilité scientifique, ou plus

simplement, de l'objectivité et de l'universalité dont Levy-

" l'Antiquité confondait tout ce qui ne participait pas de la culture

grecque (puis gréco- romaine) sous le nom de "barbare" ; la civilisation

occidentale a utilisé le terme de "sauvage" dans le même

sens ;... sauvage, qui veut d i r e "de la forêt "évoque un genre de vie

L'invasion de l'Algérie et les déclarations du Maréchal

Bugeaud en sont un exemple typique.

Le 14 mai 1840, Bugeaud annonçait à la Chambre des députés

" Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient

les Francs , à ce que faisaient les Goths. "

Devenu gouverneur de l'Algérie, en application de ce principe,

il adresse aux chefs de la résistance algérienne cette sommation:
" Soumettez-vous à la France .... Dans le cas contraire

j'entrerai dans vos montagnes , je brûlerai vos villages et vos maisons,

je couperai vos arbres fruitiers , et, alors, ne vous en prenez

qu'à vous seuls, je serai, devant Dieu, parfaitement innocent de ces

Programme de vandalisme et de meurtre réalisé, de point en

point, par ses subordonnés tels que le futur Maréchal de

Saint-Arnaud : " On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons

" (Saint-Arnaud : et les arbres Lettres du Maréchal de

Saint-Arnaud, à toutes les pages du recueil).

apprennent, de la région de Mascara : " Nous poursuivons l'ennemi,

ajoute : " Le Général Bedeau, autre perruquier de première qualité,

châtie une tribu des bords du Chélif... leur enlève de force femmes,

l'homme (p. 133-347-349) nous décrit les opérations de la

colonne à laquelle il était attaché : " Les oreilles indigènes valurent

longtemps 10 francs la paire, et leurs femmes demeurèrent un

Tous ces textes et bien d'autres, montrant que les Bâtisseurs

procédèrent par crimes de guerre et crimes contre l'humanité,

ne figurent dans aucun manuel scolaire où l'on préfère

apprendre aux enfants les couplets attendrissants sur la casquette

Il ne s'agit pas d'exhumer des souvenirs cadavériques : ces

mythes sanglants continuent d'exercer une influence déterminante

sur les comportements actuels, façonnés par ces mensonges

Deux exemples expriment la prétention caricaturale de l'efhnocentrisme

occidental : le récit officiel des batailles de

de la victoire de l'Occident contre les barbaries de l'Orient.

Pour démystifier Marathon il suffirait pourtant de ne pas se

contenter de répéter la version d'Hérodote contre laquelle

Plutarque nous met en garde, en rappelant qu'elle avait pour

but " de flatter les athéniens pour en avoir une grande semence de

Thucidide ramenait l'événement à sa vraie grandeur en ne lui

n'empêche pas, en 1968, l'un des meilleurs spécialistes de

l'hellénisme à la Sorbonne, François Chamoux, d'écrire dans

d'une victoire décisive de l'Occident contre l'Orient : " les

grecs, écrit-il, ne combattaient pas seulement pour eux-mêmes mais

p o u r une conception du monde qui devait devenir plus tard le bien

Un autre éminent spécialiste, le Professeur Robert Cohen, écrit

à propos des expéditions d'Alexandre : " L'histoire de la Grèce,

A l'époque d'Alexandre existaient déjà depuis longtemps, les

Hymnes Védiques, les Upanishads et le Bouddha, la Chine de

Lao Tseu et de Confucius, et bien d'autres peuples qui ignoraient

l'existence d'Alexandre et de sa légende. Mais l'optique

de l'Occident limite le monde à son propre horizon.

Ce qui fait oublier, en nous, deux réalités historiques essentielles:

-1° - que cette escarmouche était si peu décisive, qu'un siècle

après Marathon, en 386, un simple gouverneur perse d'Ionie,

Tiribaze, dictait, au nom du grand roi, ses volontés, aux délégués

d'Athènes, de Sparte de Corinthe, d'Argos et de Thèbes.

dans ses Helléniques (Livre V, chap. 1), nous

apprend que les grecs se pressèrent à son invitation ". Le diktat

du Roi des Perses, Artaxercès, disant : " il est juste que les

villes d'Asie soient à lui, ceux qui n'accepteront pas cette paix je leur

ces conditions à leurs Etats respectifs. Tous jurèrent de les

Isocrate commente : " Maintenant c'est lui (le Barbare) qui règle

les affaires des grecs ...ne l'appelons-nous pas le Grand Roi comme

A l'autre extrémité de l'Occident l'on trouve le pendant du

avec celui de la complexe de Marathon bataille de Poitiers

présentée comme un déferlement de la barbarie asiatique sur

Dans l'histoire de France dirigée par Ernest Lavisse, au chapitre

des Carolingiens, on parle de Poitiers comme ailleurs de

Marathon : " La bataille de Poitiers est une date mémorable de

notre histoire... Un chroniqueur nomme les soldats francs, les

Européens, et, en effet, en ce jour où il fut décidé que la Gaule ne

deviendrait pas sarrasine comme l'Espagne, c'est bien l'Europe que

les Francs défendirent contre les Asiaiques et les Africains. "

Défaite si peu décisive que, deux ans après, en 734, ce que

Levi-Provençal appelle les raids ou les incursions (qui n'ont

rien à voir avec une invasion massive du type de celle des

Huns, trois siècles avant) atteignent Valence sur le Rhône et

tiennent solidement Narbonne.

Là encore ce ne sont pas des historiens "professionnels" qui

ont détruit cette autre version du mythe de l'opposition manichéenne

de la civilisation occidentale contre les barbares.

Dans la Vie en fleur , Anatole France écrit : " Monsieur Dubois

demanda à madame Nozière quel était le jour le plus funeste de

l'Histoire de France. Madame Nozière ne le savait pas. "C'est, lui

dit monsieur Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand , en 732,

la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie

Je garderai toujours en mémoire cette citation qui m'a fait

expulser de Tunis en 1945 pour propagande antifrançaise ! Il

était interdit d'affirmer que la civilisation arabe dominait largement,

jusqu'au XlVème. siècle, la civilisation européenne !

que " la régénération de l'Espagne n'est pas venue du Nord,

" avec les hordes barbares, mais du Midi avec les Arabes conquérants.
Parlant de la civilisation arabe, il écrit : " A peine née,

elle a su assimiler le meilleur du judaïsme et de la science byzantine.

Elle a apporté avec elle la g r a n d e tradition hindoue, les reliques

de la Perse et beaucoup de choses empruntées à la Chine mystérieuse.

C'était l'Orient pénétrant en Europe comme les Darius et les

Xerxès, non par la Grèce qui les repoussait afin de sauver sa liberté,

mais par l'autre extrémité, par l'Espagne, qui, esclave de rois théologiens

et d'évêques belliqueux, recevait à bras ouverts ses envahisseurs.

" Blasco Ibanez ajoute encore : " En deux années, les

Arabes s'emparèrent de ce que l'on mit sept siècles à leur reprendre.

Ce n'était pas une invasion qui s'imposait par les armes, c'était une

société nouvelle qui poussait de tous côtés ses vigoureuses racines. "

avait réduit l'événement militaire à sa juste dimension :

il lui consacre une vingtaine de lignes dans un ouvrage de

Mais il fallut attendre le dernier tiers du XX ème siècle pour

qu'un "amateur" espagnol, Ignacio Olaguë, se livrant à une

analyse minutieuse des sources, montre que le texte le plus

proche des événements et le plus exploité, était la chronique

de l'Abbaye de Moissac qui joue, en l'occurrence, le même

rôle, pour la bataille de Poitiers, que celui d'Hérodote pour

dans une prétendue traduction française qui en retire les références

essentielles) Olaguë analyse comment est née la légende,

recréée, plusieurs siècles après l'événement, lors des invasions

- réelles cette fois - des Almoravides et des Almohades

qui jalonnent les phases du recul de l'Islam en Espagne.

Les rois catholiques ont développé le thème qui a survécu

jusqu'à la fin du XX ème siècle.

Quant à Charles Martel, son rôle de sauveur de l'Occident se

dégage plus clairement lorsqu'on l'insère dans le contexte de

- 1 - Ce sauveur de la France et de l'Occident, après son escarmouche

victorieuse contre le commando arabe

d'Abderahman, en 732, a complété ses exploits contre les barbares

musulmans, en se lançant à la conquête de l'Aquitaine,

de la Bourgogne, puis de la Provence restée jusque là romaine.

- 2 - L'écrasement définitif des sarrasins est tel que plusieurs

siècles après, les arabes sont encore à Narbonne. Ils sont

maîtres de la Provence avec leur base principale à Fréjus. Ils

remontent la vallée du Rhône comme en témoigne la

Cathédrale du Puy dont la façade porte encore des inscriptions

En ce qui concerne l'éveil il conviendrait de se souvenir, par

exemple, que, plusieurs siècles après Poitiers, le centre culturel

de Cordoue réveille l'Europe de sa longue dormition intellectuelle:
non seulement en lui transmettant les richesses

anciennes de la Chine, de l'Inde, de l'Iran, mais même son

propre patrimoine, celui par exemple des grecs. C'est dans les

commentaires d'Aristote d'Ibn Roshd, (Averroes) et en polémiquant

avec son oeuvre qu'Albert le Grand et Saint-Thomas

d'Aquin développèrent leur système, et que se développera,

Brabant, comme à Oxford et au XV éme siècle en Italie, avec

Pic de la Mirandole.

Les cartes d'Idrissi de Ceuta (XII ème siècle) qui fit ses études

à Cordoue, créeront pour Roger IL de Sicile, pour passer de la

sphéricité de la terre à la planisphère, les méthodes de projection

semblables à celle de Mercator, quatre siècles plus tard,

et qui permettront les grandes découvertes.

Les traités de chirurgie d'Abulcassis, né au Xème siècle à

Cordoue, firent autorité pendant cinq siècles, dans toutes les

Facultés de médecine de l'Occident, à Montpellier comme à

Palerme, à Paris ou a Londres.

Roger Bacon (1561 - 1627) considéré en Europe comme l'introducteur

de la science expérimentale (faire une hypothèse

mathématique et construire un dispositif expérimental pour

la vérifier), dans la cinquième partie de son Opus Majus procède

à un démarquage, parfois même à une simple traduction

de l'Optique du savant Égyptien Ibn Hayttam et reconnaît luimême

ses emprunts : " La philosophie, écrit-il , est tirée de l'Arabe

et aucun Latin ne pourrait comprendre comme il convient les

sagesses et les philosophies s'il ne connaissait pas les langues dont

Cet esprit d'unité règne dans toutes les sciences où excellaient

les savants arabes : de la physique et de l'astronomie, à la biologie

La clé de voûte de la culture islamique, dans tous les

domaines de la théologie, et de la philosophie aux sciences et

aux arts c'est l'idée de l'unité. Cette unité fondamentale (tawhid)

ne se limite pas à l'affirmation que Dieu est unique.

Le tawhid n'est pas de l'ordre du fait mais du faire. Il ne fonde

pas une philosophie de l'être, comme celle des grecs, mais au

contraire une philosophie de l'acte.

C'est ce qui permit le renouvellement de toutes les sciences.

Si l'on renonce à l'illusion qui consiste à considérer l'Europe

comme le centre de toute l'histoire, l'on doit donc reconnaître

que, du VlIIème au XlVème siècle, il n'existe pas un trou noir,

mais que s'y épanouit au contraire une civilisation arabo-islamique

l'une des plus brillantes de l'histoire.

Ibn Arabi de Murcie (Espagne) - (1165-1241) conduit vers son

terme cette philosophie de l'acte, opposée aux philosophies

grecques, (platoniciennes ou aristotéliciennes) de l'être.

Rien ne commence avec une réalité déjà faite, donnée, qu'elle

soit sensible ou intelligible, mais par l'acte créateur incessant

Son problème fondamental est de montrer comment l'homme

peut participer à cet acte de création d'un monde toujours en

La vision dynamique du monde, dans le Coran, découle de

cette incessante action créatrice de Dieu. Il est le Vivant (II,

255 ; III, 2, etc.) ; " Le Créateur par excellence, Celui qui ne cesse

" (XXXV, 81) ; Celui " qui est présent en chaque chose

(II, 255) toute chose. Contrairement à la Genèse (II, 2), Il

ne connaît ni cesse ni repos (II, 255). " Il commence la création et

La théorie islamique de la connaissance, qui part de l'acte

créateur, ne sera reprise que plusieurs siècles après, dans la

philosophie occidentale, notamment par Kant et son

Bachelard, qui en recherche l'histoire.

L'essentiel de l'apport de la science islamique ce n'est pas seulement

la méthode expérimentale et une impressionnante

quantité de découvertes, c'est d'avoir su lier la science, la

sagesse et la foi.

Loin de limiter l'action de la science qui remonte de cause en

cause, la sagesse s'élève de fin en fin, de fins subalternes à des

fins plus hautes afin que la science ne serve pas à la destruction

ou à la mutilation de l'homme mais à son épanouissement

en lui fixant des fins humaines. Car la science expérimentale

et mathématique, ne nous fournit pas les fins de cette

action puissante. La sagesse, réflexion sur les fins, est un autre

usage de la raison. Celui que l'Occident a laissé s'atrophier :

la philosophie ni la théologie n'y jouent plus ce rôle complémentaire

de la science qui donne des moyens, avec la sagesse

La raison occidentale, confinée dans la rechercher des moyens

considérés comme des fins en soi conduit le monde à la destruction

par la manipulation sans sagesse de l'atome, du missile

science, dans sa recherche des causes, ni la sagesse dans sa

recherche des fins n'atteignent jamais une cause première ni

une fin dernière. La foi commence avec une prise de conscience

lucide de cette limite de la raison et de la sagesse. Elle

devient le postulat nécessaire à leur cohérence et à leur union :

cette foi n'est pas une limite ou une rivale de la raison. La foi

est une raison sans frontière.

radicalement changé : la recherche des sources doit remplacer

le colportage des mythes.

Ce qu'il est convenu d'appeler le monde colonial jusqu'au

milieu de XX éme siècle, le Tiers-Monde au temps des deux

blocs affrontés de l'Est et de l'Ouest, et d'une manière

constante les pays sous-développés (selon les critères occidentaux

du développement) n'apparaissent dans les manuels

scolaires et dans la presse que par les menaces à la sécurité

des envahisseurs, qu'il s'agisse des westerns américains où le

bon indien ne peut être que mort ou collabo, ou des palestiniens,

chassés de leurs terres volées, ou massacrés par balles

lorsqu'ils n'ont plus d'autre armes que les vieilles pierres de

la terre de leurs ancêtres. Là encore, comme au temps du colonialisme

et de l'hitlérisme, la résistance à l'occupant est appelée

terrorisme. Israël exige sa sécurité alors qu'il menace celle

de tous ses voisins en occupant leurs frontières (au mépris de

toute loi internationale et des condamnations platoniques des

Nations Unies, et en élaborant un programme de désintégration

de tous les États voisins de l'Euphrate au Nil.

Il y a là une démarche typiquement colonialiste : le fondateur

du sionisme, Théodore Herzl, écrivait déjà, il y a un siècle :

" Nous serons un bastion avancé de la civilisation occidentale contre

Pentagone, un siècle après celui du sionisme, dans son Choc

oppose la des civilisations civilisation judéo- chrétienne à la collusion

Le schéma mythologique est le même et les formules jumelles

unissent l'expulsion et le massacre des Indiens par les

États-Unis, et l'expulsion et le massacre des palestiniens par

les sionistes d'Israël dont la politique pratique la même politique

d'apartheid et d'expansion coloniale que leur souteneur

Le même refus de l'autre et du dialogue fécondant des cultures,

des civilisations, inspire depuis des siècles, de Josué à

Jules César, de Pizarre à Natanayu, les chasseurs d'hommes,

mythiques ou historiques de toutes les Croisades, de tous les

colonialismes, de toutes les dominations et de toutes les

L'histoire, toujours écrite par les vainqueurs, a toujours appelé

victoire de la civilisation et du droit, la victoire du plus

Le baptême officiel de cette mythologie se substituant à ce qui

mériterait le nom d'histoire, recouvre une autre imposture :

celle qui fait des peuples et des civilisations non-occidentales,

des appendices de l'histoire de l'Occident qui n'entrent dans

l'histoire que lorsqu'ils sont découverts par lui. L'histoire qui

nous est transmise par les manuels scolaires n'est que l'histoire

de l'Occident avec ses annexes concernant d'autres peuples

dont l'étude est affaire de spécialistes, au Collège de France

ou à 1' École des langues orientales. L'élève de l'école primaire

ou du lycée a quelques chapitres à lire sur Marco Polo en Asie,

Savorgnan de Brazza ou Faidherbe en Afrique, mais rien sur

la Chine, d'où vinrent toutes les découvertes scientifiques qui

permirent la Renaissance de l'Europe, sur les empires Songhai

qui firent de Tombouctou l'un des plus grands centres de

recherche mathématique, ou sur la civilisation des Mayas

dont l'astronomie créait un calendrier plus précis que le grégorien,

avec plusieurs siècles d'avance.

L'ethnocentrisme de l'Occident est tel que, par exemple, nos

manuels scolaires et nos encyclopédies font de Gutemberg

l'inventeur de l'imprimerie que les chinois pratiquaient quinze

siècles avant, de Harvey le découvreur de la petite circulation

au XIX ème siècle, alors que Ibn El Nafis, né en 1210,

médecin arabe, quatre cents ans avant Harvey et trois cents

ans avant Michel Servet, avait donné la description simple et

le schéma dessiné de ce parcours du sang dans son

Toute invasion ou agression coloniale est alors légitimée au

nom de la civilisation et la résistance des peuples colonisés,

spoliés et massacrés est invariablement appelée te rrorisme.

Roger Garaudy , L'avenir mode d'emploi, pages 122 à 140


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