Sa carrière avait débuté à 17 ans. En 1980. Dans une comédie musicale populaire. Presqu'aussitôt, son gérant en avait abusé. De la pire manière possible. Il s'était forcé contre elle de manière extraordinairement inappropriée. Elle avait toujours été adorable. Belle. Pas du genre vulgaire, ni même charnel. On ne tombait pas sous son charme en raison de son corps, comme les chanteuses d'aujourd'hui. On tombait sous son charme pour ses yeux, son large sourire sur sa large bouche, ses traits fins, ses jolis cheveux bouclés. Elle n'avait jamais inspiré le sexe. C'était, justement, parce que son gérant lui avait teinté sa vie sexuelle pour la vie.
Elle en garderait le secret longtemps. Elle pensait à tout ça en regardant les feux d'artifices qui explosaient dans le ciel de la banlieue où elle venait de se produire. Elle repensait à sa vie de chanteuse. Ses 20 ans, où la chanson titre de son second album allait la définir pour toujours. Mais une ballade de 1984, ça s'importe mal sur scène en 2016. Elle ne l'avait même pas jouée car à la fête nationale, on voulait danser. Et non se poser des questions existentielles sur l'amour.
La chanteuse des années 80 avait presqu'été une star. C'est le nez dans les étoiles qu'elle pensait à tout ça. En regardant les feux d'artifices. Des feux d'artifices qui illustraient si bien sa vie. Les feux comme quand une étoile brille sur scène, mais les artifices, comme dans "artificiel", comme dans "je fais semblant, parce je suis morte, en dedans".
Son secret, elle le gardera très longtemps. Plus de 20 ans. Ce n'est que lorsqu'une autre victime se plaindra du même homme qu'elle sortira du placard. Encore, là, en secret.
Populaire discrète.
C'est parce qu'elle était d'envergure moyenne qu'on avait accepté de la placer au milieu d'un spectacle de fête nationale, dans un parc de banlieue.
Parce que le souvenir d'elle, ferait sourire.
Elle était plus souvenir que saveur du jour.
Dès 1985, à 21 ans, elle commençait à faire des compilations. Comme si elle avait toujours été pressée de mettre quelque chose derrière. De fermer les livres sur quelque chose. Le mot "amour" est ses dérivés était de presque tous ses titres. Comme si l'amour avait été une zone inexplicable pour elle. Inateignable. Une zone diffuse parce qu'on avait violé son intimité trop jeune.
Elle avait connu les feux et les artifices. Surtout les artifices.
L'animatrice de radio, qui avait ouvert les présentations en début de spectacle de la fête nationale, une jeune femme qui avait avait été populaire principalement grâce à ses bouclés cheveux roux à la télévision, et qui depuis se terrait à la radio, les cheveux plats, courts et blonds. l'avait presqu'oubliée en remerciant tous les invités de la soirée, tout juste avant les feux de fins de soirée.
Parce que son petit frère avait été repêché par les Nordiques au milieu des années 80 (il ne jouerait jamais dans la LNH) j'avais eu vent alors de son vrai nom.
J'étais amoureux de la chanteuse des années 80. En 1984, 1986, 1988, 1990.
Pas par désir de son corps. Par désir de son coeur.
Égratigné à jamais dans les mêmes années 80.Qui l'avaient fait naître en public et mourir en privé.
La chanteuse des années 80 a plus ou moins disparu de la constellation des étoiles de la pop entre 1990 et nos jours.
Elle a refait surface comme une noyée reviendrait à la hauteur de l'eau et de l'air en banlieue r
récemment.
Elle a eu la tête dans les étoiles à regarder les feux d'artifices de la soirée.
Et ceux qui auront marqué les 36 dernières années de sa vie.
Un soir de fête national.