Journaliste est un métier difficile qui impose parfois d’aller au bout de l’horreur turbo-libérale, cette horreur qui n’est jamais aussi insoutenable que lorsque le professionnel de l’information la trouve à côté de chez lui, dans la banalité du quotidien, au détour d’un fait divers ou, pire encore, dans le programme économique d’un parti d’extrême-droite. C’est à cette plongée dans l’abomination ultra-libérale que la presse nous convie discrètement alors que le Front National entend établir cet été son programme économique.
Et parfois, dès le chapeau des articles qui y sont consacrés, le doute est levé : le programme de Marine émet, sans doute possible, un gros parfum de turbo-libéralisme. Pour le journaliste lambda, élevé à la tétine étatique depuis l’École de Journalmimse jusqu’à son poste actuel en passant par ses nombreux stages et toute la nécessaire conscientisation citoyenne qui eut lieu à l’université où il fit ses armes, le parti d’extrême-droite n’est pas à droite pour rien (cette droite si terriblement pro-capitaliste et pro-patronat), et il peut, dès qu’il en a l’occasion, le démontrer avec brio.
De surcroît, on parle ici d’un parti qui aurait de toute façon bien du mal à changer sa ligne économique, celle qui fait son succès en surfant sur, justement, le néolibéralisme débridé, évident au moins depuis le précédent programme de 2012, et ce d’autant plus que c’est toujours Bernard Monot, économiste chevronné, qui est toujours à la barre et qu’il s’est amplement réclamé lui-même du libéralisme. Si ce n’est pas de la preuve en béton armé et de la fine analyse politico-économique, ça, messieurs dames, je ne sais pas ce que c’est.
Du reste, il suffit d’éplucher les articles pour se convaincre qu’on n’a pas sombré, par mégarde, dans une honteuse pignouferie de presse comme certains pourraient nous le faire croire.
Ainsi, selon le Figaro, les principales propositions se vautrent sans sourciller dans la facilité gigalibérale. Prenez la baisse des dépenses publiques, de 57% actuellement, que Marine veut ramener à 50% : un État qui ne gobe que la moitié de ce que ses assujettis produisent, voilà qui est à la fois particulièrement clément, et si ce n’est pas du libéralisme, qu’est-ce que c’est ?
Cette baisse serait heureusement financée par une fermeture des frontières (double-plus bon libéral), l’instauration de droits de douane (libéralisme, quand tu nous tiens !) et, bien évidemment, une lutte acharnée et sans merci contre ceux qui tentent d’échapper à la ponction fiscale (libéralisme, vous dis-je). Au passage, avec les taxes de douane serait aussi financée l’augmentation des bas salaires et l’augmentation du salaire minimum, ce dernier étant probablement l’exemple type de libéralisme appliqué. Enfin, notons l’augmentation de l’assiette des impôts à tous les Français, ce qui est, là encore, une bonne volée de libéralisme bien joufflu.
Remarquons tout de même que l’économiste frontiste préconise de cajoler les petits patrons, grâce à des allègements fiscaux conséquents et une priorité donnée aux entreprises locales dans les marchés publics. Gageons que cela ne favorisera absolument pas la connivence entre élus locaux et patrons intéressés, parce qu’une fois passée au Front National, la France sera enfin recomposée d’élus incorruptibles et de patrons responsables.
Et pour les gros patrons, comme le précise l’article du Parisien, notamment de banques, ce sera encore une fois une bonne louchée de libéralisme puisqu’à la liberté de former les alliances commerciales, économiques ou boursières qu’elles veulent, Marine Le Pen opposera une saine obligation de séparer leurs activités de détail et d’affaires : chacun sait que Lehman était une banque mixte, n’est-ce pas, et chacun sait qu’en intervenant ainsi plus ou moins massivement dans le domaine bancaire, l’État apporte toujours des problèmes solutions à tous les solutionsproblèmes.
On pourrait aussi mentionner cette tempête libérale que le Front soulèvera en expliquant que « les entreprises seront libres de choisir leur temps de travail », tempête évitant soigneusement le méchant turbolibéralisme puisque, rassurez-vous, pour ne pas grignoter la compétitivité des entreprises, les éventuelles heures supplémentaires générées seront alors intégralement financées par l’État. Ouf : le libéralisme, oui, mais pas l’ultra non plus, sachons raison garder.
D’ailleurs, les choses sont extrêmement claires, puisque de l’aveu même d’une des « têtes chercheuses » du FN en matière économique,
« Nous avons toujours dénoncé l’ultralibéralisme, mais nous sommes de vrais libéraux »
… Différenciation subtile qui expliquera probablement les petits envois de SMS de rappel à l’ordre de la patronne, Marine, à sa nièce Marion qui avait déposé quelques petits amendements à la Loi Travail à l’époque en discussion à l’Assemblée et encore en discussion au Sénat, dans la rue, dans les médias, au sein du gouvernement et – par voie de conséquence – dans tous les partis de France où cette loi a réussi le tour de force, en plus de dissoudre le Parti Socialiste, de semer la zizanie au Front National.
Il faut dire que Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère, d’une part en demandant de relever les seuils sociaux de 50 à 100 salariés pour le premier amendement et en demandant de supprimer (carrément !) l’article 1er bis de la loi sur le harcèlement sexuel pour le second. La loi, depuis passée avec délicatesse grâce au 49.3, n’aura heureusement pas subi cet assaut ultra-libéral de la part de Marion, sa tante Marine ayant fait le nécessaire et s’étant ensuite assurée qu’une fois la discussion au Sénat terminée, ces amendements ne reviendraient pas en deuxième lecture, non mais alors.
Bref, on le comprend : tant du côté de Bernard Monot, celui qui s’est chargé du volet « économique » du programme du Front National, que du côté de Marine Le Pen ou de son équipe, tout le monde est très manifestement prêt à injecter de belles grosses doses de ce libéralimse que les journalistes affectionnent tant de dénoncer, ce libéralimse qui impose la méchante austérité qui aurait – dit-on – frappé la France et ses 57% de dépenses publiques (en hausse ininterrompue depuis des lustres), ce libéralimse qui donne tous les pouvoirs aux méchants banquiers qui obligent les États et les gouvernement à souscrire des dettes par centaines de milliards en leur pointant leurs missiles nucléaires sur les tempes, ce même libéralimse qui a honteusement bousculé les collectivités territoriales dans les emprunts toxiques et la région de Ségolène Royal dans l’opprobre et la quasi-faillite, ce libéralimse barbouillé de toute cette liberté de placer tout un pays en état d’urgence, bref, ce libéralimse qu’on dénonce mais qu’on applique partout et qui reste l’alpha et l’oméga de tous les problèmes français, écrouelles et chaude-pisse comprises.
Tout ceci est évidemment fort confus.
De libéralisme, le vrai, basé sur la liberté et la responsabilité, il n’est déjà plus question depuis des douzaines d’années. Il n’est plus question de rendre aux individus leur liberté de faire ce qu’ils veulent des sommes honnêtement gagnées, mais il n’est question que de lutte contre la fraude ou d’augmentation des impôts. Et quand on parle de diminuer un tant soit peu l’emprise de l’État (de 57 à 50% – la moitié, sacrebleu, la moitié), c’est pour compenser bien vite en instaurant … de nouvelles taxes de douanes. Il n’est plus question de parler philosophie politique, puisque tout, en France, n’est plus qu’un vaste nuancier de rouges et de roses plus ou moins collectivistes, interventionnistes, colbertistes, socialistes ou carrément communistes.
Et l’apothéose est atteinte lorsque nos amis journalistes tentent de faire cracher le morceau (ultralibéral) à un programme qui n’en a même pas le vernis.
C’est grotesque.
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