La force du langage tient parfois à son absence, à sa distanciation d'avec l'ouvrage sonore pour dérouiller les mécanismes du discours induit, de l'image-mot. Tourné en 1968 entre bouleversements sociaux et éveil du mouvement cinématographique Zanzibar, Le Révélateur de Philippe Garrel est une enfilade de séquences interminables et totalement muettes où la rythmique n'est marquée que par l'itinérance et la répétition. Ce silence n'est pas un oubli, il appuie le sentiment d'isolement et de désespoir qui parcourt de bout en bout ce récit d'une famille dans la tourmente, perdue dans des paysages allemands au symbolisme onirique, pourchassée dans les jeux de lumière sous et surexposée de Michel Fournier. Long, morne, écrasant, le silence est le quatrième acteur du psychodrame, témoin muet et omniprésent des meurtrissures d'un couple sclérosé par sa parentalité. Du moins il l'était.
Presque 50 ans plus tard et avec l'accord du réalisateur, Mary Lattimore et Jeff Zeigler - tous deux connus pour avoir collaboré entre autres avec Kurt Vile - décident de rompre cette insonorité contemplative et absorbante comme une inversion de la gravité, pour développer une nouvelle mesure du rythme qui, si elle brûle une partie de la noirceur originale de l'œuvre expérimentale de Garrel, en accentue aussi l'expressivité, en particulier dans ses paraboles oniriques. Le dialogue gênant avec le silence n'existe plus, il est remplacé par les discrètes envolées de harpe de Lattimore frappant la trajectoire des touches pianotées par Zeigler. Éparpillées dans l'espace et offrant à la fois une couleur au noir et blanc initial et une profondeur aux travellings lugubres, les gammes atmosphériques arrondies d'accords ponctuels au Melodica habillent le film d'une orchestration aussi poétique que la narration, étroitement associée à l'action, mais qui peut se lire aussi indépendamment tant la qualité cinématographique est inhérente au projet.