On a pu décrire « Le siècle Denise René », galeriste qui a traversé son époque au service de l’art cinétique. Il ne semble pas abusif d’évoquer les années Templon à l’occasion de la sortie du livre de Julie Verlaine « Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain », tellement l’aventure du galeriste a accompagné tous ceux qui, depuis le début des années soixante dix, sont témoins de ce parcours totalement dédié au soutien de l’art de son temps.
Car c’est bien une épopée liée à celle de l’histoire contemporaine en France que cet ouvrage très documenté relate à partir de l’ouverture de la galerie de Daniel Templon en 1966 au moment où les premiers craquements dans le paysage artistique européen annoncent les profonds changements qui vont intervenir dans l’art du temps. Déjà, lors de la Biennale de Venise de 1964 lorsque, au terme d’un investissement quasi militaire, les États-Unis bouleversent la donne et que Robert Rauschenberg relègue au second plan le peintre Français Roger Bissière à qui le grand prix de peinture semblait promis, la puissance américaine prend le pouvoir sur l’art européen.
Très tôt Daniel Templon comprendra tout l’intérêt de prendre en compte un art mal connu en France et, en se rendant à New York, mettre en place une collaboration avec des artistes américains qui vont donner à sa galerie sa spécificité. Les noms de Carl André, Donald Judd, Frank Stella, Andy Warholl, Helmut Newton, Dan Flavin, Richard Serra, Robert Morris notamment, vont profondément modifier le regard de la génération des années soixante dix qui découvre là un univers nouveau. On apprend dans quelles conditions précaires Daniel Templon donne naissance à cette ouverture et organise ce premier voyage outre-atlantique en disposant de moyens financiers fort modestes.
Pour autant ce n’est pas seulement cet art venu d’Amérique que défendra le galeriste. Dès 1968 apparaissent les noms de Michel Journiac, Jean-Pierre Raynaud, Christian Boltanski, Jean Le Gac, Ben, Raymond Hains, Bernar Venet. C’est d’ailleurs ce dernier devenu New Yorkais, qui lui facilitera les contacts dans cette ville bouillonnante de créativité. Il faut se reporter à l’ouvrage pour tenter de cerner l’incroyable diversité de cette activité pendant un demi-siècle sans qu’il soit possible, pour autant, de désigner la ligne éditoriale de la galerie d’une façon unique comme il était possible de le faire pour Denise René. « Je n’ai jamais voulu me « spécialiser » dans une tendance dont on pourrait s’imaginer qu’elle serait la voie royale de la création au XXe siècle. Il n’y en a pas » affirme Daniel Templon. C’ est une notion encore mouvante d’ « art contemporain » qui positionne un cheminement dans une époque où apparaissent « Supports-Surfaces », l’art conceptuel notamment. La vie de la galerie témoigne de celle d’une autre aventure avec l’avènement du Centre Pompidou qui attire comme un aimant les galeries parmi lesquelles celle de Daniel Templon, la croissance des années quatre-vingt puis les difficultés des années quatre-vingt dix liées à la crise économique. C’est aussi l’évocation de ce rêve déçu : la Fondation Daniel Templon dont le projet bien avancé pour la ville de Fréjus ne verra pas finalement le jour.
« Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain » n’est donc pas seulement la relation d’une histoire personnelle toujours vivante, faite de succès et d’échecs. C’est un moment dans l’histoire de la société française qui, à travers ce que l’on appellera désormais l’art contemporain, change en profondeur avec une génération de l’après-guerre dont la vague démographique participera à l’éclatement des repères sociaux et culturels. A la fois travail d’historien et de journaliste (avec les entretiens réalisés avec Daniel Templon) , cet ouvrage passionnant captivera, je crois, tous ceux pour qui l’art de notre temps n’est pas un long fleuve tranquille.
« Daniel Templon ,une histoire d’art contemporain »
Julie Verlaine
Collection Ecrire L’art
Flammarion 2016