Histoire complexe d’une traduction : The Big Rock Candy Mountain, roman de
Wallace Stegner paru en 1943, était devenu, dans la traduction française de
1946, La montagne de mes rêves. Puis,
en 2002, dans une nouvelle traduction d’Eric Chédaille, La bonne grosse montagne en sucre, titre aujourd’hui simplifié,
pour une réédition au format de poche, en La montagne en sucre.
Elsa, une jeune fille d’origine norvégienne, quitte sa
famille parce qu’elle ne supporte pas le remariage de son père avec sa
meilleure amie. Son oncle, commerçant dans une petite ville, a accepté de la
prendre en charge, en échange des travaux ménagers. Une nouvelle vie commence, un
peu inquiétante, mais libératrice…
Pour elle qui ne connaît rien, ou presque, la rencontre avec
Bo Mason est une révélation : dur à cuire, il a déjà fait tous les métiers,
a bourlingué dans une bonne partie des Etats-Unis et ne manque pas de projets. En
outre, il est profondément amoureux d’Elsa et ne tarde pas à la conquérir. Avec
l’espoir de trouver enfin la stabilité et d’offrir à son épouse une existence
paisible, une fois fortune faite.
La question se pose cependant : où et comment faire
fortune ? Les meilleurs plans paraissent déjà avoir été appliqués par d’autres,
comme si Bo était arrivé trop tard. Il en faut plus pour le faire reculer.
Son rêve, le rêve américain est semblable à l’horizon :
chaque fois qu’on s’en approche, il s’éloigne. Il condamne Bo, Elsa et bientôt
leurs deux fils à une vie d’errance, en quête d’un bonheur matériel qui ne
coïncide pas exactement avec les aspirations d’Elsa. Elle aimerait se poser
enfin quelque part, quitte à vivre de peu, et trouver la sérénité plutôt que la
richesse. Mais Bo refait ses calculs, se lance à l’assaut des obstacles avec
toute son énergie jamais il ne les contourne et ne se laisse pas abattre sans
repartir dans une autre direction.
« Avec ça, jamais
content : quand les affaires marchent, il en veut davantage. Depuis que
nous avons commencé à gagner plus de cinq dollars à la fois, il se comporte
comme s’il avait constamment quelqu’un derrière lui. Mais comment veux-tu lui
dire qu’il aurait été trois fois plus heureux s’il était resté charpentier ?
Et à quoi cela servirait-il aujourd’hui ? »
Quand elle pose ces questions dans une lettre à son fils
cadet, Elsa a compris depuis longtemps que Bo était incorrigible. Elle avait
bien tenté de s’opposer à ses activités, non seulement illégales mais aussi
dangereuses, quand il avait commencé à trafiquer de l’alcool, en vain.
De ces destins liés pour le pire plutôt que pour le meilleur,
Wallace Stegner fait une épopée d’où ne sont, malgré tout, pas absents les
moments de bonheur. Le sale caractère de Bo ne l’empêche pas d’avoir un bon
fond, et il est si convaincu d’agir pour le bien des siens qu’on lui pardonne, comme
lui pardonne Elsa. Les relations sont moins simples avec ses fils dont il veut
faire, bien entendu, des hommes…
La montagne en sucre
a beau se révéler un leurre, elle conduit les personnages, et nous
aussi, dans une aventure humaine dont le romancier détaille tous les aspects
avec un réalisme puissant.