La bataille de Penang, par John R. Robertson

Par Mpbernet

Penang. Une île de Malaisie située le long du détroit de Malacca, importante plateforme commerciale qui sera bientôt supplantée par Singapour mais encore très active au début du XXème siècle. Une colonie de l’Empire britannique, comme le chapelet de comptoirs charbonniers égrené tout le long de la route des Indes …

J’ai pourtant lu bien des livres sur la Grande guerre. On pense spontanément à Verdun ou à la Marne et la Somme, moins logiquement aux batailles navales, comme la bataille du Jutland. Encore plus rarement aux combats d’Extrême-Orient. Il y eut pourtant ce combat du 28 octobre 1914 entre le croiseur corsaire allemand Emden qui s’insinua dans le port de Penang pour couler le croiseur russe Jemtchoug, puis un peu plus tard le contre-torpilleur français Mousquet parti à sa suite, avant de filer au large …

Il s’agit d’un livre d’historien, lui-même marin. Il s’appuie sur de nombreux témoignages  - en particulier celui du révérend William Cross, en poste à Penang avant d’officier à Singapour dans la chapelle presbytérienne proche du bâtiment YMCA où nous avons habité lors de notre dernier séjour - et est illustré de nombreuses cartes et photographies. Une façon de percevoir combien cette guerre fut mondiale, dans un contexte de la zone Pacifique encore mal connu. Et de concevoir une situation politique locale très confuse (la guerre civile en Chine, la montée en puissance du Japon), dans ces contrées si lointaines au climat si difficile pour les équipages, ainsi que des éléments technologiques tellement différents des guerres de notre temps.

La flottille française d’extrême orient est basée à Saïgon. Elle est placée sous l’autorité du vice-amiral d’escadre anglais Martyn Jerram, commandant en chef de la station de Chine. Le capitaine du port de Penang est le commandant Duncan MacIntyre. Privilégiant le trafic commercial permettant d’acheminer marchandises et transports de troupes vers l’Angleterre, il encourt une grande responsabilité en laissant les feux du port, phares et balises, allumés toute la nuit.

On imagine mal les difficultés d’approvisionnement en charbon (et les questions de qualité du combustible) des navires de guerre. Tous ces bâtiments sont contraints de démonter régulièrement leurs chaudières pour les décrasser, et, tandis que les navires sont à l’arrêt, ils ne sont pas manœuvrables, ne peuvent utiliser leur armement et sont incapables de communiquer avec la TSF … par ailleurs de faible portée, surtout par temps d’orage. Ainsi, lorsque l’Emden se glisse dans le port de Penang juste avant l’aurore, le navire russe est à l’arrêt, ses chaudières démontées, et il faut plusieurs heures aux navires français amarrés à quai pour monter en pression et passer à la contre-attaque.

D’autre part, le commandement britannique ne communique pas les codes aux alliés, français comme japonais. La seule façon d’identifier un navire est de se référer à sa silhouette, ce qui peut s’avérer difficile avec la brume de chaleur ou la nuit. Et surtout si un navire imagine de se fabriquer une cheminée factice, qui le fait confondre avec un bâtiment allié, et ne répond pas aux demandes d’identification des autorités du port … sans réaction de celles-ci.

Car c’est ce subterfuge qu’utilise le capitaine de vaisseau Karl Von Müller, extraordinaire commandant du croiseur allemand Emden, dont la trajectoire confine à la légende. Il sillonne l’océan indien à la recherche de navires marchands alliés qu’il coule systématiquement, tout en restant d’une extrême courtoisie vis-à-vis des équipages qu’il recueille, soigne à son bord puis remet à des navires ou des ports neutres. Au 20 octobre 1914, l’Emden a déjà neutralisé ou coulé 23 navires de commerce. Avec ses deux navires ravitailleurs et l’excellent charbon gallois récupéré, il peut encore tenir la mer pendant une année. Il devient le cauchemar de Jerram, dont les patrouilleurs manquent à plusieurs reprises de le rencontrer …

La traque finira cependant par aboutir le 8 novembre 1914, le croiseur-cuirassé australien Sydney détruisant l’Emden qui s’échoue sur le récif de North Keeling Island.

Une odyssée de légende, des marins exceptionnels, des négligences chez les alliés, des incompréhensions et des falsifications de la part des britanniques visant à faire porter le châpeau du désastre aux Français et aux Russes … un livre d’histoire qui se dévore comme un polar …

La bataille de Penang, la Première Guerre mondiale en Extrême-Orient, par John R. Robertson, traduit par Olivier Colette, éditions Intervalles, 342 p., 19€