J’ai relu ce roman de l’écrivaine chilienne par hasard – car je relis très peu de livres depuis que ma PAL a pris des proportions démesurées. Un proche avait sorti ce livre de ma bibliothèque pour le lire, puis l’avait laissé de côté. Un beau jour, clouée sur le canapé avec mon bébé qui tétait, je l’ai ouvert car il était à portée de ma main libre, et sa narration m’a de nouveau happée.
S’il y a bien une chose pour laquelle je remercie ma prof d’espagnol au lycée, une dame autrement assez austère, c’est de m’avoir fait lire D’Amour et d’ombres d’Isabel Allende et L’Amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez. Vous remarquerez la présence du mot « amour » dans les deux titres. Je pense que sous ses dehors un peu revêches, cette prof était une grande sentimentale. Pour la majorité de la classe l’espagnol était la langue maternelle, donc ses cours s’apparentaient davantage à des leçons de lettres même si on ne coupait pas aux exercices de grammaire (mais je ne sais toujours pas conjuguer mes verbes à la deuxième personne du pluriel, cette forme ne s’utilisant pas au Mexique ;-) ).
J’ai retrouvé le plaisir de lire en espagnol. Cela faisait longtemps. C’est vrai quoi, les langues ne sont pas neutres, d’où le problème insoluble des traductions. Un roman écrit en espagnol apporte, me semble-t-il, un ton percutant, hardi et plein de vitalité. On dirait qu’en espagnol, les écrivains sont libres d’inventer davantage, d’innover dans la forme comme dans la narration. Bon je sais qu’Isabel Allende a été accusée de copier Garcia Marquez et son fameux « réalisme magique », et c’est vrai que l’anecdote du « nouveau né tombé de la lucarne » pourrait se retrouver telle quelle dans Cent ans de solitude. De même qu’une réplique d’un personnage est une référence transparente à un titre du prix Nobel colombien (je laisse le soin aux petits curieux de rechercher cette réplique !)
Malgré tout, elle sait raconter des histoires, et ses personnages, bien que stéréotypés, ont beaucoup de vie. On se les représente tout de suite et on s’y attache en quelques pages seulement. Ici, nous faisons connaissance d’Irene Beltran, une jeune fille des beaux quartiers de Santiago du Chili du temps de la dictature de Pinochet. Sa mère est une snob finie et entichée de la dictature des militaires comme beaucoup de gens de son milieu. Irene est journaliste dans une revue féminine. Elle fait équipe avec Francisco Leal, un fils d’émigrés républicains espagnols ayant fui – ô ironie – la dictature franquiste, un psychologue devenu photographe pour gagner sa vie. Irene est une jeune femme joyeuse, insouciante, belle (évidemment), bonne de surcroît, mais hélas pour Francisco, fiancée à un beau capitaine. Un beau jour, ils partent faire un reportage sur une jeune paysanne pauvre en proie à des phénomènes surnaturels quotidiens qui ameutent tout le voisinage. Manque de bol, les militaires se sont invités à la fête ce jour-là. Et c’est ainsi que, sans l’avoir prévu, Irene et Francisco s’engagent sur un sentier dangereux : une enquête sur les « disparus » de la dictature…
C’est donc une histoire qui navigue entre eros et thanatos, deux ingrédients certes pas nouveaux dans le genre romanesque, mais qui trouve ici une nouvelle inscription dans le contexte du Chili placé sous la férule de « el General » Pinochet : en gros, la puissance de l’amour d’Irene et Francisco les sauvent des horreurs de la dictature militaire. De façon générale, Allende trousse des personnages bien sympathiques, nouant des liens familiaux et amicaux sympathiques, et dont les « good vibrations » s’opposent aux forces du mal. L’histoire d’amour Irene-Francisco est sa grande réussite, leur halo de couple mythique m’ayant fait penser au couple Eléa/Païkan dans La nuit des temps de Barjavel (un autre hit de mes années d’adolescence). Mais les personnages secondaires sont aussi séduisants, pittoresques et attachants, que ce soit la nounou d’Irene ou le père de Francisco, vieil anar’ au cœur tendre et au logos enflammé. Plusieurs flash-backs permettent d’ailleurs d’en savoir plus sur chacun d’eux. L’ensemble est enlevé, bien rythmé, dramatique à souhait, avec ce qu’il faut de rebondissements. La cécité de certaines classes sociales élevées face aux réalités du régime est dénoncée. Les gentils gagnent en partie, grâce à l’aide de l’Eglise catholique, seule force sociale restée à peu près indemne face au pouvoir.
Voilà, c’est peut-être plein de bons sentiments mais ça a de nouveau bien fonctionné avec moi !