[Décryptage] Paris rejoint d'autres villes pour s’élever contre l'ubérisation. Retour sur situation paradoxale pour une ville qui prône l'excellence dans le domaine de l'innovation.
Après Uber et AirBnB, la mairie de Paris s’en prend à Heetch et Amazon. Dans chacun de ces dossiers, les raisons sont différentes et loin d’ailleurs d’être toujours injustifiées. Manque de transparence fiscale, concurrence « déloyale », travail dissimulé, menace sur les équilibres et acteurs économiques de la Cité : la liste des griefs est longue. Combat que la Capitale n’est pas la seule à mener. D’autres grandes cités du monde, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, se sont attaquées à certaines de ces stars du digital dont l’essor des plateformes s’assoit parfois sur des vides juridiques et des interprétations disons « souples » des législations locales ou nationales.
Paris, une ville se sentant menacée comme tant d'autres
On se souvient que la ville de San Francisco en 2014 avait purement et simplement interdit l’utilisation d’une application développée par les Italiens de Monkey Parking. L’idée était pourtant très bonne, puisque la startup permettait à des milliers de personnes à travers le monde de mettre aux enchères leur place de stationnement public. Lancée en mai à San Francisco, l’application avait très rapidement eu du succès auprès des automobilistes. En moyenne, une place de stationnement s’y vendait entre 5 et 20 dollars.
Cet exemple démontre parfaitement le fait que les pouvoirs publics ne voient pas d’un très bon oeil l’uberisation de leurs recettes. La nature des nouveaux revenus des acteurs qui permettent ces succès, qu’ils soient chauffeurs, livreurs ou loueurs de surface d’habitations, reste difficile à apprécier… et surtout à taxer. Nous retrouvons là le traditionnel combat des rentiers et des barbares, des innovateurs et des conservateurs, sans préjuger du bienfondé des uns et des autres : ceux qui font bouger les lignes en violant allégrement les frontières, prix à payer à leurs yeux pour pouvoir construire le monde de demain, et ceux qui résistent sur leur ligne Maginot, tentant désespérément de sauvegarder le monde d’hier, estimant à tort ou à raison qu’il a fait ses preuves.
Paris, une ville qui, pourtant, se veut chantre de l'innovation
Nous regretterons simplement l’impression de malaise laissée par ces initiatives répétées de la ville de Paris qui, vu d’ailleurs, pourraient donner à penser qu'elle mène sa propre guerre contre les « disrupteurs » du monde numérique et se fait le chantre de la vieille économie contre la nouvelle. Ce n’est peut etre qu’une question d’image mais pas à l’honneur de la ville de la Tour Eiffel où les grèves contre la loi travail ont vu les trains s’arrêter et les ordures s’entasser. Rappelons au passage que la Tour Eiffel symbole indiscutable aujourd’hui fut sauvée en son temps par l’essor des télécommunications.
Cette image s’avère d’autant plus gênante et contreproductive que la Capitale n’est pas en retard sur les projets digitaux de tous ordres et accueille un écosystème numérique de pointe fait de start-ups et d’initiatives publiques et privées, menées notamment sous la houlette de l’équipe municipale avec, aux côtés d’Anne Hidalgo, un Jean-Louis Missika qui réussit l’alliage entre dynamisme digital et convictions environnementales. L’Ecole 42 ou le futur incubateur Freyssinet en sont de très bons exemples, sans oublier ce qui est fait par Paris&Co et Loïc Dosseur.
Paris, une ville qui sera bientôt amenée à trancher
Afin d’éviter de basculer dans la caricature, la ville pourrait adopter une tactique moins systématique et, notamment, faire la différence entre un nouveau service qui remplit un manque – ce qui est le cas de Heetch qui ramène, la nuit, les jeunes dans les banlieues où les taxis et VTC ne vont plus, sans les contraindre à attendre plusieurs heures le premier métro ou le noctilien – d’une activité véritablement menaçante pour l’économie et l’emploi ou contournant de façon trop évidente les législations sociales ou fiscales françaises, au détriment de la collectivité.
A cet égard, le cas Amazon sera intéressant à suivre. Livrer en moins d’une heure des produits frais au cœur de la Capitale constitue-t-il un cas flagrant de danger pour les acteurs locaux ou une simple application des règles élémentaires de saine concurrence ? A moins que l’argument ne soit autre, de type écologique pour éviter la multiplication des livraisons polluantes intramuros. Et dans ce cas, Amazon ne pourra pas être le seul à être montré du doigt, d’autant que le géant américain a déjà recours à des coursiers à vélo à Manhattan.