Si les vertus thérapeutiques de l’eau de mer sont louées par les civilisations antiques, (égyptiennes, grecques et romaines), ses bienfaits tombent ensuite dans l’oubli pendant plusieurs siècles…
« Ceux qui sont mordus par les chiens enragés se vont baigner à la mer »
Au Moyen-Âge, le moins que l’on puisse dire, c’est que les océans n’ont pas la cote. Synonymes de tempêtes meurtrières, de naufrages terribles, d’assauts de pirates, d’invasions ou d’épidémies, de monstres et de sirènes ensorcelantes, ils terrifient. L’homme s’en tient à l’écart, car la mer « demeure le lieu de mystères insondables ». Les maisons sont construites à l’intérieur des terres, loin des rivages.
Mais progressivement, la peur qu’inspire la navigation s’estompe. Couplée à de sensibles progrès techniques, elle permet de fascinantes découvertes, qui excitent tant la curiosité qu’on en oublie la dangerosité du voyage…
Au XVIème et XVIIème siècle, on commence à être convaincu que la mer est l’unique remède à de terribles maladies, comme la rage. Cependant les méthodes restent expéditives. Madame de Sévigné nous raconte que trois filles d’honneur de la Reine Marie-Thérèse ayant été mordues par un chien enragé, l’épouse de Louis XIV ordonne qu’elles se rendent à Dieppe pour y être « jetées trois fois dans la mer » ! C’est d’ailleurs la définition que l’on trouve, dans ce XVIIIème siècle, du mot « baigner » :
Ceux qui sont mordus par les chiens enragés se vont baigner à la mer !
Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIème siècle pour voir apparaître les premiers véritables « bains de mer ».
Une… torture venue d’Angleterre
En Angleterre, les bains aux effets curatifs sont mis au goût du jour par des médecins qui prônent les vertus thérapeutiques de l’eau salée et la tonicité de l’air marin. Mais cette thérapie n’est pas une partie de plaisir…
Comme les femmes bien nées veulent à tout prix protéger leur peau des rayons néfastes du soleil, les bains ont lieu en hiver. Le patient descend de sa cabine par un système de marchepieds, dans une eau d’à peine 10 degrés, et à marée haute. On appelle cela « l’immersion » :
Le malade, de bon matin et à jeun, est précipité par des garçons baigneurs dans les vagues au moment où elles se brisent. Le maintien de la tête sous l’eau (jusqu’à la suffocation et l’angoisse de la noyade) est au cœur de cette thérapie du choc salvateur.
Une suffocation qui doit permettre de guérir le corps des maladies ! En guise de réconfort après cette terrible épreuve, le patient a droit à un verre d’alcool et des frictions énergiques… A moitié noyé, le malade doit bien se remettre de ses émotions !
Guérir ses maux
Gravure de mode, Figaro Mode, à la fin du XIXème siècle
Les jeunes nobles anglais, à partir de 1750, se prêtent donc à l’exercice du bain de mer, assurant la fortune de quelques stations : Margate, Scarborough, Brighton. C’est dans cette dernière que le Roi George III (1738 – 1820) est envoyé par ses médecins, qui craignent pour sa santé mentale. Son fils le prince des Galles, future George IV vient aussi s’y soigner à partir de 1783.
Car ces bains de mer peu agréables, excentricité alors réservée à une élite, sont avant tout prescription médicale : on y soigne des maux aussi variés que constipation, dépression, impuissance, infertilité, troubles nerveux, problèmes de peau, douleurs liées à des blessures, rhumatismes, asthme ou anémie…
En France, l’aristocratie, frappée d’anglomanie, et sujette au romantisme, au goût du sublime, à l’étouffement des corsets et à la dépression postrévolutionnaire, se précipite bientôt dans les flots glacés de la Manche.
Cet engouement médical pour les bains de mer devient, en France, un véritable phénomène de société. Ces bains sont particulièrement recommandés aux femmes des villes, celles dont le corps est déformé par la mode des corsets, et aux enfants dont la peau semble trop fine et trop pâle.
La station de Dieppe est populaire car, non loin des côtes britanniques, elle est déjà fréquentée par des aristocrates anglais : elle est aussi proche de Paris. Surtout, on ne risque pas d’attraper de coups de soleil ! Il faudra attendre des décennies avant que la haute société ne se risque sur les rivages de la méditerranée, même si, petit à petit, les cures ne se prennent plus uniquement en hiver mais aussi en été.
Les Bonaparte adeptes des cures
Louis Bonaparte, futur Roi de Hollande, l’un des jeunes frères de Napoléon, souffre d’un rhumatisme paralysant de la main droite.
Il entreprend de nombreuses cures dans l’espoir de soigner son mal : Plombières, les eaux des Pyrénées (de Bagnères à Barèges), mais aussi à Ussat, dans l’Arriège ou encore à Wiesbaden en Allemagne. Les cures restent sans effet. Il perdra presque l’usage de sa main.
Son épouse Hortense de Beauharnais, fille de l’Impératrice Joséphine, affectionne particulièrement les eaux sulfureuses d’Aix-en-Savoie (Aix-les-Bains). Sa mère l’accompagne souvent dans cette station où elle séjourne elle-même depuis le Directoire.
Aix-en-Savoie est réellement mise à la mode sous l’Empire grâce à la présence des princesses impériales : Pauline, Julie, sa sœur Désirée, Joséphine et sa fille, et plus tard l’Impératrice Marie-Louise.
Elles viennent profiter des vertus curatives des eaux, mais surtout couler une existence paisible, au milieu d’un paysage splendide, entrecoupée d’excursions en compagnie d’une société choisie, ou bien dans les « jardins escarpés de la Maison Chevalley », délicieuse résidence d’Hortense.
On prenait (ou on ne prenait pas) les eaux, mais on était assuré de mener, pendant de longues semaines, de mai à septembre généralement, une vie exquise et qui constituait l’occasion de ce que nous appelons aujourd’hui une « remise en forme »
La Reine Hortense par Antoine Ducleaux à Aix-en-Savoie (Aix-les-Bains), en 1813
Les femmes Bonaparte sont de ferventes partisanes des stations thermales. Elisa, devenue Grande-Duchesse de Toscane, expérimente les fameux Bagni de Pise, de Florence et de Lucques, ces derniers étant très prisés, car dotés de résidences en hauteur permettant d’avoir une vue vertigineuse sur le torrent. Elisa les conseille à sa sœur Pauline, qui souffre de problèmes intimes et raffole des bains de lait : car l’on vient en cure pour l’eau de mer, mais aussi pour le lait, la boue, le vin…
La duchesse de Berry à Dieppe
La duchesse de Berry en 1825, par Thomas Lawrence (collections du château de Versailles)
C’est Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry et belle-fille du Roi Charles X qui, à partir de 1824, met à la mode la côte normande en jetant son dévolu sur Dieppe, où elle se rend chaque année. C’est elle qui en fait véritablement une villégiature prisée.
Elle habite un hôtel avec vue sur la mer, où elle mène un train royal, et l’appartement des bains se compose d’une longue loge couverte ayant un salon à chaque extrémité. On descend sur la plage par deux escaliers : les cabines pour baigneurs sont visibles depuis la terrasse.
Les curieux se massent pour apercevoir la jeune femme prendre son bain matinal. C’est que, à une époque où l’on préconise les bains de mer pour soigner les malades et où le principe même de la natation est encore étranger, elle prend du plaisir à « nager » !
La plupart des jeunes femmes de la Cour n’ont pas appris la natation, aussi les brasses de Madame dans la mer « démontée », en « tenue de naïade », font-elles leur effet et scandalisent les dévots.
Mais la plupart du temps, ceux qui espèrent apercevoir la duchesse en tenue légère sont bien désappointés. Marie-Caroline est vêtue d’un attirail complet qui ne laisse voir aucune parcelle de son anatomie :
Toque à brides en toile festonnée ; un paletot et une robe de laine marron galonnée de bleu et des bottes contre les crabes !
Plus tard, Clémentine d’Orléans, fille du Roi Louis-Philippe, choquera aussi son monde en pratiquant allègrement la natation, ne craignant ni l’eau froide ni les commérages !
Essor exceptionnel sous le Second Empire
Durant le Second Empire émerge un véritable modèle de station à la française. Les stations sont urbanisées : hôtels, lotissements paysagés, villas, placettes, fontaines… L’ouverture de lignes de « trains de plaisir » permettent de se rendre dans un nombre croissant de stations directement depuis Paris. Le demi-frère de Napoléon III, le duc de Morny, s’attèle à faire de Deauville une station balnéaire prisée des plus grandes personnalités européennes.
Mais c’est Biarritz qui a la préférence du couple impérial, et plus particulièrement de l’Impératrice Eugénie. Elle aime le Pays Basque, si proche de son Espagne natale.
Dès 1854, soit un an après l’instauration du Second Empire, elle souhaite retrouver cette plage qu’elle connaissait et où elle s’était baignée avec sa mère quand elle était jeune fille.
Ce site sauvage fait de landes et de dunes, devient l’une des plus fameuses destinations en Europe :
Le soleil fait moins peur et, peu à peu, ses vertus sont reconnus dans le traitement des maladies pulmonaires et du rachitisme.
La plage de Biarritz sous le Second Empire
L’Impératrice se fait construire une villa, la villa Eugénie, qui offre une vue splendide sur la mer : après de nombreuses transformations, la villa est toujours debout, et constitue l’un des plus beaux palaces d’Europe, l’hôtel du Palais. Eugénie possède sa propre cabine de bain au pied de la villa.
Si la ville demeure plus célèbre pour son Casino que pour ses Bains, nombreuses sont les personnalités à suivre l’habitude de la souveraine des Français… Si ils ne se montrent pas trop frileux. Le 1er septembre 1858 Eugénie écrit depuis Biarritz :
La mer est bien froide, et il faut beaucoup de force morale pour se décider à y entrer. Cependant, je n’ai pas encore manqué un seul bain depuis que je suis ici.
A la même époque, Elisabeth d’Autriche (Sissi), raffole également des bains de mer. En 1860, alors qu’elle est mal remise de la naissance de son fils Rodolphe, et qu’elle souffre de langueur, on lui prescrit un séjour dans un climat doux et chaud : l’île portugaise de Madère. Elle exige de prendre des bains de mer : sa suite, horrifiée, la regarde se jeter dans les vagues sans user de cabine, en simple « robe de bain », nageant sans se soucier des regards, rieuse… Elisabeth n’a que faire de la conformité !
Une activité codifiée
Tout au long du XIXème siècle, prendre un bain est une grande affaire. Pour entrer dans l’eau, le baigneur, souvent une femme, doit se soumettre à un rituel contraignant qui comprend des accessoires masquant la nudité : extrême pudeur du siècle oblige !
Le patient, dans une loge mobile en bois qui rappelle la chaise à porteur et bientôt perfectionnée en une cabine avec roues tractée par des chevaux, gagne la mer sans s’exposer.
Celui qu’on appelle le Guide a pour rôle de mener le malade dans l’eau, de veiller sur lui. Jusqu’en 1900, il n’est pas tenu de savoir nager !
Il est bon que le guide sache nager, mais je n’en fais pas une condition indispensable pourvu qu’il ait le pied marin et qu’il soit prudent et ferme à la mer » Docteur J. Le Cœur, Guide médical et hygiénique du baigneur (1846)
Jusqu’en 1820, on observe une stricte séparation des bains des femmes et ceux des hommes. Même le temps de baignade est minutée : il est conseillé de ne pas se tremper plus de cinq à dix minutes…
Les femmes, couvertes de la tête au pied, coiffées d’un bonnet obligatoire, portent des habits chauds et des robes. Dans la seconde moitié du XIXème, les robes laissent place à un pantalon bouffant et à une chemise.
« Près des flots à Ostende », gravure colorée, 1897
La promenade ainsi que les divertissements font partie intégrante de cette remise en forme. Les marches quotidiennes sur la digue ou les terrasses sont recommandées pour la méditation, la contemplation, essentielles à la réussite de la thérapie.
Les stations de thérapie sont un lieu de vie en communauté. Il faut être vu. Elles sont toutes pourvues d’un ou plusieurs salons, d’une salle de lecture et d’une salle de bal : cela fait partie de l’ambiance balnéaire. La musique y tient une place primordiale : dans les stations importantes se tiennent au minimum deux orchestres.
Vers le tourisme de masse
La guerre de 1870, en même temps que l’effondrement du Second Empire, marque un brutal arrêt dans le développement des stations balnéaires : le dynamisme économique est stoppé pendant une dizaine d’années, puis reprend entre les années 1890 jusqu’à la Première Guerre Mondiale, démocratisant les bains de mer, qui ne sont plus seulement prisés pour leurs vertus thérapeutiques.
A partir des années 1930, le modèle économique et social des stations s’oriente vers un tourisme de masse, grâce aux quinze jours de congés payés octroyés par le gouvernement Léon Blum en 1936. Les stations balnéaires deviennent, après la Seconde Guerre Mondiale, représentative d’une société de consommation à la recherche de joie de vivre, le fameux « Sea, Sex and Sun », alternant sport et farniente.
Sources
♦ Les maillots de bain. Les carnets de la mode
♦ Historia : l’étonnante histoire des bains de mer
♦ Eugénie, la dernière impératrice : Ou les larmes de la gloire
♦ Sissi : Les Forces du destin
♦ La reine Hortense
♦ La Duchesse de Berry