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Tout le monde vient me dire et m’écrire : « Mais comment se fait-ce, tu n’as pas fait d’article sur le brexit ? ».
Ben non, rien ne presse et pour de très nombreuses raisons. La première est que ce blog est dédié essentiellement aux droits LGBT et aux faits culturels ou politiques en rapport avec ces libertés. Or bien que la poussée d’urticaire conservateur à l’origine du vote du brexit chez nos ennemis anglais puisse effectivement retentir un peu sur les libertés sociétales et sexuelles, je ne les vois pas pour autant remettre les bûchers au goût du jour sur les places de village.
Ensuite, parce que l’événement lui-même, -le vote- n’est que le premier caillou qui a bougé et déclenché un éboulement qui va encore en grossissant, avec des conséquences en cascade dont les plus nombreuses restent encore à venir et ne sont pas toutes prévisibles. Et malgré le gros nuage de poussière, -essentiellement médiatique et donc un peu boursier-, rien ne démontre à ce jour qu’il atteindra des zones habitées.
C’est dire si les commentaires empressés de certains, les « je vous l’avez bien dit » tout comme les « vous allez voir » me semblent bien dérisoires par rapport à la grande variété de situations qui restent encore possibles. A commencer par l’éventualité de l’avortement du processus, à continuer par le peu de différence entre l’avant et l’après s’il a lieu.
Pour reprendre du début, il faut quand même remettre les choses en place : ce référendum n’est que consultatif, il n’a aucune valeur d’obligation ni d’autorité institutionnelle. La sortie du Royaume Uni de l’Europe doit résulter d’une déclaration en bonne et due forme, que personne là-bas, semble-t-il, ne s’est empressé de rédiger, et nul doute que le premier ministre qui trempera sa plume dans l’encrier pour la faire ne la signera qu’après consultation du parlement, qui est actuellement opposé au projet, et dont un renouvellement à la suite d’élections anticipées ne changera pas forcément l’opinion sur le sujet.
Alors, tous ceux qui se félicitent de la soi-disant irréversibilité de l’événement, tout comme ceux qui tirent des plans sur une comète qui, comme toutes les comètes, passent sans jamais nous atteindre, sont essentiellement ceux que cela dérange dans leur petites affaires ou que cela arrange de la même manière, sans parler de ceux qui s’emparent de tous les événements possibles pour occuper le devant de la scène et tirer quelque avantage de la situation.
Les empressés de la rupture devraient se souvenir du cas que la France en général et Sarkozy en particulier ont fait du référendum de 2005, qui avait vu les Français dire non au projet de constitution européenne, proclamant ainsi non pas qu’ils étaient contre l’Europe, mais plutôt que ce n’était pas de cette Europe là qu’ils voulaient. …
La question avait été mal posée, le débat mal orienté, le résultat mal interprété. La Constitution a finalement été ratifiée.
Dans l’absolu, la situation est déjà ambiguë en ce sens que les voisins d’en face sont des insulaires égocentriques qui ont toujours l’Empire Britannique dans leurs fantasmes et dont le subconscient estime sans désemparer que c’est l’Europe qui devrait appartenir à ce dit empire, et non leur pays à une union de barbares continentaux.
Ils ont donc plus que tout autre associé, une fâcheuse propension à préférer les avantages aux inconvénients et les droits aux devoirs. Certes, c’est humain, mais comme ils se prennent volontiers pour des surhommes, ces penchants sont devenus chez eux des super-penchants.
Ajoutez à cela la vieille rivalité qui, depuis bien avant Jeanne d’Arc, oppose le grand Breton aux petits Bretons de toutes sortes et aux peuplades de la grande terre, et vous trouverez chez nous autant de sujets prompts à susciter des levées de fourches pour écarter l’Albion de leurs pâturages.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’une levée du fourches et d’une vocifération populiste. Je vois un parallèle évident entre ce vote du brexit et la montée des nationalistes et autres tribuns grincheux dans les pays européens. L’adage « moins on est instruit, plus on vote Front National » a trouvé sa vérification grandeur nature en Angleterre aussi clairement qu’il a été chez nous établi par des études qualitatives des électorats.
Ajoutez à cela la peur de l’étranger, la perspective soigneusement cultivée d’une invasion de migrants, quelques déclarations d’immams hystériques montées en épingle par les tabloïds, saupoudrez d’une pincée d’attentats, et vous obtenez le vote du brexit.
C’est aussi le vote des vieux contre les jeunes, d’autant plus paradoxal que les premiers n’auront plus guère de temps pour profiter de la nouvelle situation qu’ils auront voulu (ou pour la subir), alors que les seconds seront empêchés de bâtir la société ouverte et pluraliste sans laquelle ils ne se voient pas de futur.
Loin de moi l’idée de prêcher pour la globalisation, mais il est des divisions quasi villageoises en-dessous desquelles une société ne peut plus espérer aucune sorte d’avenir.
Alors, que risque-t-il de se passer, finalement ? A part une agitation boursière que l’appât du gain et les combines multinationales finira par calmer, et quelques prises de positions qui paraîtront dérisoires dans quelques années ?
Sans doute la réaction bruxelloise du « Faut faire vite, maintenant » n’est elle pas, comme on pourrait le croire, la version politique du « bourreau finissons-en », puisqu’on a vu que dans les textes, rien n’obligeait pour le moment le bourreau à officier dans l’urgence.
C’est sans doute la pensée déraisonnable qu’on va enfin « se débarrasser des Anglais », pensée hautement irréaliste puisque même déliés du contrat de mariage, les Anglais resteront nos voisins géographiques et économiques, et que bien des divorcés peuvent attester qu’une épouse peut être bien plus nuisible après le divorce qu’avant.
Non, on ne va pas « se débarrasser des Anglais » puisqu’il faudra continuer à leur acheter plein de trucs, à leur en vendre des tas d’autres, ce sont des besoins autant pour eux que pour nous, et qu’il faudra tout renégocier pour le faire à tout prix, et que ce nouvel « à tout prix » risque d’être plus coûteux que le précédent.
Ils vont rester d’encombrants voisins, et qu’ils appartiennent ou non au conseil syndical ne changera pas grand-chose à notre promiscuité, avec ses avantages et ses inconvénients.
Quant aux irresponsables qui, par exemple, ont déclaré dans la foulée du vote que « le problème de Calais était résolu », ils ont juste laisser éclater leur compétence : le traité du Touquet, de février 2003 n’est que l’arrangement nécessaire à la fermeture de Sangatte, c’est un traité bilatéral de voisinage, d’organisation de frontière complètement indépendant des accords européens.
Laisser partir les migrants vers l’Angleterre, c’est juste s’exposer au risque de les voir revenir le lendemain, après qu’ils se soient vus refuser leur entrée sur le territoire d’en face. Cela ne change pas un yota à la nécessité de gérer leur présence.
En résumé, ce brexit n’est que le vote de ceux qui pensent que la vue du clocher de leur paroisse et du bout de leur rue suffit à assurer leur existence, comme si aucune planète n’existait au-delà de leur myopie. C’est le dernier avatar du « Comment peut-on être Persan ? »…
Le problème est qu’on n’a pas fini d’en entendre parler, que cela repose le problème des avantages et inconvénients de la démocratie, étant entendu qu’aucun système n’est parfait et que tout a un prix…
En tirera-t-on les leçons ? Peu probable. Ses partisans reconnaîtront-ils qu’ils se sont fait berner par les mensonges du très conservateur et très homophobe Nigel Farage et par l’opportuniste versatilité de leur gros blond Boris Johnson ? Non, ils en seront bien conscient, mais ils ne le reconnaîtront pas, petite fierté paroissiale oblige. Comment dit-on « chauvinisme » en anglais ?
Les électeurs du front national établiront-ils le parallèle entre les boniments de Farage et les virevoltes de Johnson avec les discours creux et opportunistes de leurs leaders, qui n’ont toujours aucun programme et changent de bouc-émissaire suivant les modes de la haine internationale, comprendront-ils que la chute de la Livre n’est qu’un avertissement de ce que serait celle du Franc si d’aventure nous cédions aux nostalgie de la grosse sirène blonde ?
Peu probable. La vie politique continue avec tout ce qu’elle a d’insensé, d’irrationnel, d’artificiel, de calculateur et de mensonger.
Vive l’aventure ?