Le BREXIT a sonné l’Europe. Littéralement. La voici K-O debout. Au Royaume Uni, la dislocation politique se poursuit. Ailleurs en Europe, c'est le bordel. Mardi soir, c’est un nouvel attentat à l’aéroport d’Istanbul qui fait le reste. Le 21ème siècle est d’abord politique. Dramatiquement politique.
Le BREXIT est d’abord un gigantesque cas pratique, un exercice grandeur nature de pédagogie sur l’intégration et la désintégration européenne.
1. La politique prime.
Le vote ric-rac des Britanniques en faveur d’une sortie de l’Union européenne est l’irruption soudaine de la Politique avec un grand P dans un monde endormi par le story-telling à la mode TINA*.
Contre une mondialisation « inévitable », la marche du progrès réactionnaire à la sauce GAFA défiscalisé et autres régressions sociales en salves répétées (telle cette loi El-Khomri en France), l’affaiblissement supposé des clivages et la disparition de toute vision systémique des évolutions qui nous entourent, le vote britannique a sonné comme un coup de boule: un coup sec, brutal et sourd qui déséquilibre.
2. Les partisans du NON n’avaient pas de plan.
Ils ont menti aux électeurs, trahi leurs promesses, maquillé la réalité. A Londres, les leaders du BREXIT se désavouent un à un. Les partisans du BREXIT ont voté sur un malentendu et des mensonges. La xénophobie, agité comme argument électoral à tout bout de champs, de Londres à Paris, a fait des ravages. Il n'y a sans doute que l'extrême droite française pour ne pas comprendre ce désastre.
En fin de semaine, Boris Johnson, l’ex-maire conservateur de Londres et héros du BREXIT, jette l'éponge. Il renonce à concourir pour remplacer David Cameron, un mélange de trouille et d'inconséquence politique. Cette volte-face extra-ordinaire aggrave la crise.
Après lui, le déluge ? Non, l'homme est simplement un clown.
"Le camp du ‘Out’ est en guerre, Boris Johnson se retire de la course au poste de Premier ministre” The Financial Times.
3. Le BREXIT affaibli aussi les perdants.
L’apprenti sorcier libéral qui a déclenché ce référendum caricatural n’assume pas. David Cameron veut d’abord gagner du temps: pas de discussion de sortie avant l’automne. Mais Paris, Bruxelles ou Berlin ne veulent pas attendre.
A gauche, 81% des députés travaillistes votent une motion de défiance contre leur leader Jeremy Corbyn.
4. Sortir de l’Europe a un prix.
Peu avare en mensonges, Boris Johnson se fend d’une tribune dans la presse pour expliquer que les Britanniques ne perdront aucune libre-circulation des biens, des services et des hommes entre le Royaume Uni et le grand marché européen.
On croit rêver…
L’homme, si préoccupé à attiser la xénophobie pour motiver le plus grand nombre (et les plus fragiles) à voter la sortie, n’avait sans doute pas pris la peine de bien lire les traités: l’Europe n’est pas la passoire que l’on décrit.
5. L’Union européenne attire.
Trop à l’étroit au sein du royaume anglo-saxon, l’Ecosse veut partir.
La première ministre écossaise file à Bruxelles expliquer combien elle souhaite que l’Ecosse se désolidarise du RU et adhère à l’UE. L’intégration européenne, un « élan en faveur de l’indépendance » ? L’extrême droite européenne, dont la nôtre au premier chef, tousse et re-tousse. Bizarrement, nos leaders de droite répondent à cette sortie britannique qu’il faudrait geler tout élargissement supplémentaire.
L’UE s‘affaiblit par ce départ de l’un des plus importants de ses membres, mais elle devrait s’interdire d’en accueillir de nouveaux. Juppé, comme Sarkozy, veut stopper les discussions d’élargissement de l’UE réengagée par l’Allemagne avec la Turquie en début d’année.
6. L’abus référendaire menace.
Mardi, le favori des sondages présidentiels Alain Juppé prévient: « l’Europe est menacée de dislocation ». Il appelle à une reconstruction institutionnelle et politique avant d’envisager un quelconque référendum ailleurs dans l’Union. Et se fait cinglant à l’encontre de l’un de ses rivaux, Bruno Le Maire qui réclame une consultation populaire: « il y a des moments historiques où les hommes d’Etat ne sont pas faits pour suivre l’opinion. ils sont là pour la guider. » Sur d’autres options bien sûr, Jean-Luc Mélenchon partage la méthodologie: que l’Europe se réforme politiquement, sinon, il faudra sortir.
7. La chimère du libéralisme se dévoile.
Derrière l’Euro-béatitude se cache surtout un libéralisme économique honteux. On l’avait vu lors de la purge libérale imposée à la Grèce l’an dernier. L’UE s’était révélée incapable de solidarité et de protection avec l’un des berceaux de la démocratie. Il s’agissait d’abord de sauver les banques allemandes et françaises, puis de forcer la vente à la découpe des services publics du pays au profit d’entreprises occidentales. Le BREXIT dévoile à nouveau cet égoïsme libéral au grand jour: ce n’est pas tant le départ d’un « membre de la famille » que les conséquences économiques qui inquiètent. Le BREXIT n’a ainsi pas (encore) provoqué d’électro-choc solidaire parmi les 27.
Bien au contraire.
Mardi, le premier ministre polonais suggère l’organisation d’un second référendum britannique pour effacer le précédent. Avec neuf autres pays d’Europe de l’Est, il propose de réduire le poids de la Commission au profit du Conseil et du Parlement européens. François Hollande réclame au contraire le statu quo institutionnel (sic!) et une sortie rapide des Britanniques. La France est bien isolée sur cette position, avec l’Italie et Chypre. Les autres veulent préserver leur business avec la perfide Albion. Les milieux patronaux britanniques paraissent tétanisés. La livre sterling n’a pas fini de dégringoler.
8. L’Europe n’a plus de pivot.
La domination allemande est réelle. En son temps, Nicolas Sarkozy avait largement contribué à affaiblir le couple franco-allemand, à forces de girouettes et d’agitations: on se souvient de ses embrassades avec Poutine en début de quinquennat (2007), au grand damn d’Angela Merkel. Puis de son projet d’Union pour la Méditerranée avec tout ce qui comptait à l’époque d’autocrates et de dictateurs (2008), toujours au grand damn d’Angela Merkel. Puis de sa tentative d’entente militaro-économique avec David Cameron (2009).
Pour terminer en seconde moitié de son quinquennat, par des déclarations d’amour à l’emporte-pièce avec sa voisine allemande, comme pour mieux faire oublier son propre échec économique.
9. Hollande est seul, même ailleurs
Depuis 2012, Hollande a joué différemment… pour un résultat aussi dramatique. Moins agité et incohérent, il s’est rapidement plié devant les exigences merkelliennes. Dès septembre 2012, il accepte le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UE, et à la virgule près (en échange d’un plan d’investissement européen pluri-annuel qui ne verra jamais le jour). Tout au long du quinquennat, la France s’est tue, couchée, pliée.
A droite, on fustige facilement l’atonie française en Europe. François Hollande n’est pourtant pas atone. Il n’est simplement pas écouté. Merkel n’a pas confiance. L’homme du Pacte irresponsable est aussi celui qui lance des « réformes » sur le code du travail à quelques mois d’une campagne présidentielle; est incapable de convaincre sa propre majorité à force de trahisons. Rendons à Cesar ce qui est à Hollande.
L’actuel président semble enfin réaliser qu’il n’a respecté qu’une promesse de sa campagne de 2012: la charge fiscale, globalement stable sur les quatre premières années de son quinquennat, a été rebasculée sur les foyers aisés au profit des classes modestes (une poignée de milliards de baisse d’impôt sur le revenu), et, surtout, des entreprises (41 milliards de pacte irresponsable depuis 2013)… Pour le reste, le bilan écologique, social, est politique est mauvais. Encore quelques exemples cette semaine, un nouveau bilan de l’association UFC-Que Choisir établit que la désertification médicale s’est encore aggravée depuis 2012: 12 millions de personnes vivent en désert médical. Que fait Marisol Touraine, ministre de la Santé, l’une des rares à pouvoir se targuer d’être en poste depuis 4 années malgré quelques remaniements dramatiques ? Autre cas symbolique, le désengagement partiel du nucléaire, alors que la filière (EDF, Areva) est proche de la faillite pour cause de mauvaise gestion et de parc vieillissant et hors de prix, le gouvernement a encore reporté son plan de programmation.
Combien sont ceux qui commencent à comprendre que l’intégration européenne quand elle n’est qu’économique vire au désastre politique ?
*There Is No Alternative.