Julian Lennon, fils de John, a inauguré la nouvelle galerie Photo House, à deux pas du Sablon, le quartier des antiquaires à Bruxelles. Un nouvel écrin à la fois pragmatique et arty créé par un duo belgo-italien : l’homme d’affaires et mécène belge David Swaelens-Kane et sa compagne Lady Monika Bacardi, héritière des fameux spiritueux et productrice de cinéma. Ensemble ils ont repris en 2014 le magazine Photo et se préparent à relancer Playboy dans tous les pays francophones du monde.
Nous sommes au cœur de Bruxelles, dans le quartier dit des Marolles, un quartier populaire en phase de gentrification, non loin du Palais de Justice en travaux depuis des lustres. Quelle image avez-vous de Bruxelles, capitale de l'Europe? Elle a été beaucoup décriée ces derniers temps, en particulier depuis les attentats. Certains, dont Donald Trump, l'ont critiquée pour sa laideur, sa saleté.
Julian Lennon. Oh, je ne dirais jamais ça! Je la trouve au contraire charmante. En admirateur de l'architecture « quirky », l'architecture décalée, originale, excentrique, je trouve qu'il existe ici un mélange des genres qui est assez délectable. J'ai apprécié divers quartiers commerçants, le marché au puces proche d'ici, où j'ai eu l'occasion de me balader, et bien d'autres. J'ai pu tester aussi quelques restaurants dont le Belga Queen, où nous sommes allés plusieurs fois car il était proche du studio.
Vous n'avez pas vu le musée Magritte?
Non mais j'ai bien l'intention de le faire. En fait, chaque fois que je viens ici à Bruxelles, j'ai du travail en studio à terminer, cela me mange énormément de temps. Mais je suis décidé à me rattraper! C'est comme le début d'une nouvelle relation… Mon intention est de revenir et de prendre du temps pour visiter.
Avez-vous eu l'occasion de vous imprégner par ailleurs du fameux surréalisme belge, de découvrir les peintres flamands, l'architecture du cru ?
En vérité, je suis venu à quatre ou cinq reprises au moins, à Bruxelles ces deux dernières années. Je suis sans doute venu plus souvent dans cette ville que n'importe où ailleurs! Et j'ai bien sûr beaucoup d'amis dans l'industrie musicale. Donc je suis venu plusieurs fois ici au fameux studio d'enregistrement ICP. Qui a une collection incroyable d'instruments de musique et un équipement de studio « old school ». Des musiciens classiques, des producteurs qui aiment les sons traditionnels et originaux aiment venir ici. Je suis venu pour ma part enregistrer ici au moins trois fois au cours de ces deux dernières années pour différents projets, pour d'autres gens.
Qui par exemple?
Des artistes émergents. Un ami à moi qui s'appelle Gregory Darling. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années, il a joué du clavier et a chanté avec moi sur la dernière tournée mondiale que j'ai faite. J'ai pour ma part participé aux voix en arrière-plan sur son album Coloured Life, en 2012. Je suis venu ici aussi à une autre occasion. C'était pour le tournage d'un film sur Eileen Gray, probablement la première femme architecte et designer moderniste dans le monde, sa carrière a été largement oubliée voire occultée jusqu'après sa mort, en 1976. Le film parle de sa relation avec Le Corbusier, qui de son côté baignait dans le succès, de cette façon dont il était amoureux d'elle. Il aborde aussi des concepts originaux qu'elle a créés et cette controverse : On s'est demandé qui avait eu certaines idées de Le Corbusier en premier lieu et il est assez clair que c'était elle. On m'a invité à venir faire des photos sur le plateau de tournage. Ils ont recréé les décors d'intérieur ici à Bruxelles. Et le film s'appelle « The Price of Desire » (une « biographie romantique » belgo-irlandaise réalisé par Mary McGuckian, avec Vincent Perez et Alanis Morissette. NDLR). Il est sorti au Royaume-Uni et en Irlande il y a quelques jours. C'est un film d'art indépendant. J'ignore quand il sortira ici, je ne peux pas tout suivre, j'ai tant de travail...
Julian Lennon à l'inauguration du Photo House Julian Lennon à l'inauguration du Photo House
Vous deviez inaugurer la Photo House de Bruxelles en mars dernier. L'événement a été reporté à en raison des attentats qui ont frappé la ville ce mois-là. Comment avez-vous vécu ces nouvelles à distance?
J'étais bien sûr horrifié, effrayé pour tout le monde. Je dois vous dire aussi que nous étions avec David (Kane), Monika (Bacardi) ensemble à Paris le 13 novembre, non loin du Bataclan. Il y avait une exposition de mes photos de U2 à la galerie Art Cube à Saint-Germain-des Prés (partenaire de Photo House, dédiée à l'art contemporain. NDLR). Nous devions aller les voir en concert deux jours plus tard, à Paris toujours. Après le vernissage, nous avons décidé d'aller dîner à l'hôtel Costes. Il était passé 21 heures, un terroriste au moins s'était déjà fait exploser mais nous n'étions au courant de rien. Des proches ont commencé à m'appeler pour me demander si j'allais bien. Je tombais des nues. Ensuite nous avons été enfermés au Costes. Tout l'hôtel a été barricadé par la sécurité. Cette soirée nous a évidemment profondément marqués. Ensuite il y a eu cette date qui était prévue à Bruxelles. Nous avons été obligés de l'annuler car Bruxelles était en lockdown… Et je vous raconterais encore ceci. J'étais également à la Istanbul Art Fair en 2015, quelques jours avant une attaque qui a frappé la ville. Donc c'était très bizarre, très étrange d'avoir été présent dans trois lieux qui ont été touchés pendant mon séjour ou peu après par de terribles attentats.
Parmi diverses collaborations amicales, vous avez notamment participé à un album d'Aerosmith, Music From Another Dimension, Steven Tyler a de son côté chanté sur la chanson Sunday extraite de votre album Everything Changes (2011). Vous avez aussi ces affinités avec U2 et Bono, que vous connaissez depuis de nombreuses années et avez immortalisé sur la pellicule. Aimeriez-vous faire davantage de « backstage stories », d'autres photos rock?
J'ai toujours quelques séries de photos qui doivent sortir. Je dois les éditer, je ne l'ai pas encore fait à cause de cet emploi du temps d'enfer. Je dois prendre le temps de me poser à la maison, de respirer et de faire ce travail d'édition. Je ne veux pas précipiter les choses, ni les bâcler. J'ai fait des photos d'un groupe irlandais qui s'appelle Kodaline. NDLR). Je les ai suivis depuis les début, je les ai vus débuter. J'ai fait des photos de concerts, de répétitions. C'est complètement organique. Je n'essaie pas de trouver des sujets, je ne cherche pas à tout prix à immortaliser ça ou ça. Quand les opportunités se présentent naturellement, si ça semble bien, justifié, si je le sens bien aussi, je le fais.
Ce fut le cas avec Bono?
Absolument. Il y a cette photo de lui où l'on voit mon père en fond. C'est vraiment une de mes photos préférées. U2 enregistrait des démos dans ma maison en France. C'était en 2010. C'était l'été, la chaleur était étouffante. Ils m'ont permis de les photographier mais je n'ai pas voulu les envahir, je sais en tant qu'artiste que c'est la dernière chose dont on a envie quand on enregistre. Donc j'ai juste poussé ma tête et j'ai fait quelques clichés en quelques minutes. Une après-midi, Bono était seul, avec la photo de mon père en fond (une photo de John Lennon à l'âge de 17 ans, prise à Hambourg. NDLR). C'était exactement ce que je voulais. J'étais heureux d'avoir pu capter ce reflet mutuel. Cette photo est un fragment d'histoire, Elle a changé ma manière de voir les choses en photographie. Une fois encore, c'était purement organique.
"A Bruxelles, il existe un un mélange des genres délectable"
Sinon, le rock n'est pas votre sujet préféré?
Non, en photographie pas vraiment. Ce que je préfère ce sont les actions caritatives auxquelles je me suis attaché. Même si j'aime aussi sortir de ce cadre bien sûr. J'aime l'art, j'aime découvrir les créations des pays que je visite. Une fois encore, c'est juste une question de temps. La plupart du temps, je gère tout seul, face à un grand écran d'ordinateur. J'ai simplement un assistant qui m'aide occasionnellement.
Vous avez fait des portraits de Charlene de Monaco. Comment s'est organisée cette session?
Eh bien, je connaissais Charlene. Je l'ai rencontrée à Monaco quelques fois. Je connaissais Albert un peu mieux, nous avons des amis communs. Elle m'a dit : Jules, j'adore vos photos, pourriez-vous venir me photographier à mon mariage? Je lui ai répondu : Vous êtes sérieuse? Donc j'étais extrêmement nerveux!
C'était la première fois que vous faisiez ce type de shooting?
Oui, et je me perçois plus comme un « visual artist » que comme un photographe, j'y reviendrai. Le matin où je lui ai dit ça, elle m'a répondu : « Tu sais Jules, peut-être qu'il vaut mieux abandonner ce projet, il y aura sans doute beaucoup trop de stress. » Et j'ai dit : « S'il vous plaît ne dites pas ça. Non, je serai une petite souris! Je m'intégrerai discrètement. »
Donc j'ai dû m'organiser. Il y avait trois security checkpoints. Finalement je me suis retrouvé assis à l'hôtel et l'un des plus célèbres photographes au monde a débarqué avec une équipe d’assistants. J'étais là, tout seul, avec mon petit sac de matériel photo! Je me suis dit : comment vais-je y arriver? J'ai été finalement escorté à l'étage, on m'a guidé vers une pièce de la taille de celle où nous nous trouvons, avec toutes les demoiselles d'honneur de la future mariée, et un petit bureau où elle était assise. Elle avait l'air presque incertaine quant à ce qui se passait autour d'elle. Il y avait, sur cet espace restreint des assistants au maquillage à la coiffure, des secrétaires etc. C'était le chaos, c'était May Day! Charlene semblait hésitante, me disait : « Je ne sais pas ». Je me suis donc assis tranquillement dans un coin, et me suis fait discret. Je me suis dit : je vais faire ce que je peux, je ne sais pas si j'aurai le bon cliché mais tant pis, je dois foncer. J'ai dû faire tout en automatique car je n'avais pas le temps d'envisager des réglages…
Le Photo House à Bruxelles Le Photo House à Bruxelles
Lorsque je suis rentré à la maison et que j'ai regardé les photos que j'avais prises, je me suis dit : je n'ai rien, rien de rien! Mais j'ai un sentiment semblable après chaque séance photo. Je dois trouver la photo à travers les images. Je les ai donc passées en revue longuement. Et je me suis souvenu des instructions qu'on nous avait données, du type : interdiction de laisser apparaître de l'alcool, champagne ou autres sur les clichés, etc. Finalement, la photo la plus heureuse de Charlene, était une photo où elle avait l'air de déguster du champagne. Alors je me suis dit que pour être sûr d'être dans le ton, j'allais désaturer le tirage et en faire ma propre version en noir et blanc. Il fallait que le champagne ressemble à de l'eau pétillante. J'ai regardé cette nouvelle interprétation de l'image et je me dis : bon sang mais c'est bien sûr, on y est! Du noir et blanc, Grace Kelly, les années 50… Alors je suis reparti dans une nouvelle analyse de toute la série de photos, je leur ai apporté une lumière différente avec le noir et blanc, un éclairage qui, à mes yeux, donnait à Charlene plus de majesté. Cela montrait la réalité de la situation, ses émotions. On pouvait voir par moment qu'elle semblait malheureuse ou nerveuse. Il lui arrivait de regarder au loin. Et esthétiquement, les tenues de tout le monde s'assemblaient davantage en noir et blanc, ça formait un tout beaucoup plus cohérent. En couleur, cela aurait eu, par moments, l'air ridicule. Dès le moment où j'ai réalisé ça, j'ai réenvisagé l'ensemble. Je trouve finalement que cette série figure parmi les meilleurs clichés que j'ai faits jusque ici.
Charlene c’était une parenthèse dans votre carrière? Aimeriez-vous, en tant que citoyen britannique immortaliser d'autres têtes couronnées ou membres du Gotha? Avez-vous eu d'autres propositions similaires dans ce type de milieu?
Non, pas vraiment. Charlene souhaite que je fasse des photos de leurs enfants. Je n'ai pas pu le faire encore car mon emploi du temps est fou, et le leur l'est également. Je n'ai pas encore eu l'occasion de les voir mais je me réjouis de réaliser ce shooting.
Vous avez dit à une époque que votre père, très engagé publiquement pour la paix, n'appliquait pas ses préceptes dans sa vie privée. De votre côté, vous avez pris sa relève dans votre engagement humanitaire, vous défendez différentes cause à travers votre fondation – White Feather Foundation – l'accès à l'eau en priorité. Vous êtes, comme Gwyneth Paltrow ou Pierce Brosnan, ambassadeur du Prince's Trust (œuvre en faveur des jeunes en difficulté. NDLR). Vous êtes aussi engagé contre le lupus – une maladie qui touche surtout les femmes et que vous avez découverte en retrouvant votre amie d'enfance Lucy. Auriez-vous envie d'adhérer à d'autres causes liées à des événements plus récents comme Jude Law par exemple qui est allé défendre la cause des migrants ? Ou comme ces célébrités qui tentent d'éviter le Brexit?
Non. Le Brexit est le genre de chose qui ne m'intéresse que de loin. Il y a beaucoup d'autres priorités à mon sens. Je suis loin de la politique au sens large car j'ai du mal à comprendre pourquoi, après autant de temps, d'efforts par des gens apparemment intelligents, éduqués, le monde est toujours – ou plus que jamais - dans l'état que l'on connaît. La politique ne parvient pas à faire évoluer les choses en faveur de l'Homme, de l'humanité. C'est un jeu très dur, une partie difficile à gagner. Je peux simplement essayer de changer certaines choses à un niveau personnel. Je m’attelle à des priorités qui me semblent vitales. Avec ma fondation (la Fondation de la plume blanche, allusion à un message subliminal que lui aurait promis son père), nous gérons plusieurs domaines mais l'eau accessible à tous en est le thème prioritaire. Il y a une fondation qui s'appelle Plastic Ocean. Leur but est d’éduquer et d'informer les gens sur la façon dont ils vivent avec le plastique dans leur vie.Ils ont travaillé un film qui est sorti à l'occasion de la Journée mondiale de l'eau. Je les ai rencontrés et je leur ai dit : Ok, que peut-on faire pour vous aider? D'autres collaborations devraient être annoncées bientôt. Ça sera toujours nécessaire malheureusement. La White Feather Foundation embrasse des thématiques environnementales et humanitaires avec différentes partenaires à travers le monde.
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Vous voyagez beaucoup, avez-vous été parfois tenté par le photo-reportage?
J'ai des amis qui font ce métier et sont allés sur le terrain en Syrie ou en Afghanistan et dans un tas d'autres endroits. Mais là encore, il faut faire des choix en fonction d'un agenda. Il faut aussi un réseau de fixeurs, c'est évidemment indispensable. Et je n'aime pas l'idée de préparer les choses en surface ou à la hâte. Ces métiers d'ailleurs ne le pardonneraient pas. Ce n'est pas pour moi une option réaliste à ce stade. Je ne suis pas un photo-journaliste en tant que tel – il y a suffisamment de professionnels qui font un bien meilleur job que je ne le ferais dans ce domaine! J'ai beaucoup d'admiration pour ces personnes qui rejoignent les lignes de front. J'essaie de mon côté de capter certains problèmes que nous suivons de près avec ma fondation.
Estimez-vous que votre génération est plus réaliste que celle de votre père?
Je le crois, ne serait-ce que dans les aspects de la communication. Grâce à Internet, les gens sont très informés, ils échangent beaucoup entre eux, ils sont en effet plus pragmatiques sur certains plans. Mais il y a aussi le revers de la médaille bien sûr, le web engendre aussi beaucoup de désinformation et c'est un souci. Mais je pense que quiconque qui à peu près raisonnablement la tête sur les épaules et un bon cœur arrivera à faire la part des choses.
"Charlène m'a dit : J'adore vos photos, pourriez-vous venir me photographier à mon mariage ?"
Vous avez développé une collection sur les Beatles impressionnante dit-on. Continuez-vous à acquérir de nouveaux objets?
Parfois, oui. J'ai toujours l'intention de fonder une famille à un moment donné. Et je veux pouvoir transmettre cela à mes enfants.
Il y a énormément de collectionneurs fanatiques des Beatles, à Bruxelles comme ailleurs. Êtes-vous toujours en quête de pièces rares?
Oui et non. A l'origine, j'ai commencé à collectionner essentiellement des objets personnels qui avaient appartenu aux Beatles. L'approche est différente de celle des collectionneurs plus classiques. C'est une autre perspective, très « familiale ».
Et vous maintenez ces critères « privés » de façon stricte?
Plutôt oui. Sinon, je crois que je suis la seule personne au monde à posséder la collection intégrale des disques d'or des Beatles. Je ne connais personne qui puisse en dire autant.
Ça doit susciter bien des convoitises...
Sans doute mais le plus dingue, le comble de l'absurdité à mes yeux c'est que je sois obligé d'acheter ces pièces qui font partie de mon héritage ! J'aimerais juste pouvoir transmettre cet héritage familial, ce patrimoine de souvenirs incroyable. J'essaie donc de m'en tenir aux objets personnels, ceux auxquels je peux le plus me référer.
Vous avez dit avoir entretenu à une époque une bonne relation, amicale, avec Paul McCartney. Il jouait davantage avec vous lorsque vous étiez petit que votre père dit-on. Avez-vous toujours des contacts avec lui?
Je le vois à l'occasion.
Vous avez dit qu'il a incarné une forme de figure paternelle pour vous. Est-ce toujours le cas, vous donne-t-il encore des conseils?
Je ne sais pas. Ça a été le cas dans le passé, lorsque j'étais beaucoup plus jeune mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je pense que je suis assez âgé pour prendre mes propres décisions!
Ça pourrait se passer dans l'autre sens, vous pourriez le conseiller!
Oh, je ne sais pas, il se débrouille encore très bien!
Y a-t-il quelqu'un que vous rêveriez d'immortaliser sur la pellicule ?
Je dois y réfléchir, vous me prenez de court.
Un personnage comme Elizabeth II par exemple, ne serait-ce pas grandiose?
Ah, la Reine, en effet, ce serait formidable!
Publié le: Samedi 2 Juillet 2016 - 04:45Source: parismatch