Avec La Traversée, je plonge pour la deuxième fois dans l'univers romanesque d'Henri Djombo, que j'avais appris à connaître avec Cela avait été une agréable rencontre. Il était donc difficile de lire ce roman-ci sans me référer au précédent. Une question s'imposait : le plaisir de lire La Traversée serat-t-il égal, inférieur ou supérieur à celui que j'ai éprouvé avec Le Mort-Vivant ? D'ailleurs il est impossible, pour qui a lu Le Mort-Vivant, de ne pas avoir ce roman à l'esprit tout au long de La Traversée, car les points communs entre les deux romans sont multiples.
"Une nuit, la pluie était abondamment tombée au Binango, une pluie de soldats a envahi le pays. Sans coup férir, un géant fut emporté par la rage des eaux qui se furent rassemblées."
Le roman a été publié en 2005, c'est-à-dire après les guerres civiles qui ont secoué le Congo-Brazzaville dans les années 90, et pourtant certains passages sont troublants car ils paraissent avoir été écrits pour décrire la situation actuelle du pays, celle de 2015-2016, rythmée par les campagnes pour ou contre le changement de la Constitution ainsi que par les retombées sanglantes des élections présidentielles contestées de mars 2016.
Voici par exemple ce qu'on peut lire aux pages 37-38 :
A en croire Polo, si la situation du pays ne cesse de s'aggraver, si la guerre se prolonge, c'est essentiellement à cause de l'entêtement du chef de l'Etat, plus soucieux de se venger de ses adversaires que de se préoccuper du bien-être du peuple :
Comme le dit si bien Aimé Eyengué dans son livre Le Conseiller du Prince, ce qui fait souvent cruellement défaut aux chefs d'Etat, c'est un entourage qui puisse être de bon conseil, qui sache orienter ces derniers vers la sagesse plutôt que vers la folie.
Malheureusement, ce n'est pas le cas dans les pays africains. Le regard de Polo est très acéré :
"Ce n'est pas normal que nos gouvernants, à tous les niveaux, restent toujours prisonniers d'équipes incompétentes, de lobbies intrigants et véreux, de familles possessives et peu scrupuleuses. La guerre actuelle n'est qu'une fabrication de ces milieux réunis." (page 89)
Voici une évidence pour tous, mais que, apparemment, les dirigeants actuels ignorent, dans tous ces pays où la répression fait des victimes innombrables, ces pays où on n'a pas le droit de désapprouver les choix du chef de l'Etat :
"Au moment où, dans la folie, nous détruisons notre pays, me hasardai-je à dire, ailleurs les gens travaillent pour modeler le monde, pour construire des nations et des villes modernes, pour améliorer les conditions de vies des citoyens, pur assurer un développement durable de leur pays..." (page 53)