Il est très difficile de comprendre ce qu’est un acte libre, car s’il est le résultat d’une ferme décision, il est nécessaire, mais s’il n’est pas décidé, on dira qu’il est le fruit du hasard ou qu’il a été influencé, ce n’est plus alors un acte que je peux revendiquer. Il faut bien que je veuille l’acte que je réalise, mais il cesse d’être libre s’il est l’effet mécanique de ce que j’ai décidé. C’est là toute la difficulté : un acte libre doit être voulu, sans être nécessaire. Ce qui naturellement semble contraire à l’idée de volonté : la volonté, contrairement au désir, est la capacité à faire advenir coûte que coûte un projet. Comment peut-elle donc nous déterminer à quelque chose sans le nécessiter ?
La thèse de Sartre consiste à montrer que cette définition de l’acte libre, qui doit être voulu tout en restant contingent, n’est pas illusoire. Bien au contraire. Ce sont les conditions de l’action qui la rendent contingente. En effet, aucun acte n’est isolé et toute décision, si résolue soit-elle, se réalise dans un contexte susceptible de la faire échouer. C’est le cas du fumeur, résolu à arrêter de fumer, qui fixe une date, à laquelle il lui arrive finalement un accident grave. Les circonstances d’un projet en cours de réalisation, que Sartre appelle l’extériorité, nous obligent à composer avec elles, c’est-à-dire à trouver les moyens d’agir. Ce pourquoi Sartre emploie le terme d’invention : toute décision devient invention, car lorsqu’elle cherche à se réaliser, elle cesse d’être abstraite, et doit prendre en compte les éléments extérieurs qui encadrent l’action.
Ce sont donc ces éléments, toujours susceptibles d’entraver la réalisation, qui rendent possible l’acte libre, c’est-à-dire non nécessaire. Il faut accepter paradoxalement que ce qui fonde notre liberté, c’est que des éléments extérieurs viennent sans cesse fragiliser nos résolutions. C’est grâce à ces obstacles qui menacent nos décisions que nous sommes libres. Ce sont eux qui empêchent que nos actions soient les conséquences nécessaires de nos décisions.
Mais en même temps, il faut prendre au sérieux ces aléas que notre action rencontre, car ils peuvent être aussi bien surmontables qu’insurmontables. C’est la grande difficulté du texte : les obstacles sont à la fois condition de l’acte libre, et possibilité de sa suppression. S’ils la rendent possible, ils peuvent aussi l’empêcher, car le propre de toute véritable action est de s’insérer dans un contexte où tout est possible, le meilleur comme le pire, l’évitable comme l’inévitale. Or, cela dépend du hasard. C’est pourquoi encore, l’acte libre n’est pas seulement possible, il est également probable.
On n’est jamais certain de parvenir à ce qu’on veut, mais il est certain qu’on n’a rien sans vouloir. Il y a donc deux conditions, apparemment contradictoires, et pourtant indissociables, à l’acte libre : l’initiative et le hasard.