Il y a quelques jours, au Grand Journal de Canal+, Gérard Larcher, président du Sénat, se félicitait de ce que, grâce à la loi Travail, le dernier mot allait enfin être décidé au « lieu du dialogue », entendez au niveau de l’entreprise où sont réunis patron et salariés. Quand donc les politiques s’abstiendront-ils de gloser sur des sujets dont ils n’ont aucune expérience personnelle ? Pour éclairer ce sage sénateur, je lui livre ici quelques exemples vécus.
Négociations salariales annuelles, déclaration finale de la Direction : « Étant donné les difficultés présentes de l’entreprise, même si nous sommes conscients des efforts que vous consentez tous, il ne nous est pas possible cette année d’accorder des augmentations de salaires. Cela compromettrait nos efforts pour revenir à l’équilibre et pourrait même menacer la survie de l’entreprise. Soyez cependant assurés que nous prenons acte de votre demande. »
Réponse d’un manager à une demande de promotion : « Tu es peut-être content de tes résultats mais il y a, dans ton poste actuel, quelques points sur lesquels tu n’as pas encore atteint le niveau que l’on pouvait attendre. Mais, qu’importe, si tu trouves mieux ailleurs, n’hésite pas. Tu es libre. »
Offre de départ en retraite anticipé : « Tu n’as pas candidaté pour bénéficier de cette offre. Il est de mon devoir de te prévenir. Cette offre est particulièrement généreuse. Rien ne dit que dans un futur proche l’entreprise pourra proposer une nouvelle offre et surtout aussi séduisante. Et puis, il faut bien dire que, dans ton poste actuel, tu ne contribues pas comme on pourrait l’attendre à nos résultats. Pense bien à tout cela et n’oublie pas : si la situation ne s’améliore pas, il n’y aura peut-être plus de nouvelles offres et il faudra même en venir à des licenciements secs. »
Offre de participation volontaire au redressement de l’entreprise. Il y a plus de vingt ans, mon entreprise, forte à l’époque de 20 000 salariés, nous fit connaître sa conception du volontariat. Elle décida de supprimer le treizième mois, pourtant versé depuis des décennies. Les salariés qui refuseraient cette diminution de 7,7% de leur salaire devaient le signifier par lettre recommandée avec accusé de réception à la DRH. Curieusement, seuls 5% des salariés rejetèrent cette offre, les 95% autres se trouvèrent ainsi « volontaires ». Il fallut dix ans à votre serviteur pour qu’il retrouve son salaire d’avant la réduction, puisqu’il n’y avait nul besoin d’augmenter ces anciens dont on a tant de mal à se défaire. Quant aux refuzniks, ils furent tenus à l’écart tant des augmentations que des programmes d’incitation.
L’entreprise lieu de ces beaux dialogues va très bien, grâce au Ciel. Détail : ses effectifs ont été divisés par deux. Vivement que l’article 2 de la loi Travail soit voté pour étendre à d’autres entreprises de si fructueuses possibilités de dialogue.