Les sessions live, musique filmée à tous les étages.
Avec l’avènement de l’âge glorieux des Internets, notre relation à la musique a indéniablement changé : les plateformes de streaming payantes ou gratuites, légales ou illicites se sont multipliées sur la toile (vous le savez très bien, ne faites pas les innocents). L’achat des supports physiques a faibli bien que les afficionados du microsillon tiennent bon et qu’on voie poindre un retour nostalgique des cassettes. Les clips sont devenus un outil d’expression alternatif et paradoxalement indispensable au système promotionnel.
Ces changements, qu’on les trouve bons ou mauvais, ont élargi le spectre de notre consommation de la musique. On ne fait plus que l’écouter, on la collectionne, on la regarde, on va la voir en live, on la remixe, on la transforme, on la partage, on en parle, on l’analyse, on l’écrit. On la façonne, elle nous fascine.
Tout ça nous titille pas mal au Limo, et notre « section magazine » s’agite là-bas dans le fond. On a donc pris la plume, ou plutôt, fait craquer nos doigts derrières nos claviers pour discuter de l’essor des sessions live dans les Internets. Vaste question.
Loin d’être exhaustif, objectif ou représentatif, on tentera donc de faire un tour d’horizon (sans trop faire de liste inch’allah) de ce qui se passe entre les musiciens et les médias dématérialisés. Pour écouter, regarder, communiquer la musique autrement, il existe beaucoup de procédés pour les diggers de raretés et les curieux paumés sur Youtube.
Le live alternatif et la reprise.
Dans la grande et tonitruante machine promotionnelle, de nombreux groupes passent par la radio pour parler de leurs actualités mais aussi pour se produire en live (pour ne pas dire en direct, parce que les podcasts tout ça). Accompagnées ou non d’image, ces sessions sont un espace de découverte, de performance et parfois de réinterprétation. On pense notamment à l’émission Label Pop sur France Musique qui nous a fait découvrir de belles pépites le dimanche soir mais qui malheureusement est menacée de suppression. Pour soutenir cet important espace d’expression et de découverte musicales, tu peux signer la pétition (nous, on l’a fait).
De l’autre côté de la Manche, les émissions radio de la BBC avec son Live Lounge ; et de l’autre côté de l’Atlantique, celles de KEXP notamment poussent le jeu de la réinvention live en proposant aux artistes de reprendre un titre souvent assez éloigné de leur répertoire. Prend alors forme un live alternatif et inédit, une originalité musicale momentanée pour le meilleur ou pour le pire d’ailleurs.
La télévision s’y met aussi. De nombreuses émissions programment des live de qualité variable sur leur plateau parfois en y ajoutant une interview promo — jamais très intéressante cela dit. C’est, comme souvent, des schémas américains qu’on s’inspire. La recette des talk shows et des late shows US s’est ainsi retrouvée vampirisée par des formats comme le Grand ou feu le Petit Journal sur Canal+ ou à la fin de feu Ce Soir ou Jamais, ou encore par des formats courts comme l’Instant Alcaline sur France 2. On peut se demander si l’intervention de l’image infléchit la manière dont on perçoit la musique, la manière dont on l’interprète, autant du côté des artistes que des spectateurs. Honnêtement, on n’a pas l’ombre d’un début de réponse mais on se pose la question quand même. Le style des musiciens aurait alors un vrai impact sur l’appréciation de leur musique. Comme par exemple la doucereuse Lana Del Rey qui a fait un buzz qu’on ne s’explique toujours pas.
Mais ne laissons pas les Amériques rafler tous les lauriers ! En France, on a aussi de bonnes idées comme Taratata qui a proposé pendant longtemps des live télévisés de qualité. Après une brève déprogrammation, l’émission de Nagui a fait son retour à l’antenne dans une nouvelle formule mensuelle – et certainement un peu trop consensuelle. La musique live serait-elle d’utilité publique ? En tout cas la télé et la radio jouent un rôle toujours très important dans la promotion de la musique malgré la volonté forcenée en France de vouloir mettre en lumière des artistes tout nazes seulement parce qu’ils chantent dans la langue de Molière (vous vous souvenez, on en parlait ici).
Néanmoins, le format live se retrouve bien vite hors des médias traditionnels et envahit évidemment l’internet via Youtube, Bandcamp ou Soundcloud. Merci la révolution numérique ! Ces nouvelles plateformes élargissent encore le champ de la découverte musicale puisqu’on peut y trouver des dizaines de versions, des démos, des live acoustiques. C’est par ce moyen que les sœurs suédoises de First Aid Kit se sont fait connaître avec une vidéo de la reprise de « Tiger Mountain Peasant Song » de Fleet Foxes. Il y a L.E.J aussi mais résistons à l’envie de tirer sur l’ambulance…
Ecouter la musique autrement que par la version album a aussi modifié la façon de produire la musique. Certains groupes ont ainsi sorti des disques live et/ou acoustiques comme Villagers avec Where Have You Been All My Life? ou The Twilight Sad avec les Oran Mòr Sessions. On pense aussi au mythique MTV Unplugged de Nirvana. Les mutations live se font donc à toutes les échelles semble-t-il.
Les livestreams de festivals ou de concerts sur le web, comme le font si bien Arte Concert, Culturebox ou plus humblement Grosse Caisse TV, permettent d’exporter le live et de le transposer dans l’espace et dans le temps, de vivre ou de revivre un moment inédit et singulier. Et de transformer un événement en enregistrement. Donc bordel, rangez vos putains de téléphones pendant les concerts et profitez du moment sans péter les noix de vos voisins merci. Pas besoin de faire un Périscope tout pété non plus, laissez faire les professionnels, c’est bien plus joli !
C’est dans cette cour que joue aussi Audiotree Music aux Amériques en diffusant des live puis en mettant leurs enregistrements à disposition des auditeurs, avec et sans image, à emporter partout. En un sens c’est la même démarche que les Boiler Room dont les captations permettent de revivre un set ou de vivre une soirée où on n’était pas parce qu’on avait encore la gueule de bois.
L’esthétique de la vidéo.
La musique s’écoute et se découvre donc sous des formes neuves. Loin de subir un diktat de la session live, les artistes, les musiciens, les groupes s’appuient sur cette esthétique et cette demande pour singulariser leur musique grâce à l’esthétique et aux possibilités qu’ouvre la vidéo. Rendons à César, ce qui est à César, c’est à MTV qu’on doit indéniablement le début et l’essor des clips (mais si, quand c’était vraiment bien) et tout le bouillonnement créatif, né de la rencontre de la musique et de la vidéo. Respect.
Alors, oui, aujourd’hui ça a un peu changé. La plupart des clips qu’on matraque à la télé, c’est du bullshit avec du filtre Instagram à outrance, du slow-mo à gogo, des fumigènes et des lense flare crado, des plans filmés avec des drones pour montrer qu’on est high tech, des zoulettes qui ne se respectent que moyennement et tutti quanti. Pourtant, les clips recherchés existent encore, si si on vous assure ! Il ne s’agit alors pas seulement de filmer la performance d’un groupe mais d’en faire autre chose, de l’esthétiser, de la modeler. En tension avec le clip diffusé à la télé, les formats hybrides se rapprochent plus de courts métrages.
Mais ne nous égarons pas. Le simple live filmé est dépassé par une volonté de mise en situation ou la recherche d’une esthétique dont témoignent les Concerts à Emporter ou les Soirées de Poche de la Blogothèque par exemple, qui les premiers ont fait entrer ces sessions live dans l’intime, dans la proximité et même le non-conformisme. De la même manière que les vidéos du Hiboo, devenu Lame de Son.
C’est aussi une manière pour les nouveaux médias du web d’affirmer une esthétique comme le blog américain Mahogany qui a lancé ses Distiller sessions – Live from the Distillery. Les sessions live entrent dans une intimité filmée comme les showcases font entrer les concerts chez les disquaires. On peut citer ici une avalanche de fournisseurs de sessions mais on se contentera de : NPR et ses Tiny Desk sessions, The Wild Honey Pie et ses Buzz sessions, Our Vinyl, les Cardinal Sessions, Le Cargo !, The Crypt Sessions ou encore le Bruit des graviers.
La musique électronique n’est pas en reste non plus, mais le défi de la filmer est toujours assez vivace. En effet, de la captation en club ou festival de Dj’s concentrés et/ou drogués, aux spécialistes du « tournage de bouton », il n’y a qu’un pas… que nous pouvons franchir désormais grâce à des initiatives qui essayent de montrer cette musique autrement. Mentionnons par exemple la série intitulée « Sequences », sortie l’année dernière par la boite de production Milgram, apportant une attention toute particulière à la mise en scène et à la captation du son (son spatialisé en 3D – à écouter au casque donc).
Cette singularisation de la musique live offre donc une alternative à la simple écoute et un objet esthétique en la transposant. Il n’est plus question de simplement écouter ou regarder comme un spectateur témoin mais de croiser les supports pour s’approprier la musique, raconter une histoire particulière, unique, et capter voire fixer l’éphémère. Et finalement de pervertir le moment même. Vous avez 4 heures.
Expériences musicales vs. Outils de communication
Les sessions live, acoustiques, alternatives, dans des appartements, des chambres, des cuisines ou autres salles de bain ont envahi le web. Les formats renouvelés, plus ou moins révolutionnaires ou esthétiques, jouent un rôle d’attraction marketing et sont devenus des supports promotionnels voire un passage obligé pour les artistes. C’est devenu la course aux clips, aux plateaux télé, aux antennes radio, aux émissions comme l’Album de la Semaine ou Taratata, aux récompenses aussi. Il faut être vu pour être entendu. Les plateformes comme Vevo, Deezer ou Spotify s’en saisissent pour promouvoir des artistes certes mais aussi (et surtout ?) leur service de streaming.
La multiplication de ces sessions est parfois un peu too much, inutile et étouffante. En effet, la magie n’opère pas à chaque fois et on se lasse de voir toujours les mêmes artistes jouer toujours les mêmes chansons qui finissent par nous taper sur les nerfs. Les sessions live seraient donc à consommer avec modération en choisissant bien votre dealer.
Daytrotter aux Etats-Unis a donc fait le choix d’un pari sur la célébrité mais plus encore sur la qualité de la découverte. Le site enregistre en condition de live quelques titres de groupes déjà reconnus, de groupes qui gagneraient à l’être ou qui ne le seront jamais vraiment. Par un système d’abonnement, ils « vendent » la découverte en créant de l’inédit qu’ils associent avec une création graphique originale. Ils sont souvent parmi les premiers découvreurs de nouveaux talents mais la monétisation rend parfois la trouvaille difficile d’accès (eh oui, on est pauvre).
Mais revenons au pays des Bisounours où l’argent cupide et la promotion autotélique n’existent pas. Ces nouveaux formats permettent une abondance de la création artistique mais créent aussi le risque de l’excès. Les sessions live engendrent des objets originaux qui n’existent que dans un certain espace de création et d’opportunité, un ailleurs, hors du temps et des questions de sous. Il y a une volonté des créateurs extérieurs à la musique et une vraie curiosité des artistes qui se prêtent au jeu des nouvelles expériences. L’un dans l’autre, cela rend d’une certaine manière la découverte plus attrayante, plus accrocheuse et plus diversifiée par le croisement des médias. Toutefois, on peut facilement se perdre dans le dark side de l’internet et finir par regarder des vidéos pourries filmées avec une vieille webcam dans une chambre d’adolescent. Mais c’est le jeu ma pauvre Lucette !
Certes, ça marche hyper bien avec des personnes sensibles à guitare. Mais quelle que soit la forme que prend une session live, c’est un moyen de découvrir de nouveaux talents, des interprétations ou de conforter notre avis sur un artiste. Il semble plus simple de tomber en amour avec un groupe par le live plutôt que par la simple écoute d’un disque, pas forcément dans des bonnes conditions qui plus est. Et finalement, il ne nous est pas toujours donné d’aller voir les groupes qui nous ont tapé dans l’œil (ou plutôt dans l’oreille) en concert. Les sessions live sont donc un moyen de transposer cette sorte de découverte et de conserver des traces de moments uniques créés par la musique.
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Mathilde
Chroniqueuse et petites mains des partenariats sur l'Internet. Khâgneuse en Histoire des arts dans la vraie vie.Pop, folk, rock et indies, la monomanie à tous les étages. Team chatons tristes.
Mon Cocktail Préféré : Champomy d'abord ! Et puis la bière. Enfin, tant qu'il y a du gin...
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