MEN & CHICKEN, Anders Thomas Jensen (2016) JULIETA, P...

Par Quinquin @sionmettaitles1

MEN & CHICKEN, Anders Thomas Jensen (2016)

JULIETA, Pedro Almodóvar (2016)

                      

Selon le proverbe, on choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille (on aurait préféré l’inverse)… Empruntons aujourd’hui le chemin pavé d’or qui relie l’Espagne au Danemark et baignons nos yeux dans la rivière enchantée de deux réalisateurs très inspirés par ces liens du sang indéfectibles et source de bien des ennuis. D’un côté, l’immense Almodóvar qui, après le sympathique mais largement dispensable Les Amants passagers, revient plus talentueux et passionné que jamais avec un cinéma habité, parangon d’amour déchu et de sensibilité ; de l’autre, le cinéaste un peu fou venu du froid Anders Jensen, dont l’excentricité n’a d’égal que ses talents de conteur. Chacun à sa manière avec son style, sa signature et dans des mouvances radicalement opposées, évoque les liens familiaux ; d’une part la douceur, le drame et la nostalgie qui pèsent sur le destin de deux femmes, d’autre part une fable cruelle, drôle et excentrique qui nous porte sur les traces d’une fratrie à la fois répulsive et attachante…

Si Almodóvar met en scène Julieta, femme taciturne et blessée qui semble porter le poids du monde sur ses épaules, Jensen lui nous embarque dans le tourbillon d’une famille étrange et égarée. Si Almodóvar filme le feutré et les non-dits faits d’ombre et de lumière, Jensen quant à lui danse la cabriole au milieu de personnages tous plus loufoques, simplets et délirants les uns que les autres. Sur le versant sud Julieta – qui n’a pas revu sa fille depuis de longues années – tente d’expliquer au travers d’une lettre de souvenirs son existence, ses peurs, ses doutes et ses déchirures à une jeune femme qui l’a définitivement rayée de sa vie. Sur le versant nord Elias et Gabriel, deux frères diamétralement opposés et physiquement écorchés, apprennent à la mort de leur père qu’ils ont été adoptés et que leur véritable géniteur, Evelio Thanatos (spécialiste de l’hérédité) poursuit ses travaux de recherche sur une île. Tandis que Julieta se débat au milieu d’un océan de souffrance et cherche à exorciser un passé empreint d’amour certes mais aussi de douleur et d’erreurs indélébiles, les inénarrables frangins eux débarquent sur l’île et y font la connaissance de leurs demi-frères sans parvenir toutefois à approcher leur père biologique…

Chacun dans leur catégorie ces deux films sont extrêmement savoureux et brillants. Almodóvar dissèque les relations mère-fille avec une justesse incroyable pour une production qui va droit au cœur et à l’âme, d’une grâce absolue et dont la mélancolie, la pudeur et l’intelligence imprègnent chaque visage, chaque plan, chaque scène. Emma Suárez est éclatante en mère tout aussi belle et touchante qu’égoïste et taiseuse, et fait écho à une Adriana Ugarte lumineusement délicate, les deux femmes par leur jeu impeccable et leur présence magnétique donnant au film un charisme et une profondeur exceptionnels. Jensen quant à lui livre un long-métrage à la fois subtil et décadent qui enchante autant qu’il horrifie. Un cinéma aux allures littéraires rappelant les Frères Grimm ou Hans Christian Andersen dont l’épilogue ainsi qu’une morale inattendue abandonnent songeur et déconcerté. Un « savant fou » qui se livrait à des expériences douteuses, un film au scénario improbable et un ensemble qui, si dans les premières scènes se fait ouvertement hilarant et taquin, parvient vite à une réflexion plus profonde, à une narration bien plus triste qu’elle n’y paraît, destin maupiteux de frères manipulés livrés à leurs existences cafardeuses et que le réalisateur prend visiblement un plaisir fou à agiter dans tous les sens tels des pantins illuminés, dans un décor aux relents gothiques et une atmosphère délicieusement dérangeante.

Ces deux œuvres, à travers le regard aiguisé de leur réalisateur respectif, traitent d’un sujet épineux et délicat, dans des genres bien différents certes mais avec cette même exquise tendresse pour leurs personnages cabossés et désenchantés, la folie douce de Jensen rencontrant dès lors l’élégance innée d’Almodóvar…

À voir aussi :

D’Anders Thomas Jensen

Les Bouchers verts 

D’Almodóvar

Femmes au bord de la crise de nerfs

Attache-moi !

Talons aiguilles

Tout sur ma mère

La Mauvaise éducation

Volver

La Piel que habito  etc, etc.