Il aime sa femme, Foda. Il aime ses deux enfants, Dali et Jana. Et il aime son pays, sa terre natale. Rien n’est plus important et plus fort que cela. A part peut-être la barbarie de l’homme, la guerre qu’ils n’ont pas demandée, les bombes qui tombent sur leur village. Les visages éteints des voisins et amis dont les enfants ont déjà succombé. Alors il prend une décision, un véritable déchirement. Il laisse derrière lui tous ses amours pour aller leur chercher un endroit où ils pourront vivre en sécurité et en liberté, un endroit sans guerre. C’est désormais sur lui que repose tout l’espoir de ces êtres tant aimés. Sur lui seul, un homme.
Inspiré en 2014 par un témoignage entendu à la radio, ce roman reste d’une brûlante actualité à une époque où les réfugiés sont devenus des migrants. Il est bien sûr facile d’attendrir le lecteur sur le sort du malheureux en proposant un récit à la première personne. Mais ici, aucune volonté politique. On ne saura jamais de quel pays le narrateur est originaire car après tout, peu importe. Ce qui importe, c’est cet amour immense, universel, si simple et si grand à la fois, qu’il s’applique à raconter, à décrire dans les premières pages, avec une poésie et une pureté très émouvantes. Cette volonté de fer de ne pas céder à la peur, à ceux qui veulent faire de lui un habitant d’un pays en guerre. Le but est simple: montrer qu’on ne quitte ainsi tout ce qu’on aime tant qu’en dernière extrémité, lorsque la mort est déjà presque à votre porte.
Mais là où le livre a commencé à me prendre aux tripes, c’est lorsque commence le voyage à proprement parler. On connaît tout cela, et pourtant… Les passeurs, sans scrupules, qui dépouillent les émigrés des économies de toute une vie. La peur, l’incompréhension, l’ignorance de ces hommes parqués dans des camions et des bateaux sans savoir si ils arriveront quelque part un jour. Jamais une âme uniquement guidée par l’amour des siens n’aurait pu s’attendre à cela. Et lorsque le voyage tourne court, en plein milieu de la mer Méditerranée, condamnant des centaines d’hommes c’est un compte à rebours poignant qui s’empare du lecteur, rythmé par les déchirantes lettres envoyées par Foda, lettres qui ne seront jamais lues par personne. Un de ces rares romans où j’ai vraiment eu peur d’arriver à la fin.
La note de Mélu:
Une petite merveille.
Un mot sur l’auteure: Sophie Dutérail (née en 1984) est une auteure française originaire de la région grenobloise.