Si mon analyse ne s’appuie pas uniquement sur de vaines tribulations de mes pensées vagabondes, la rencontre organisée à Lyon autour de la littérature congolaise m’a conduite à observer les choses différemment. En cela, ma consoeur de longue date, Liss Kihindou, a été très engageante dans son propos sur le sujet. Tout d’abord, cette femme aux multiples facettes, critique littéraire porte-parole émérite de la littérature congolaise s’est lancée dans un nouveau défi, celui d’une thèse de doctorat sur le sujet de la fleuvitude. J’ai eu tout le long de notre retour sur Paris, le plaisir d’échanger avec elle sur les possibilités qu’offre le fleuve dans la construction des imaginaires. Au fur et à mesure que notre échange progressait, que Liss me renvoyait aux premières influences du fleuve sur la littérature congolaise, dès Jean Malonga et son fameux roman Coeur d'aryenne, je réalisais qu’inconsciemment ce fleuve portait de nombreuses stigmates et espérances des pays constituant le bassin du Congo. Aussi, lui fis-je part des mots magnifiques du poète congolais Mwanza Mujila qui parla de ce fleuve avec beaucoup d’emphase et de lyrisme au festival Etonnants voyageurs l'an dernier, véritable marqueur de sa congolitude, lui qui pourtant n’en a vu longtemps que les prémices du côté de Lubumbashi. De fil en aiguille, ma mémoire de lecteur m’a renvoyée à Tchicaya, à Dongala, Lopes qui est un des plus grands écrivains du fleuve Congo, concept qui prend peut-être autant de place dans son œuvre que le thème du métissage. D'ailleurs, quand on creuse le sujet, le fleuve n’est-il pas le lieu même du métissage, de la rencontre, du commerce, de circulation? N’est-ce pas lui qui porte l’une des plus belles langues africaines dont nous entendons les sonorités autant dans la langue Douala de Léonora Miano que dans le Swahili boyomais de Serge Amisi ?
Qui se plonge dans la poésie du grand poète Tchicaya U Tam’Si se pose constamment la question des raisons qui ont poussé ce natif du Kouilou d’autant s’extasier sur le Congo, lui qui vient des côtes de l’Atlantique ? Plus que l'océan, le fleuve s'impose dans sa poésie. Thierry Michel conscient de la centralité du fleuve dans la construction des imaginaires parle très bien de ce fleuve Congo qui charrie autant de villes flottantes que de cadavres. Mystérieux fleuve Congo. Il faut dire que pour ce fleuve a quelque chose de terrifiant. Sa puissance silencieuse au niveau de Brazzaville et de Kinshasa est tellement impressionnante... Pourtant nos histoires nous relient au fleuve. Celle de ma famille, de mon arrière grand-mère commerçante invétérée du fleuve me le rappelle. Son petit-fils d’ailleurs pris un temps le relais dans le commerce du bois. Lieu de fuite pour les personnages de Thomas Dietrich ou d’Henri Lopes, passage pour l’expiation et la rédemption, le fleuve Congo continue d’influencer les écrivains de manière assez surprenante. Liss m’a invitée à découvrir des auteurs comme Emilie-Flore Faignond, Aimé Eyengué et bien d’autres pour aborder d'autres regards sur le fleuve.
credit photo Julien Harneis
Il me faudrait lire Patrick Besson, relire Joseph Conrad avec un regard neuf, pour moi qui ne voit dans l’écriture de l’auteur d'Au coeur des ténèbres et Typhon que le porte parole de l’impérialisme triomphant de la fin du 19ème siècle. Ce qui est passionnant, c’est le fait que lors de cette rencontre congolaise à Lyon sous l’auspice de l’ACGL, les auteurs présents à savoir Marius Nguié et Isaac Djoumali Sengha, plaçait de manière inconsciente le fleuve dans leur texte (la NKéni pour le premier, affluent du Congo passant par Gamboma, le Niari qui n'est pas un affluent du Congo et l’Oubangui, pour le second auteur). Et en y réfléchissant un peu plus, quand il m’était fait mention dans cette passionnante discussion que, même Jean-Baptiste Tati-Loutard dont je ne connais pas assez le travail, lui accordait une place centrale dans son travail, je me demandais finalement si un Congolais pouvait écrire sans le fleuve. Que serait le roman d'Alain Mabanckou, Verre cassé sans cette noyade dans la Tchinouka ? Plus qu’une gesticulation dont les congolais sont les as, pour ne pas dire les experts, cette affaire de fleuvitude questionne les identités congolaises des deux rives. Elle rassemble, constitue étrangement un pont que la liberté de l’écrivain enjambe sans grande difficulté.
Et l’énergie de ce fleuve n’est-elle pas celle qui a animé la présence africaine dans l’antre de la littérature francophone, à savoir le Salon du livre de Paris où le stand de bassin des auteurs du Congo fit, fait, fera résonner la littérature africaine ? Il y a là un mouvement identitaire qui a du sens à défaut d’avoir un contenu collectif significatif pour le moment. Le fleuve est là. Il dépasse les postures ponctuelles et restauratrices de la négritude. C’est aussi le sens de la communication de Liss Kihindou qui a donné le titre à sa communication Négritude et fleuvitude.
Un dernier mot pour revenir sur l'ensemble de cet essai, Négritude et fleuvitude, publié chez L'Harmattan qui reprend soit des communications de Liss Kihindou ou des textes publications déjà produites dans d'autres ouvrages. Elle y fait de manière très brillante la présentation de figures de la littérature congolaise comme Gabriel Okoundji ou Jean-Baptiste Tati-Loutard. A lire.
Liss Kihindou, Fleuvitude et Négritude et autres observations littéraires
Editions L'Harmattan, 2016