© Claude Huré
Cet horizon, cette sensation de volupté, de chaleur moite qui caresse la peau était agréable. Entendre juste le clapotis de l’eau et le silence alentour. La déconnexion totale, se retrouver seule avec soi même. Cette expérience lui avait forgé le caractère, apprendre à faire attention aux éléments, aux bulletins météos. Pour que cette balade en solitaire ne vire pas au cauchemar. On en voyait tellement de ces histoires de marins d’eau douce qui se retrouvaient noyés ou bêtement pris dans une tempête et qu’il fallait secourir. Elle n’avait pas envie de rajouter son nom au bas de la liste. Alors quand elle s’était louée ce voilier, elle avait déjà pris des cours de navigation pour être capable de le maîtriser et pris un équipage minimal.
Cette impression de ressentir chaque élément, atome de vie était à la fois intense et flippante. Elle l’avait déjà éprouvé plusieurs fois mais le choc était différent. Peut être car elle était au début de sa nouvelle vie, liberté. Elle avait largué les amarres et pris une décision radicale, un congé sabbatique pour voir le monde avant qu’il ne soit trop tard. Ses proches l’avaient prise pour une folle, elle avait économisé, pris ses dispositions avec son employeur. Mais elle était encore plus sûre maintenant de son choix, immobile sur l’eau.
La tristesse, les sautes d’humeur, le temps qui ronge comme l’acide, l’hypocrisie,la malhonnêteté, l’impression de faire du sur place lui semblaient loin. Ce voilier voguant sur les flots comme une image de sa vie. Surnager, surmonter les obstacles, doutes. Avancer comme lui vers un avenir possible qui s’éloigne à chaque fois qu’on a l’impression de l’approcher. Et pourtant chaque année recommencer, mois après mois, jour après jour, comme une course infinie contre le temps.
Elle y pensa soudain en cette fin de journée à la proue qui clôturait ce tête à tête avec elle-même. Bientôt il faudrait rejoindre la terre ferme pour se ravitailler. Mais là, elle avait juste envie d’arrêter le temps, ne plus avoir d’ambition, de rêves de grandeur. Juste ressentir et ne plus se sentir seule, être en symbiose avec l’horizon, avec quelque chose de plus grand. Graver définitivement ce moment dans sa mémoire.