Lu en VO : « When We Were Orphans », Faber & Faber, 2001, 313 p.
Quand je commence un roman de cet auteur anglais d’origine japonaise, je sais que je vais trouver un alliage spécifique de raffinement et de pudeur des sentiments qui se reflète jusque dans le choix d’un vocabulaire châtié d’une grande précision. C’est le cas pour cette histoire qui se partage entre plusieurs périodes : de la vie d’un petit garçon anglais dans l’enclave internationale de Shanghai à la Belle Epoque, jusqu’aux prémisses de la Seconde Guerre mondiale, voire après, en passant par la vie d’un grand détective londonien dans les années d’entre-deux-guerres. Christopher Banks le narrateur a été ce petit garçon. Devenu un détective célèbre, il se prend à se rappeler des bribes de son enfance chinoise, de ses jeux avec son petit voisin japonais Akira, et surtout de sa mère, une femme forte et déterminée dans sa lutte contre le trafic d’opium orchestré par les compagnies occidentales, notamment britanniques. Cette enfance dorée a été brusquement interrompue par la disparition de ses parents à quelques mois d’intervalle, et le retour de Christopher dans la mère patrie. Devenu grand, il a suivi une vocation de détective, il a croisé la route de Sarah Hemmings, une femme énigmatique qui le hante, et il a adopté une petite orpheline, Jennifer. Alors que les nuages noirs s’amoncellent sur les relations internationales des années 1930, et alors que les Japonais ont déjà commencé à envahir la Chine, il se décide enfin à partir sur la trace de ses parents. De retour à Shanghai, ce qu’il va trouver, au milieu de la confusion de la guerre, est loin de ce qu’il imaginait.
Ishiguro est le romancier de la perte, de la mémoire, des souvenirs enfouis, des regrets et des remords, de la rédemption. Ici il stylise à l’extrême ses personnages et ses situations et son arrière-plan historique est impeccable. Il me fait parfois penser à ces porcelaines chinoises ornées de personnages délicats mais un peu figés. C’est un peu le défaut que je relèverai dans ce roman, alors que l’excellentissime Les Vestiges du Jour ne m’avait pas du tout fait cette impression. Du coup ses personnages manquent de chair, de profondeur, de sentiments. Les souvenirs de Christopher sont un enfilage d’anecdotes significatives, qui même si elles sont très bien racontées, finissent par ressembler à un enfilage de perles. Même le passage le plus mouvementé, en pleine guérilla urbaine au centre de Shanghai ne m’a pas plus fait haleter que ça, mais plutôt ennuyée. Je ne vois pas du tout l’intérêt du personnage de Jennifer et l’histoire d’amour avec Sarah, s’il y en a une, n’est pas très convaincante. Enfin je n’ai pas compris pourquoi le narrateur assimile la quête de ses parents, toute honorable soit-elle, à une impossible mission de sauvetage des relations internationales, si ce n’est du monde, tout grand détective soit-il.
Bref. A côté de ça, Ishiguro reste quand même un romancier de talent, qui raconte extrêmement bien les joies et les peines de l’enfance entrevues sous le prisme « sépia » de la nostalgies. Les illusions entretenues à l’âge adulte, les terribles révélations faites des années plus tard, mêlées aux catastrophes de l’histoire mondiale du XXe siècle, forment une trame particulièrement propice à la tragédie, mais une tragédie adoucie par des consolations a posteriori, par les petits plaisirs du quotidien et les affections filiales de rechange pour ceux qui sont « orphelins ».
Si j’ai eu du mal à terminer le dernier tiers du roman (mais je l’ai terminé !), j’ai lu les deux premiers tiers avec plaisir.
« My feeling is that she is thinking of herself as much as of me when she talks of a a sense of mission, and the futility of attempting to evade it. Perharps there are those who are able to go about their lives unfettered by such concerns. But for those like us, our fate is to face the world as orphans, chasing through long years the shadows of vanished parents. There is nothing for us but to try and see through our missions to the end, as best as we can, for until we do so, we will be permitted no calm. » (p. 313).
Ma chère Rosa Rat de bibliothèque a aussi lu ce livre, allez lire son billet ici !
Queen Elizabeth II n’étant pas en reste, je suis heureuse de compter une deuxième lecture anglaise pour ce mois dédié à la perfide Albion !