D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, 2015, JC Lattès, 479 pages, 20€.
D’ailleurs, ce pourrait être un projet littéraire, écrire un livre entier qui se donnerait à lire comme une histoire vraie, un livre soi-disant inspiré de faits réels, mais dont tout, ou presque, serait inventé.
J’arrive après la bataille. Mais rappelons tout de même qu’il n’y a pas de moment pour lire un livre. Ce roman de Delphine de Vigan, j’en ai entendu parler avant sa sortie, à sa sortie et de longs mois après. Je n’aime pas lire le livre dont tout le monde parle. Je préfère attendre que la tempête passe pour me faire ma propre opinion, sans être parasitée par la presse et l’entourage qui aurait pu le lire.
D’après une histoire vraie est un roman. Cette phrase pouvant paraître anodine ne l’est pas. Dans cette ère où l’autofiction envahit les tables des librairies, les lecteurs ont cru à une autofiction de la part de Delphine de Vigan. Elle brouille les pistes certes, mais elle dissémine pourtant de nombreux indices à l’attention de son lecteur pour qu’il ne se fasse pas avoir. De nombreux lecteurs ont voulu savoir qui était L., ce personnage machiavélique et manipulateur qui envahit la vie de la narratrice, Delphine. Oui, Delphine de Vigan joue avec son lecteur en assumant utiliser sa propre image comme personne : la narratrice porte son nom Delphine, son mari François se rend régulièrement aux Etats-Unis pour interviewer des écrivains américains (or, on sait qu’elle est en couple avec François Busnel). Elle donne donc plusieurs indices pour inciter le lecteur à croire qu’il s’agit de sa propre vie. D’autre part, elle ne donne pas de nom au personnage féminin qui la manipule, mais seulement l’initiale L., pour faire croire une nouvelle fois que le personnage existe, tout en faisant penser qu’elle préfère lui laisser son anonymat. Tous ces éléments entrent dans la construction du jeu entre réalité et fiction. Delphine de Vigan brouille les pistes volontairement et joue avec son lecteur. À lui d’y croire ou non.
Mais à la lecture du roman, il apparaît plutôt évident que ce personnage est inspiré par l’épouvantable Annie de Stephen King dans Misery. D’autant que Delphine de Vigan parsème son roman de réflexions sur la frontière entre réalité et fiction, et sur la manière dont en jouent les écrivains. Des dizaines d’indices sont disséminés dans le livre. Delphine de Vigan réussit malgré tout ce pari de construire un roman uniquement basé sur cette frontière entre réalité et fiction. Elle réussit le jeu du « je ».
Le lecteur était capable de ça : y croire tout en sachant que cela n’existait pas.
Delphine de Vigan a reçu le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens pour ce roman.