Bien connu des concepteurs d’interfaces utilisateurs, l’eye-tracking est une technologie de suivi du regard qui reste couteuse à mettre en œuvre. Des solutions mobiles sont apparues et des chercheurs du MIT viennent de dévoiler une approche radicalement nouvelle à base de Machine Learning.
L’eye-tracking (oculométrie en bon français) est désormais entré dans les habitudes lorsqu’un annonceur veut optimiser le message de l’une de ses pubs, lorsqu’un concepteur de site Web ou un designer de packaging produit veut vérifier l'impact d'un nouveau design. En suivant le regard de quelques cobayes, on met très rapidement en évidence ce qui attirera l’œil du public, et surtout ce qui échappera à son attention. Ces études sont généralement menées chez des prestataires spécialisés qui disposent des coûteux équipements nécessaires et d'une méthodologie élaborée afin d'obtenir des résultats probants. Le coût de telles prestations reste élevé et limite l’essor de cette approche.
Vers une approche 100% logicielle
Les chercheurs du MIT et de l’université de Georgie ont lancé le projet "Eye Tracking for Everyone". Celui-ci vise à se dispenser de tout matériel et utiliser la simple caméra frontale d’un smartphone pour suivre le regard de l’utilisateur. Une simple application qui pourrait abaisser le coût des études d’eye-tracking pour les applications mobiles mais aussi rendre possible de nouvelles applications, notamment dans le domaine médical. Le logiciel mis au point par les chercheurs américains s’appuie sur un algorithme de Machine Learning. Pour apprendre à analyser le regard des utilisateurs, celui-ci s'est alimenté des photos de 800 utilisateurs et pourrait, à terme, avoir une précision ramenée à 1 cm seulement.
Jeremie Eskenazi, fondateur de Miratech, une société spécialisée dans les études d’eye-tracking souligne : "Les fabricants de système d'eye-tracking essaient depuis longtemps de se débarrasser du système actuel basé sur la réflexion d'une lumière infrarouge sur la pupille. Le Graal est d'arriver à détecter les mouvements oculaires avec une simple caméra. Cependant tout ce que j'ai vu marcher jusqu'à présent était trop peu précis. Peut-être que ces chercheurs y sont arrivés ?"
L'eye-tracking s'est popularisé notamment pour l'étude du design des pages Web et des applications mobiles.
Mais cette idée de se passer de tout équipement spécialisé n'est pas totalement nouvelle. Samsung propose une fonction d’eye-tracking sur ses Galaxy depuis le modèle S3. Cette fonction, baptisée Smart Screen, est limitée fonctionnellement. Elle permet un maintien du rétroéclairage de l'écran tant que l'utilisateur regarde son écran, la rotation de l'écran en fonction de l'orientation du visage, une mise en pause de la vidéo lorsque l'utilisateur détourne le regard et enfin un défilement des pages Web et texte lorsqu'on bouge la tête de haut en bas. Ces fonctions sont rarement activées par les utilisateurs de Galaxy car leur valeur ajoutée est faible comparée à la consommation électrique supplémentaire engendrée par ce "Smart Screen". « A moins que vous soyez paralysé et que vous ne pouvez pas utiliser vos mains, manipuler une interface avec le regard peut sembler être une bonne idée, mais c'est très pénible en pratique » prévient Jérémie Eskenazi.
Les casques légers sont en train de s'imposer
Si l'utilité d'une telle fonction reste posée pour le grand public, la question de la précision est la clé pour les applications professionnelle. « Je ne suis pas certain que le Machine Learning permettre d’atteindre des niveaux de précision qui permette d’aller vers les niveaux de précision que nous réclament nos clients aujourd’hui » estime Eric Guitteaud, co-fondateur de Matchic Labs. Cette startup française a mis au point un casque léger d’eye-tracking et propose ses services aux entreprises. « Notre approche est différente de celle proposée par le MIT. Nous n’installons aucun logiciel sur le device. Il s’agit d’un dispositif hardware léger porté par l’utilisateur ce qui nous permet d’être très précis, y compris en situation de mobilité dans les allée d’un hyper ou lorsqu’on tient son smartphone en main. Nous l’utilisons pour l’advergaming ou des applications classiques pour smartphone, pour la grande distribution. » Des analyses pour lesquelles une meilleure précision et une grande fiabilité sont requises. « La clé pour ce type de marchés, c’est la précision mais aussi pouvoir fonctionner quelles que soient les conditions d’éclairage et même si le sujet porte des lunettes. Les solutions d’eyetracking fixes s’appuient toutes sur la technologie infrarouge. Beaucoup de solutions d’eyetracking sur smartphone obligent l’utilisateur à poser le smartphone sur une table. Notre technologie permet de rester véritablement en situation de mobilité. »
Présent sur Futur en Seine, le français Matchic Labs cherche à lever des fonds afin de commercialiser ses lunettes d'eye-tracking en 2017.
L'arrivée d'une nouvelle génération d'équipement d'eye-tracking mobiles, qui ressemblent plus ou moins à des Google Glass, a permis de faire un bond en avant dans certains secteurs. La grande distribution et les industriels des produits de grande consommation envoient désormais des consommateurs ainsi équipés dans les allées des hypermarchés. En suivant le regard de ces clients témoins, ils peuvent directement juger de l'efficacité d'un packaging dans un linéaire. Ces lunettes peuvent même être couplées à un électroencéphalographe portable qui permet de coupler ce que voit le consommateur à l'activité de son cerveau. L'objectif est d'identifier les packagings qui produisent le plus d'effet au consommateur. ASL, SMI, Tobii commercialisent ce type de lunettes et Leclerc, Intermarché utilisent déjà les services de Matchic Labs pour optimiser leurs mises en rayon.
Les nouveaux champs d'application de l'oculométrie
Si un smartphone dopé au Machine Learning ne va pas remplacer dans l'immédiat les équipements d’eye-tracking spécialisés pour les études ergonomiques, l'arrivée de systèmes d'eye-tracking légers et portables ouvrent la voie à de nombreuses nouvelles applications, plus surprenantes. Illustration de cette diversification, l'américain Tobii a mis au point un système spécifiquement pour les "gamers", les joueurs de jeux vidéos les plus exigeants, le Sentry Eye Tracker. Une simple barre équipée de lampes infrarouges à placer sous l'écran, une caméra et la vision du personnage du jeu se calque sur le regard du joueur. Ce système est d'ores et déjà commercialisé sous la barre des 200 euros. MSI a même dévoilé en 2015 un ordinateur portable intégrant le dispositif dans son design.
Plus sérieusement, les médecins et la recherche médicale cherchent à étendre les usages de l'eye-tracking dans les hôpitaux où celui-ci reste encore limité. L'hôpital Rothchild de Paris utilise déjà les lunettes de Matchic Labs pour observer les réactions des porteurs d'implants cochléaires. Plus simple d'accès et moindre cout, l'eye-tracking pourra ainsi être plus largement utilisé dans le diagnostic des déficits de l'attention chez les enfants ainsi que les cas d'autisme. Peut-être qu'un jour, les smartphones parviendront à détecter les signes avant-coureurs des maladies de Parkinson et d'Alzheimer simplement en observant le regard de leur utilisateur dans son quotidien. L'Eye-tracking fera alors partit de notre environnement, pour le pire et pour le meilleur.