Au prix d’une perfection mortifère, la vie crispée de la mode brûle mal ses imperfections. Dans les cendres collantes, le réalisateur Nicolas Winding Refn y a exhumé un motif à la fois dérangeant et délicat à styliser pour créer Neon Demon. D’une élégance personnalisée, Drive (2011), le minois angélique de Ryan Gosling et la violence frénétique ont porté le cinéaste précité à une sommité populaire. Dans l’espoir de fidéliser une audience acquise et de nouveaux spectateurs exigeants, Only God Forgives (2014) incitait Ryan Gosling à travers un mysticisme déstabilisant, élitiste, et un semi-échec critique. De chic et de choc, des tenues transparentes aux fantasmes, Neon Demon rayonne artificiellement autour de l’actrice Elle Fanning sans capacité à dénoncer efficacement voire sortir des clichés visuels d’une publicité digne des plus grands parfums mondiaux.
« Variations sur Elle Fanning ».
L’idée de marcher sur Los Angeles lançait le film avec un certain panache.
Jesse (Interprétée par Elle Fanning), 18 ans à peine, vit seule dans l’ombre moite d’un motel de Los Angeles. Visage rond, d’un profil filiforme élancé et élégante de simplicité, son physique détonne dans une ville fondée illusoirement sur le rêve américain, alimentée par le monde éphémère du mannequinat, enragée d’observer une innocente inexpérimentée devenir l’icône de mode la plus prisée du moment.
Tour à tour maquillée et imaginée en une Athena moderne, Elle Fanning fascine indéniablement. Avec un procédé devenu une manie du réalisateur, la personnalité est à découvrir au fil du film. Encore faut-il développer des personnages plus intéressants.
The Neon Demon, tout comme Drive et Only God Forgives, renoue avec un scénario-portrait: seuls les rares dialogues, les murmures et les racontars émaillent la personnalité de Jesse. Pierre précieuse par mi les bijoux-fantaisie, l’éclat fragile du film étincelle difficilement au-delà de la très claire formule prononcée par la protagoniste aux ¾ du récit : « Elles veulent être moi. » . The Neon Demon convoite le raffinement d’une tragédie écrite par Shakespeare en troquant les rouages d’un Othello contre des ficelles grossières. Le scintillement malsain réussi de la bande-son originale honore un dénouement fatal sans oublier de cerner le « moi » devenu, en réalité, non plus une marque de caractère mais une question de beauté.
Être prétentieusement belle ne signifie pas l’être. Esthétiquement, Neon Demon démontre des certitudes excessives au point de nous lasser, de nous ternir voire de provoquer l’indifférence face à la volonté de transformer Elle Fanning en douce proie servie cruellement à trois panthères jalouses.
Beauté plastique
Tout concourt à nous rappeler l’impact visuel très codifié des nombreuses publicités de parfums.
The Neon Demon s’approprie de grandes lignes du langage visuel publicitaire : langoureusement, la caméra multiplie les focalisations sur les poses lassives, conçoit des associations d’idées démagogiques où les mises à nu au détriment d’un contenu dénonciateur puissant. Nicolas Winding Refn n’érige pas Elle Fanning en muse, elle devient une source de convoitise où le corps dispose d’une valeur marchande chiffrée par les années : « Je ne suis pas douée, mais je suis belle. », tels sont les mots scriptés par le réalisateur à l’intention de l’actrice.
Hors des scènes de luxure absurdes (Nécrophilie, fantasmes masculins …) l’intérêt majeur du long-métrage consiste à classer le botox, la chirurgie esthétique déformante et la démesure des implants mammaires parmi des dénaturations passées de mode. Dans la multitude, les longs cheveux d’ange, les petites mensurations, la peau non lissée de Jesse valorisent non pas son état naturel mais plutôt une pureté habituellement corrompue, vendue, compromise par la professionnalisation et les déboires du mannequinat. Pour plus d’impact, la différenciation pourtant nette vire en un déluge sanglant, gratuitement conçu pour choquer avec force.
Avec un sujet d’idées, The Neon Demon plonge dans la facilité de dénuder des courbes féminines. Le constat mi-teinte noie la pertinence d’observations piquantes dans un rendu visuel assommant de prétentions.
La surface des belles idées
L’abstraction s’estompe au profit de minutes gagnées sur la réalisation finale.
The Neon Demon excelle à montrer (Dans le sens « monstrueux » du terme.) des malaises sans pouvoir exploiter pleinement les zones sensibles. La menace de Reines Vierges américaines revisitées, le scénario s’empare d’une noble notion : le danger masculin, quasi inexistant ou cauchemardé, échoue avec férocité auprès de trois prétendantes à crocs. Or, les deux justifications apportées à ce déplacement intéressant se limitent à une érotisation bestiale et la volonté jalouse de vengeance.
Le non-sens d’Only God Forgives, désormais assagi, devient une nécessité superflue au bon compte de quelques minutes muettes gagnées sur un sentiment de prétention. Les plus longs instants ont leurs illustrations : être témoin de massacres ordinaires traités à la manière d’un banal fait divers ou la contemplation de triangles lumineux, le cinéaste ennuie, assène ses idées jetées en brouillon et rajoute du sang à la place de mots.
Là où de nombreuses réalisations d’épouvante italiennes laissaient libre court à la jeune innocente, Neon Demon accentue la cruauté tout en oubliant toute notion de mouvement : en dehors d’une course-poursuite inexploitée résumée à une ou deux pièces dans un manoir immense, la réalisation joue le rôle d’un paparazzo en pleine écriture d’un potin malheureux à Los Angeles.
On a aimé :
+ Elle Fanning. (Malgré un charisme limité)
+ Une ambiance musicale oppressante réussie.
+ Quelques idées abordées par rapport au monde (Impitoyablement illustré) du mannequinat.
On a détesté :
– : Une violence débordante, inefficace, troublante et étrangement concentrée indifferemment en tout fin du film.
– : Une prétention visuelle assommante et difficilement justifiable. (Gagner quelques minutes ? Donner des indices déjà courus d’avance ?)