Au départ de l’histoire, Léopold est un garçonnet parmi ses nombreux frères et sœurs, il a l’âge du milieu. Les personnes nées au milieu ont tendance à s’effacer, en ne se mettant ni de l’avant, ni à l’arrière. Ce sera le cas de ce Léopold. À commencer lorsqu’il se détachera de sa fratrie au moment où la vie l’obligera à aller au pensionnat. Il demeurera un être raisonnable tout au long de sa vie et on comprendra pourquoi par l’accompagnement de sa prime enfance et de sa jeunesse.
Le sens inné du sens des responsabilités lui a rapidement fait comprendre que l’on ne doit pas se plaindre dans la vie mais plutôt remplir ses devoirs, par exemple en veillant sur son jeune frère qui va au même pensionnat et, plus tard, en supportant son épouse. Même si la vie de cet homme attachant par sa constante bonne volonté suscite l’intérêt, à partir du moment où il commence à fréquenter sa femme, les passages deviennent plus relevés. En homme marié sur le tard, son caractère se déployait discrètement, il était donc difficile de l’apprécier à sa juste valeur mais à partir des années où il est confronté par le caractère très affirmé de sa femme, on apprend à apprécier sa patience et sa diplomatie. Ces qualités seront mises à contribution car il aura trois enfants avec qui la vie ne sera pas de tout repos.
Tout au long de cette période, l’auteure garde vivant le contexte dans lequel Léopold a grandi, la famille de son enfance, ses frères et ses soeurs. Sa vie sera jalonnée de visites aux survivants de qui le lecteur aime recevoir des nouvelles. Il entretiendra la flamme familiale du mieux qu’il le peut.
L’histoire est somme toute semblable à plusieurs autres vécues à cette époque, alors pourquoi s’y intéresser autant ? Assurément pour l’attachement, lequel se tisse en douceur, par de petits gestes et des pensées du quotidien. Progressivement les liens évoluent entre le lecteur et ses familles du présent et du passé. Léopold est devenu pour moi si tangible que j’ai pleuré à chaudes larmes quand survient l’irrémédiable de la fin d’une vie. J’ai eu l’impression de perdre une personne de mon entourage, chère à mon coeur.
Le style de l’auteure se prête bien à une saga familiale puisqu’il s’attarde à tout détail qui donne sa couleur à l’être humain. Claude Lamarche ne tente pas de mettre de la poudre aux yeux, elle fait confiance à ses personnages pour qu’ils viennent nous chercher sur le quai d’où nous les attendons patiemment. Et ceci, encore plus habilement que dans Les têtes rousses. Ce n’est pas une lecture qui donne des frissons ou des palpitations cardiaques à chaque chapitre mais qui vous amène plutôt à vivre par les voies de l’intérieur la vie d’un voisin avec son lot de hauts et de bas.
J’ai vécu ces hauts et ces bas en même temps que cette famille parce qu'elle transpire de vérité à chaque phrase. C’est la force ultime de cette auteure, une marathonienne des histoires familiales au long cours.