Magazine Culture

L'An I de la "désunion européenne" ?

Par Pseudo

L'An Ils l'ont fait !

Les Britanniques ont osé dire non à l'Union européenne, telle qu'au fil des ans elle est devenue à leurs yeux : anti-démocratique, irrespectueuse des nations qui la constituent — c'est-à-dire des peuples, de leur culture et de leur histoire, qui en sont la chair et l'esprit vivants —, monstre de bureaucratie absorbé par la sur-administration de vétilles mais incapable de faire face aux défis existentiels du continent.

Comment rappeler aux éplorés du jour, gouvernants nationaux, commissaires bruxellois, médias, qu'on ne gouverne pas pour des idées abstraites, aussi «généreuses» soient-elles, ni pour des théories mais, toujours, pour le bien commun incarné de son peuple ? Et que celui-ci finit, toujours, par «renverser la table» quand il s'aperçoit qu'on ne le gouverne plus dans cette optique, mais pour l'intérêt de groupes patriciens, de communautés privilégiées, ou de lobbies, vivant leurs solidarités sur d'autres scènes, auxquelles il n'a pas accès lui.

Comment les gouvernants français, plus particulièrement, pourraient-ils ne pas le savoir, alors que notre histoire depuis la Révolution est celle d'une instabilité perpétuelle et tragique, où les régimes sont chassés au rythme des frustrations et des coups de sang populaires ?

Mais pour l'heure c'est le peuple du Royaume-Uni qui a parlé. Et que nous dit son vote — même si, paradoxalement, ce pays s'était épargné certaines des dérives ou des tares les plus graves de l'UE ?

Que cette belle idée d'une solidarité continentale s'est finalement corrompue, pour n'avoir pas été appliquée avec suffisamment de réalisme, de progressivité, de détermination, de discrimination surtout entre l'accessoire et le vital.

Que les élargissements inconsidérés, opérés à un rythme insoutenable, aboutissant à une obésité chaotique, une impotence — que l'on voulait aggraver encore par l'incongruité d'intégrer la Turquie —, avaient rendu informe, au sens propre, ce projet initial.

Que l'inconséquence suicidaire de choix majeurs, comme celui de créer un espace de libre circulation avant même d'avoir mis sur pied la défense des frontières extérieures, ou celui d'instaurer une monnaie unique au profit d'économies nationales trop disparates — deux options dont les Britanniques ont su éviter les effets les plus immédiatement nocifs mais qui les touchaient quand même de façon indirecte —, donnait des politiques d'intégration une image définitivement ubuesque.

Que l'ultra-libéralisme, quasi superstitieux, de la Commission de Bruxelles, nourri des deux mamelles habituelles : une financiarisation incontrôlée, et l'idéologie de la «mondialisation», devant laquelle toutes les barrières devaient plier, rendait mensongère et détestable pour les classes populaires l'idée que plus d'Europe amenait immanquablement plus de protection — ce que l'omission de toute politique sociale propre à contrebalancer les effets de ce capitalisme caricatural ne faisait que confirmer.

Qu'enfin et surtout, l'oubli du principe qui aurait dû présider à la construction même de l'Union européenne : le principe de subsidiarité — qui n'autorise à déléguer à l'échelon communautaire que les prérogatives strictement utiles à son niveau, laissant au cadre national le soin d'organiser l'essentiel du vivre-ensemble comme bon lui semble — ruinait toute idée de démocratie... Un comble, s'agissant de l'Europe, continent des «droits de l'homme» !

Tout cela, cependant, ne suffit pas à comprendre ce vote, qui en abasourdit plus d'un. 0n l'a souligné, le Royaume-Uni n'appartenait ni à l'«espace Schengen» ni à la zone euro. Ses ressortissants n'auraient eu aucune raison de reprendre à leur compte les philippiques des eurosceptiques continentaux contre cette amorce de fédéralisme, d'autant plus repoussant qu'il se montre incohérent. Il est probable pourtant que cet embryon mal bâti d'intégration supranationale leur soit apparu comme la préfiguration monstrueuse d'une intégration plus générale, vers laquelle tendait inévitablement l'Union, ce que leurs responsables politiques, à terme, ne sauraient — ou même ne voudraient — leur éviter.

Ce danger, pressenti par les Britanniques dans la logique même de l'évolution européenne, est effectivement le pire qui puisse menacer tout peuple épris de liberté et fier de ses vertus — et qui oserait dénier aux peuples du Royaume-Uni ce goût pour l'indépendance et la capacité farouche de la défendre ! Une fois encore, les British nous ont donné l'exemple du refus de plier, de se soumettre, de renoncer à ce qui donne la mesure de sa dignité à un peuple : sa souveraineté. Belle leçon de caractère, que le peuple français, entre autres, ferait bien de méditer...

Il reste maintenant à faire avec ce vote. A commencer par le respecter. Car on entend déjà de ci-de là les mauvais perdants réclamer un nouveau vote ! Et les commentateurs les plus imbus de «démocratie» — sous réserve qu'elle consacre leurs options —, dénoncer ces mal-votants pour avoir été incapables de comprendre les enjeux sur lesquels on leur demandait de se prononcer...

Les questions techniques se résoudront, comme toujours, et il est vraisemblable qu'après ce coup de tonnerre, la météo se calme sans entraîner les vents apocalyptiques que nous promettent les Cassandre. D'autant qu'on imagine sans peine une entente raisonnable se nouer entre l'UE et le nouveau Royaume-Uni «indépendant» afin que le jeu redevienne gagnant-gagnant pour les deux parties. Cette évolution est beaucoup plus probable — et tant mieux ! — que les scénarios catastrophes dramatisés pour intimider les autres peuples d'Europe... C'est d'ailleurs plus pour le partant qu'il faut craindre que pour le continent, car il aura sûrement à faire face à des turbulences internes importantes — quelles conséquences sur les velléités d'indépendance de l'Ecosse ? de l'Irlande du Nord ? sur celles, éventuelles, de Gibraltar de s'arrimer à l'Espagne ? sur l'évolution de la place financière de Londres dans le monde ?...

Sur le continent, on voit mal quel chaos le désaccouplement, en soi, provoquerait. Il faut plutôt s'attendre à un long chemin de négociations techniques compliquées, ce qui n'est amusant pour personne mais ne fait pas une tragédie. En revanche, il est évident que l'événement marquera un tournant : pour la première fois, une nation aura voulu revenir en arrière, rompre avec ce processus d'extension indéfinie, et de phagocytage de ses membres par une Union devenue marâtre.

Sauf à tomber dans l'autisme, les dirigeants nationaux — notamment français —, les commissaires bruxellois, et la masse des europhiles inconditionnels, devront «entendre» ce coup de semonce, qui ne fait que confirmer avec éclat le divorce d'une grande partie des classes populaires avec les institutions européennes. Pour elles comme pour les Britanniques, le maître-mot demeure leur souveraineté. Et ce qu'elles y associent immanquablement : leur sécurité, ainsi que le respect de leur identité — leur art de vivre en somme, si on veut le tourner ainsi. Tout ce que leur dénie, précisément, l'eurotechnocratie et ses privilégiés, arrogante et tellement méprisante à leur endroit...

Car s'il y a une chose que les «élites» n'arrivent plus à comprendre, pour avoir la tête ailleurs, c'est que le cadre national demeure le lieu effectif où s'organisent la solidarité et la sociabilité populaires, en tout cas en Europe. C'est offenser cruellement, et stupidement, les peuples d'Europe que de leur jeter au visage l'insulte récurrente de «populistes» — «national-populistes» a-t-on même pu lire —, quand ils défendent simplement les seuls atouts qu'ils aient en main. Mais n'est-ce pas, après tout, ce que ces «élites» transnationales désirent : des peuples domestiqués ?

A quelque chose malheur est bon. Le référendum britannique aura au moins eu le mérite de secouer le cocotier, et de mettre face à leurs responsabilités les gouvernements nationaux. Désormais, on ne pourra plus faire semblant de croire que le cours de l'intégration européenne, univoque et dévoyé par des décennies d'errements et de déni démocratique, ne peut être que ce long fleuve de bureaucratie et de démolition des vieilles nations — ces ultimes solidarités, et cette ultime liberté des peuples — constituées au fil de l'Histoire.

Certains, pourtant, comme Daniel Cohn-Bendit, n'ont pas bien senti le vent du boulet, et persistent à croire que la solution à ce désamour de l'Europe serait de se ruer dans le fédéralisme intégral, ce qui serait sans doute la meilleure façon d'entraîner la dislocation définitive de l'Union.

D'autres, comme Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen chez nous, confondant souverainisme et repli sur soi, jettent le bébé avec l'eau du bain. Et sautent sur l'occasion pour prétendre imposer une cascade de référendums nationaux censés enterrer toute idée de coopération communautaire européenne — y compris, malgré ce qu'ils en disent, sous la forme d'une Europe des nations. 

C'est sous cette dernière forme, pourtant, que pourrait exister la seule solution viable à terme : une Confédération des nations-unies d'Europe. Mais écrasée par l'alternative chimérique : fédéralisme strict ou nationalisme «sec», quelles sont ses chances d'être défendue ?...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pseudo 17 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte