La guerre, c’est moche. On le sait, ce n’est pas nouveau. Mais chaque guerre apporte son lot de conséquences physiques mais aussi psychologiques. Paye ton traumatisme de prendre un obus dans la tronche… Aujourd’hui je vous parle des poilus, ceux qui ont connu le pied de tranchées, mais aussi l’horreur de la guerre et des blessures atroces, ceux qu’on appelle les Gueules cassées.
Les images peuvent heurter votre sensibilité, elles sont pour la plupart issues de la BIUSanté et vous n’êtes pas obligés de cliquer.
Les mutilés d’une guerre terrible
Durant la Première Guerre mondiale, 40% de l’armée française a été blessée de façon invalidante, au sein de ces 40%, près de 15% des soldats ont été blessés au visage. Parmi les armes de guerre, ce sont les mitrailleuses qui ont fait le plus de dégâts en occasionnant les 2/3 des blessures sur les quatre années de guerre. Mais il y a aussi les obus.
Du coup, on compte alors plus d’un million et demi de morts, et trois millions de blessés de guerre, avec plus de trois cent mille mutilés, dont quinze mille blessés au visage, ce sont les fameuses Gueule cassées. Difficilement identifiables et souvent en état de choc, les soldats ont été victimes d’une balle de mitrailleuse provoquant fracture de mâchoire, perte d’un œil, des deux, du nez, ou encore d’un éclat d’obus avec perte de la peau, des muscles et même des os…
[Du fait de leur absence sur le terrain, peu de femmes ont été victimes de la Grande Guerre, mais il existe tout de même quelques preuves de femmes Gueules cassées. Souvent des infirmières qui n’ont pas eu peur d’aller dans les tranchées ou à proximité]
La prise en charge des blessés
Au départ, pendant la guerre, on met en place un système d’ambulances avec des brancardiers qui viennent chercher les blessés une fois la nuit tombée (pour pas devenir la nouvelle cible). Parfois les mecs sont restés, une, deux, six ou huit heures la gueule en vrac, le bras arraché… Souvent ils sont morts. Alors on change de méthode et on met des médecins et des infirmières sur place pour faire le plus de soins possibles avant de les convoyer à l’arrière du front, ou dans les hôpitaux. Les premiers soins retardent les hémorragies et empêchent certaines asphyxies.
Lorsque les hommes sortent des tranchées, blessés, mutilés, ils sont envoyés dans les camps médicaux pour être soignés par les médecins et infirmières. Défigurés, ils doivent faire preuve d’une grande force pour affronter la vie, le regard des autres et une société qui les rejette. Et puis la douleur aussi…
Les difficultés sociales des Gueules cassées
Alors que la guerre n’est pas terminée, les mutilés et autres Gueules cassées sont envoyés dans des hôpitaux, on tente de leur reconstruire un visage, c’est compliqué, mais c’est un contexte de guerre. Alors qu’à la fin de celle-ci, c’est explosion de joie dans le pays entier, ce sont les Années Folles et rapidement ces Gueules cassées deviennent le reflet de ce que l’on souhaite oublier. Ils font presque honte. Alors les mecs, non seulement ils ont la gueule en vrac d’avoir servi leur pays, mais en plus, ce pays ne tient pas tellement à les remercier…
La première difficulté pour la Gueule cassée est d’accepter sa propre image. Son nouveau visage difforme. Et ça, on peut comprendre que ce soit pas fastoche. Imagine, t’as 20 ans, tu es beau, fringant, tu dragues des meufs et PAF la guerre. Tu t’en vas en promettant à ta copine que tu reviendras vite, toujours beau et fort, et en fait, quelques mois plus tard, t’as un trou à la place du pif et il te manque un œil, bin t’as peur que la meuf, elle ne veuille plus tellement de toi. Et souvent, c’est ce qui arrive. Même dans les couples mariés… Voici une anecdote tirée du livre de Henriette Remi :
« Et elle est venue, la bonne, la douce petite femme. Mais devant ce front sillonné de cicatrices, devant cette absence de nez, devant cette face ravagée, elle s’effondre. Lui, de ses mains maladroites, la cherche. Et les yeux suppliants se tournent vers elle, et les lèvres gonflées se tendent : – Embrasse-moi, embrasse-moi ! Mais elle, affolée, se dégage et se sauve : – Je ne peux pas… je ne peux pas ! »
Ou encore l’histoire de Lazé qui retrouve son fils, Gérard, après plusieurs mois…
» Un cri perçant ! Gérard agite ses bras, ses jambes. Son père, déconcerté, le pose à terre. Et Gérard s’enfuit, plus vite encore qu’il n’est venu, en criant d’une voix terrifiée : » Pas papa ! Pas papa ! » Lazé est atterré, anéanti comme figé sur place. Tout à coup, il saisit sa tête dans ses mains : » Imbécile, imbécile ! Mais aussi est-ce que je pouvais savoir que je suis si horrible ! (…) Avoir été un homme, avoir mis toutes ses forces à réaliser en plein ce que ce mot veut dire et n’être plus que ça. Un objet de terreur pour son propre enfant, une charge quotidienne pour sa femme, une honte pour l’humanité. Laissez-moi mourir «
Lazé s’est suicidé en sortant de l’hôpital. Et il n’est pas le seul. Certains familles n’acceptent pas le retour des Gueules cassées à la maison. Certains lieux vont jusqu’à leur interdire l’entrée (théâtre, cabaret, bistrot, restaurant…). Pour ne pas choquer les enfants mais surtout les gros cons (à mon avis). Les Gueules cassées vivent la nuit, les hommes restent reclus chez eux, de peur qu’on les juge et puis certains vont essayer la reconstruction faciale.
La reconstruction des Gueules cassées
Il faut attendre la fin de la guerre pour que la prise en charge des Gueules cassées soit… un peu moins mauvaise… Parce que sur le moment, dans la panique avec le manque de connaissances des armes et des blessures bin… C’est plutôt moche. Sur place, il y a toujours des chirurgiens et des infirmières, mais ils manquent clairement de moyens, de places et ils ne sont pas bien aux faits des techniques chirurgicales de réparation. Déjà, été comme hiver, les soignants sont obligés de travailler les fenêtres ouvertes tant les odeurs de plaies, chairs vivantes et nécrosées, embaument les pièces. C’est une horreur. Sans parler du sang.
Une fois les premiers soins terminés et la cicatrisation des plaies, certains médecins vont tenter de reconstruire le visage des Gueules cassées. Franchement, c’est pas gagné d’avance, mais ça se tente. Il existe différentes manières pour différentes blessures, les appareils, les greffes et les prothèses. La plupart des reconstructions ont pu se faire grâce à la mise en place de l’Union des Blessés de la Face et de la tête.
Les appareillages, solutions ou tortures des Gueules cassées ?
Le plus connu est le casque de Darcissac. C’est aussi un des procédés les plus douloureux… Et pour cause… Lorsqu’un mec doit porter le casque, c’est que grosso modo, son visage n’est plus à sa place, il a des fractures multiples au niveau des mâchoires. Le casque est très contraignant et très douloureux, la bouche est toujours ouverte, et ça fait baver. Beaucoup baver. Il nécessite entre 15 et 30 jours de contention, le temps que les os se recalcifient entre eux. C’est pas une méthode pour un résultat fin et élégant. C’est plutôt le gros du travail, faire que les os se touchent, et c’est déjà pas mal. Ensuite, il faut utiliser d’autres méthodes pour affiner la reconstruction.
Afin de replacer les mâchoires, le procédé des sacs est efficace… Il suffit pour les médecins de mettre deux baguettes de bois dans la bouche du mec, et d’y attacher des sacs (jusqu’à 3kg) pour que la bouche et le menton retrouvent leurs places.
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Concrètement, il faut entre 10 jours et plusieurs mois pour obtenir des résultats moindres. C’est un peu naze. Dans le même genre, il existe aussi la gouttière de contention. Tu la mets dans la bouche et ça replace les maxillaires. Enfin, théoriquement. Parfois, c’est pas mal !
Les différentes greffes
Autre recours pour les Gueules cassées, les greffes… Il y a la greffe osseuse un peu classique dite ostéo-périostique, on l’utilise depuis quelques temps déjà. Ça consiste à prendre un petit greffon sur le tibia et de le poser là où c’est nécessaire. Le greffon est malléable, donc on peut lui donner la forme qu’on veut. L’idée c’est pas d’avoir un tibia au milieu du front ou sur le menton hein, c’est plus subtil que ça. Le greffon permet de combler les trous et de créer une continuité osseuse. C’est assez efficace, et c’est le docteur Henry Delagenière qui a étendu son utilisation pour les Gueules cassées, dans son centre de chirurgie maxillo-faciale du Mans. Merci Riri ! Parfois, on utilise aussi des os de nourrissons morts… Après les os, il faut faire revenir la peau…
C’est la greffe de Léon Dufourmentel. Le mec il a un peu fait des merveilles. L’idée c’est de prélever un morceau de cuir chevelu sur le crâne des Gueules cassées et de combler les trous de chair sur le visage et particulièrement au niveau du menton. Vu que c’est du cuir chevelu du même mec, bin il peut pas faire de rejet. Les résultats sont satisfaisants. Clairement satisfaisants. L’idéal reste de combiner les deux greffes pour obtenir un bon résultat !
Enfin, il reste la greffe italienne. Une méthode du XVIe siècle. C’est chelou un peu. L’idée vient de Gaspare Tagliacozzi. Pour réparer le visage, il faut découper un lambeau de peau du bras et le poser sur le visage. Pour ne pas que le lambeau meure, il faut qu’il reste vascularisé, du coup, le bras (ensanglanté) est collé sur la plaie au visage. Ça évite les rejets. Faut que le mec soit bien maintenu pendant minimum 15 jours, mais ça marche bien !
Lorsque la chirurgie ne peut plus rien faire pour les Gueules cassées et pour terminer la reconstruction, il reste les prothèses des yeux et du nez, des oreilles…
On place un faux œil sous la paupière, on masque un peu avec des lunettes et on espère que ça passe. Pareil pour la région nasale. Quand la peau va bien, on laisse pousser la moustache, ça donne du volume et on suspend un faux nez attaché sur des lunettes. On peut aussi mettre une prothèse dans le nez (lorsqu’il y en a un), ça permet de lui donner une forme « normale ». Mais, c’est lourd, ça fait mal, et c’est pas super discret. De loin, ça fait illusion, mais de loin seulement. Alors certains préfèrent encore un simple bandage ou exposer leur visage…
Dans un prochain article, nous parlerons de l’obusite. Les conséquences psychologiques -neurologiques- de la Grande Guerre….
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