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Podemos, Syriza et M5S tirent les leçons du Brexit

Publié le 26 juin 2016 par Blanchemanche
#Brexit
24 JUIN 2016 | PAR LUDOVIC LAMANTAMÉLIE POINSSOT ET MATHILDE AUVILLAINL'anguille double faceL'anguille double face ©ob_4d7889_john.jpgQue signifie le Brexit pour les pays d'Europe du Sud à la pointe de la critique d'une Union vue comme austéritaire et antidémocratique ? Dans la Grèce de Syriza, l'Espagne de Podemos ou l'Italie du M5S, le référendum est une leçon pour réformer en profondeur l'Union.Que ce soit en Grèce où la gauche anti-austérité est au pouvoir, en Italie où le mouvement contestataire de Beppe Grillo a le vent en poupe depuis les récentes élections municipales qui lui ont permis de ravir la capitale, ou encore en Espagne où Podemos est aux portes du pouvoir, le référendum britannique pourrait provoquer un appel d'air dangereux… Mais il constitue surtout une leçon pour réformer en profondeur l'Union européenne (UE).Il s'invite en tout cas dans la dernière ligne droite des élections législatives espagnoles,dimanche, et pourrait bien bousculer la fin de campagne. L’incertitude qu’il provoque pourrait en effet servir le parti au pouvoir, la droite du Parti populaire (PP). Le chef du gouvernement sortant, Mariano Rajoy, ne manquera pas de se présenter comme une valeur refuge en ces temps agités. Sur Twitter, l’ex-eurodéputé Pablo Iglesias, à la tête de la coalition de gauche anti-austérité Unidos Podemos, a réagi vendredi tôt dans la matinée : « Un jour triste pour l’Europe. Nous devons changer de cap. Si l’Europe était juste et solidaire, personne ne voudrait la quitter. Nous devons changer l’Europe. »
Día triste para Europa. Debemos cambiar de rumbo. De una Europa justa y solidaria nadie querría irse. Tenemos que cambiar Europa— Pablo Iglesias (@Pablo_Iglesias_) 24 juin 2016
Invité d’un débat télévisé sur le site d'El País, le chef de l’international pour Podemos, Pablo Bustinduy, a repris la même rengaine : le Brexit s’ajoute à une série de crises, de la Grèce aux réfugiés, qui prouve, d’après lui, que l’Europe traverse une mauvaise passe. « Il faut profiter de cette opportunité [le Brexit – ndlr] pour faire un pas en avant […], refonder une Europe démocratique », a-t-il déclaré. « La Banque centrale européenne devrait agir dès que possible, pour envoyer un signal fort et garantir le retour à la stabilité sur les marchés financiers, a-t-il poursuivi, sans préciser ce à quoi il pensait exactement. À moyen terme, la question qu’il faut se poser, ce n’est pas celle de savoir pourquoi les Britanniques ont voté la sortie, mais celle de savoir ce que nous, Européens, voulons faire ensemble. »À Podemos, le Brexit est perçu comme la preuve que l’austérité va dans le mur, et que l’Union européenne n’est pas assez à l’écoute de ses citoyens. Invité à s’exprimer lors du même débat, le ministre des affaires étrangères espagnol, José Manuel García-Margallo (PP), a jugé l’analyse un peu courte : ce n’est pas la politique économique de l’Europe qui était au cœur du débat pendant la campagne britannique, mais sa politique migratoire, a-t-il avancé en substance.Sur le fond, Podemos a adouci ses positions sur l’Europe depuis sa naissance, en janvier 2014. Le mouvement n’a jamais défendu la sortie de l’Europe, ni la sortie de la zone euro. Mais, de la même manière que Syriza, en Grèce, défendait les premiers temps l'idée d'un effacement partiel de la dette grecque, il plaidait à l’origine pour une restructuration de la dette espagnole – position qu’il a abandonnée depuis (même si elle reste défendue par les communistes d’Izquierda Unida [IU], avec qui Podemos a fait alliance pour les législatives de dimanche).À l’été 2015, lorsque Alexis Tsipras, le chef du gouvernement grec, a cédé face aux exigences des Européens et du FMI, appliquant un programme d’austérité, Pablo Iglesias a défendu son allié grec, qu'il soutenait depuis la campagne électorale de Syriza, début 2015. Les communistes d’IU, eux, hurlent alors à la trahison. Poursuivant sur cette ligne plutôt modérée, Iglesias choisit d'ailleurs, en février 2016, de ne pas participer à la conférence du « plan B » organisée à Madrid pour défendre une autre Europe (même si d’autres figures de Podemos, membres de l’aile gauche, s'y rendent). À l’époque, Iglesias et ses proches jugeaient que cette thématique du « plan B » était trop associée à la « vieille gauche », celle des communistes d’IU, vouée à l’échec.Aujourd’hui, Podemos assume un réformisme européen qu’il qualifie de « nouvelle social-démocratie » : il défend par exemple l’instauration d’une taxe sur les transactions financières en Europe (comme les socialistes du PSOE), un assouplissement des règles budgétaires pour tous les États de la zone euro (pour que Madrid obtienne quelques années de plus pour rembourser ses dettes publiques, et lui permettre entre-temps d’assurer une relance budgétaire), ou encore une redéfinition – floue – du mandat de la Banque centrale européenne (BCE).

Conséquences multiples en Grèce

En Grèce, en perpétuelle négociation depuis 2010 avec les institutions européennes, le Brexit est lourd de sens. On s'en souvient, le référendum organisé l'été dernier par le premier ministre grec Alexis Tsipras s'était conclu par un gigantesque « non » au plan d'austérité présenté par la Commission. Pourtant, quelques jours plus tard, le programme d'austérité était signé en échange de la poursuite du financement européen et le pays poursuivait la voie libérale engagée par les précédents gouvernements à Athènes, socialistes comme conservateurs.Pour Athènes, le Brexit apparaît d'abord comme une mauvaise nouvelle. Sur le long terme, il ouvre la voie à de possibles autres sorties de l'Union européenne et de la zone euro, et sur le court terme, il ouvre le champ à de multiples spéculations à ce sujet. Ce n'est pas de bon augure pour la Grèce, qui se trouvait déjà l'an dernier au cœur de fortes spéculations, lorsqu'elle a été soumise à un chantage à la sortie de la zone euro.Le résultat britannique va aussi poser à terme la question du « plus ou moins d'Europe », question qui traverse le continent, en fonction des majorités au pouvoir ici ou là. On l'a vu sur la crise des migrants, le repli identitaire à l'œuvre dans un certain nombre de pays, notamment en Europe centrale, a montré que de nombreux exécutifs voulaient moins d'ingérence de Bruxelles. Si c'est cette option qui l'emporte, c'est assurément la Grèce qui va en faire les frais, elle qui se trouve être la porte d'entrée de la vague migratoire à l'œuvre depuis l'an dernier et où se trouvent actuellement coincés près de 60 000 réfugiés en transit.Ainsi l'éditorialiste du quotidien conservateur I Kathimeriní explique ce vendredi qu'une spéculation sur la sortie de la Grèce de l'UE pourrait reprendre pour deux raisons : « 1. Les Grecs sont épuisés après six années de mesures d'austérité dure. 2. Les Grecs pourraient voir également dans le Grexit une solution potentielle à la crise des réfugiés. Dans ce cas, les politiciens grecs et ceux de la zone euro renégocieraient les liens économiques et politiques en partant de zéro, incluant les programmes de sauvetage, le règlement de la dette, et la crise des réfugiés. »La ministre Syriza Sia Anagnostopoúlou fait, elle, un autre diagnostic. « Bien que ce référendum ait été dominé par une rhétorique conservatrice d'extrême droite, c'est la voix d'un peuple qui se sent marginalisé et sans avenir qui s'est exprimée, explique-t-elle à Mediapart. C'est dommage pour l'Europe tout entière, mais il faut écouter ces gens, il faut comprendre pourquoi ils ont voté contre l'Union. Ils ne sont pas tous subitement devenus d'extrême droite. »C'est bel et bien l'absence de démocratie dans la mécanique européenne qui conduit les peuples à faire ce genre de choix « dangereux » et encourage « les forces centrifuges ». Avec le souvenir frais du référendum grec de l'été dernier et de l'attitude humiliante de certains dirigeants européens à l'égard d'Athènes, celle qui est aujourd'hui ministre adjointe à l'enseignement dans le gouvernement Tsipras assure : « Aujourd'hui, il faut négocier avec les Britanniques. Il ne faut pas répondre par la punition. Ils ont décidé de sortir, il faut respecter ce choix, mais nul besoin d'adopter une attitude négative à leur égard. »Si elle espère que le Brexit agira comme un déclic au niveau européen et fera prendre conscience aux principaux dirigeants que l'on ne peut plus rester sur la ligne du tout-austérité, elle avoue aussi son scepticisme. Certes, la gauche espagnole pourrait progresser aux élections législatives de ce dimanche, mais pour l'heure, le rapport des forces n'est pas encore favorable à un changement de cap. « La Grèce va continuer à subir des pressions. Le chantage du Grexit pourrait réapparaître pour nous obliger à adopter de nouvelles mesures. Mais cette fois-ci, ce n'est pas une pression qui touchera la seule Grèce, c'est une pression qui touchera l'Europe tout entière. » Elle en est convaincue, « la survie de l'Union européenne passera par un changement de politique, par la fin de l'austérité ».Pour l'heure toutefois, ces déclarations ressemblent à des vœux pieux. Le gouvernement Tsipras, après avoir bataillé pendant des mois à Bruxelles, a fini par plier à l'été 2015. Depuis, il applique strictement les consignes de Bruxelles.Adepte des bonnes formules, le chef de l'exécutif hellène a d'ailleurs déclaré ce vendredi que le référendum britannique allait constituer « soit le réveil du somnambule qui marche dans le vide, soit le début d'une trajectoire très dangereuse et glissante pour nos peuples ». Sans surprise, le dirigeant grec, qui a toujours axé ses discours sur la souveraineté populaire, en appelle à un changement « immédiat » : des « structures profondément démocratiques et progressistes en Europe », et non « moins d'Europe », ni une « Europe plus concentrée ».

Clarification du M5S face au Ukip

Aujourd'hui cependant, la ligne de Syriza sur l'Europe est surtout marquée par un grand écart entre le discours et la réalité. Le parti s'est déchiré l'an dernier à l'occasion du recul de Tsipras – l'aile hostile au compromis, voulant respecter à tout prix le « non » du peuple grec, ayant fait scission. La ligne majoritaire, devenue unique, de la « coalition de la gauche radicale » (traduction littérale de l'acronyme Syriza en grec) s'apparente désormais, sur le plan économique, à celle d'un parti social-démocrate – même si elle s'accompagne d'une rhétorique combative de gauche, et si, sur certains sujets comme la question migratoire, le positionnement ouvert et tolérant d'Athènes reste à l'opposé d'un gouvernement Valls.De la même manière que le gouvernement Tsipras, en Italie, l'opposition du Mouvement 5 étoiles retient avant tout l'aspect « consultation populaire » du référendum outre-Manche. « Les Britanniques ont choisi le Brexit. La démocratie a gagné et l’Europe des banques a perdu. Le vent du changement est toujours plus fort », s’exclamait ce vendredi matin sur Twitter le député italien M5S Danilo Toninelli : 140 signes qui résumaient la teneur de la réaction du Mouvement 5 étoiles après le Brexit.
I britannici hanno scelto la #Brexit. Ha vinto la democrazia e perso l'Europa delle banche. Il vento di cambiamento è sempre più forte!— Danilo Toninelli (@DaniloToninelli) 24 juin 2016
Galvanisé par sa récente victoire électorale aux municipales en Italie, le Mouvement fondé par le comique Beppe Grillo, étiqueté « populiste » et « eurosceptique » par la presse internationale, se félicitait ce vendredi, non pas du résultat du référendum et de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, mais plutôt de la victoire de la consultation populaire. « C’est la décision des citoyens britanniques, par référendum, écrit Beppe Grillo sur son blog, support de communication du Mouvement. Aucun gouvernement ne doit avoir peur des expressions démocratiques de son propre peuple, au contraire, il doit considérer sa volonté comme le plus respectable des mandats. »Le post souligne d'ailleurs que « la voie la plus chère au Mouvement 5 étoiles est celle de demander aux citoyens leur avis sur les arguments décisifs pour les peuples », rappelant au passage qu’un des piliers de son programme est la convocation en Italie d’un référendum sur la monnaie unique. Fort de sa victoire aux municipales face au Parti démocrate de Matteo Renzi, le mouvement anti-establishment fondé en 2009 par Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio, désormais deuxième force politique du pays, surfe sur la vague du « changement » en Italie et en Europe : « L’Europe doit changer, sinon elle meurt », prévient ainsi le M5S, qui se revendique toujours mouvement citoyen. « Les institutions communautaires et en particulier la Troïka – FMI, BCE, Commission européenne – doivent commencer à se demander où elles se sont trompées et comment elles peuvent résoudre l’énorme problème qu’elles ont généré. Il y a des millions et des millions de citoyens européens toujours plus critiques, qui ne se reconnaissent pas dans cette union faite de banques et de chantages économiques », poursuit le billet de blog, faisant référence à la situation grecque.Si le M5S garde ses distances vis-à-vis de Syriza, dont il rejette la dimension« idéologique », Beppe Grillo s’était rendu l'été dernier à Athènes, « en soutien au peuple grec, pour dire non aux banques » le jour du référendum sur le plan proposé par les créanciers de la Grèce. Un an après, le Mouvement 5 étoiles interprète le Leavebritannique comme « l’échec des politiques communautaires vouées à l’austérité et à l’égoïsme des États membres, incapables d’être une communauté ».La veille, le Mouvement 5 étoiles avait pris les devants des commentateurs, déjà prompts à ressortir le dossier de son alliance passée avec le parti europhobe UKIP de Nigel Farage au Parlement européen. Dans un long billet de blog, le Mouvement 5 étoiles Europe précisait son positionnement modéré quant au référendum britannique, à la surprise de la presse italienne : « Le Mouvement 5 étoiles est en Europe et n’a aucune intention de l’abandonner. Si nous n’étions pas intéressés par l’Union européenne, nous ne nous serions jamais portés candidats pour les européennes. » Dix-sept eurodéputés « grillini » ont en effet fait leur entrée pour la première fois au Parlement européen en 2014. Entrée remarquée, puisque Beppe Grillo avait alors choisi d’adhérer au groupe Europe Libertés Démocratie – où se distinguait l'europhobe britannique du UKIP. Ce « mariage de convenances », très critiqué au sein même du M5S, avait rapidement, quelques mois plus tard, volé en éclats.À la veille du Brexit, le Mouvement 5 étoiles tenait donc à clarifier ses distances avec leUKIP. « L’Italie est un des pays fondateurs de l’Union européenne, mais il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas dans cette Europe, précisait ainsi jeudi le billet du Mouvement 5 étoiles Europe. Le seul moyen de changer cette “union”, c’est l’engagement institutionnel permanent, c’est pourquoi le Mouvement 5 étoiles se bat pour transformer l’Union européenne de l’intérieur. »Le résultat du référendum britannique vient donc renforcer le constat des trois grands partis anti-austérité de l'Europe du Sud frappés ces dernières années par la crise : Podemos en Espagne, à deux jours d'élections législatives qui pourraient le consacrer comme deuxième formation du pays, Syriza, au pouvoir en Grèce, et le Mouvement 5 étoiles en Italie, aujourd'hui à la tête de Rome et de Turin. Avec toutes leurs contradictions, ces trois partis appellent, à juste titre, à réformer en profondeur l'architecture européenne. Et la gauche au pouvoir au Portugal – autre pays du Sud passé par les cures d'austérité – ne fait pas exception. Le Brexit a envoyé « un signal très fort », a déclaré vendredi le premier ministre portugais, le socialiste Antonio Costa : de nombreux Européens ne peuvent plus s'identifier à « ce que l'UE est devenue ». Il ne s'agissait pas, a déclaré le chef de l'exécutif à Lisbonne (soutenu par l'extrême gauche du Bloco de Esquerda ainsi que le parti communiste et les écologistes), « de plus d'Europe ou de moins d'Europe, mais d'une meilleure Europe ».https://www.mediapart.fr/journal/international/240616/podemos-syriza-et-m5s-tirent-les-lecons-du-brexit?page_article=3
Pablo Iglesias 

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