Fanfiction Divergente 4 - Résurgence : Chapitre 17

Par Les Griffonneuses

Salut tout le monde !

Sans plus attendre, je vous livre le chapitre 17 de la fanfiction Divergente 4 - Résurgence !

CHAPITRE DIX-SEPT

Le lendemain, Tobias ne voit pas Tris de la journée, elle reparaît en soirée et explique avoir fait des tests au centre d’étude de la Divergence. Ses gènes sont passés à la loupe. Tobias sent son cœur se serrer : Tris passe beaucoup de temps avec Matthew en ce moment. Il sait l’attirance du généticien pour la jeune fille, et il ne peut pas nier que ça le contrarie… au mieux. C’est du bout des lèvres qu’il apprend à Tris que les équipes de voirie ont trouvé deux autres entrées de souterrains. La jeune fille exulte, sans s’apercevoir de l’air renfrogné de Tobias.

Tobias et Tris peuvent être satisfaits : les travaux avancent vite. Des drones sont envoyés dans les souterrains pour les cartographier, repérer les embranchements, les obstructions et le trajet de l’eau. Toutes les images sont envoyées en temps réel aux ingénieurs qui étudient la faisabilité du projet de Tris. La déviation des cours d’eau mineurs alimentant l’ancienne rivière Chicago est identifiée. Des puits artificiels avaient été creusés pour que l’eau s’enfonce dans le sol et rejoignent les tunnels de la ville. Ils avaient ensuite été recouverts par des sols végétaux colonisés par les plantes. Une fois le puits bouché, l’eau commence à s’écouler dans le lit de l’ancienne rivière.

La rénovation de deux nouveaux ponts levants est entreprise pour ajouter, aux deux voies déjà existantes, deux passages pour permettre aux voitures et aux piétons de passer d’une rive à l’autre à pieds secs plus rapidement, avec moins de détours. D’immenses poutrelles métalliques provenant de buildings en déconstruction, ou d’anciens ponts, sont acheminées près de la rivière et utilisés pour former des ponts de fortune et des passerelles supplémentaires. Toute la ville fourmille d’activité, mue par les promesses du retour de l’eau. Les habitants scrutent avec curiosité les ballets de camions transportant matériaux et main d’œuvre. Des émissaires sont envoyés dans la Marge chercher de la main d’œuvre : le retour de l’eau, d’accès plus facile, convainc quelques familles de participer aux travaux.

En une semaine, la rivière est métamorphosée. Un ruisseau continu y circule, le deuxième affluent, le plus important, n’est pas encore dégagé, mais déjà, le paysage de Chicago change et les curieux mesurent chaque jour le retour de l’eau dans le lit historique de leur rivière. Aucun, n’a jamais vu que des flaques ou des filets d’eau dans le berceau aquatique de leur ville. Les charges explosives ont été placées par des plongeurs dans les souterrains, ainsi que des rubans d’éclairage pour faciliter les travaux et la progression des artificiers.

Les explosions, maîtrisées pour ne pas fragiliser les structures et les voûtes, destinées à dévier l’eau des tunnels définitivement vers le lit de la rivière sont programmées pour le lendemain. Des équipes doivent se répartir aux différents accès découverts, pour surveiller le trajet de l’eau et rendre compte des éventuels problèmes. Des équipes de secours sont mobilisées en plusieurs points de la ville, par aéroglisseur.

Ces véhicules fonctionnait sur coussin d’air, remisés au Bureau du Bien-Etre génétique, ont été réutilisés, depuis quelques mois et aménagés pour fonctionner à l’énergie solaire. Rapides, ils passent sur les terrains marécageux situés entre Chicago et le Bureau ou certains villages de la Marge, sans s’embourber, et ont permis de mieux approvisionner les sites, et favoriser les échanges. Leur vitesse a convaincu également les services d’urgence de s’en équiper.

Tris, Tobias et Christina sont chargés de surveiller le flux à l’intersection de North et Fairfield, là où Tris a découvert la première bouche. Cet accès, inachevé, était sans doute destiné à permettre l’accès à des piétons, un escalier de béton brisé sur toute la partie basse ayant été mis à jour. Et en dessous, le vide, sur trois mètres de hauteur. Le tunnel, quelques mètres plus loin, rejoint un réseau plus vaste de tunnels et galeries.

Tris est un peu en avance sur l’horaire prévu.

Elle approche de la rue d’où sera surveillé le débit de l’eau, après le déclenchement de la seconde explosion. La première vient de retentir et le premier torrent va passer juste sous la bouche à quelques mètres devant elle. Ce tunnel-là était au sec, inutilisé pour la déviation de l’eau des affluents, mais la cartographie du réseau souterrain a permis de le situer comme très bien placé pour l’opération Résurgence. Au loin, elle entend un cri strident et de l’agitation. Autour de la bouche, deux personnes accompagnées d’un enfant, appellent au secours. Tris en découvre la raison : une grille de bois a été négligemment posé sur l’ouverture vers le souterrain, et une petite fille est assise en plein milieu. Tris, glacée d’effroi, laisse la tablette qu’elle tient dans les mains chuter au sol et s’élance furieusement vers la bouche.

La petite fille pleure, assise sur la grille en bois. Son pied est coincé dans une case et elle n’arrive pas à se libérer. Les parents sur le bord, paniqués, appellent au secours et essaient d’inciter leur fille à décoincer son pied, en vain. Le bois est fin, aucun des deux parents ne peut marcher dessus sans entraîner immédiatement la rupture des croisillons, et la chute dans le torrent furieux qui passe maintenant en dessous. Mais Tris est fine et plus petite, elle seule a une chance de la sauver.

Ce n’est vraiment pas le moment. L’opération Résurgence est lancée. L’eau coule furieusement sous la grille de bois, et le détournement suivant va multiplier par deux la force du courant. Christina et Tobias vont la rejoindre d’une minute à l’autre pour passer à l’étape suivante. Si la fillette tombe dans l’eau, elle n’aura aucune chance. Tris s’accroupit sur le bord du cadre de bois.

-   Vous voulez y aller ? demande le père affolé. Le bois ne tiendra pas !

La mère accroupie pleure en essayant de rassurer la petite à distance. Elle tient par la main un petit garçon qui pleurniche.

-   Je suis plus légère que vous. Je ne garantis rien, mais le bois ne tiendra pas longtemps, il est mouillé et vieux ! argumente Tris fermement. Il va y avoir une grosse vague qui va provoquer un gros courant d’air, je ne sais pas si la grille ne va pas bouger ! Ou si votre fille ne va pas faire un mouvement dangereux ! Vite, décidez-vous ! Et appelez la police !

-   Si elle tombe…

-   Je tombe avec elle, tranche Tris d’un ton ferme.

Les parents se regardent et hochent la tête en regardant avec angoisse leur petite fille coincée au milieu du croisillon de bois. Si la fillette tombe dans l’eau, elle n’aura aucune chance. Tris essaie de la calmer :

-   Ecoute-moi, on va te sortir de là, toi et moi, ok ? Je vais venir vers toi et t’aider à décoincer ton pied. Il ne faut surtout pas bouger, le bois est fragile !

La petite hoche la tête en hoquetant, et en serrant sa poupée contre son cœur. Tris teste les croisillons sur le bord, ils plient à peine, mais plus elle teste le centre, plus ils ploient.

-   Je vais la décoincer, vous tendrez les bras autant que vous pourrez pour la récupérer, et vous la tirerez d’un mouvement rapide ! Les autres reculez ! crie Tris aux parents.

Le père acquiesce et se prépare, sur le bord, genoux pliés, tout le corps tendu vers sa petite fille.

A quelques dizaines de mètres de là, Christina et Tobias approchent de la bouche béante, vers laquelle ils doivent rejoindre Tris pour suivre le déclenchement de l’opération. Soudain, le jeune homme voit au sol la tablette que Tris a laissé tomber en courant. Il la ramasse, les sourcils froncés. Il voit le coin cassé et, au dos, le décor collé par la jeune fille pour la reconnaître au lycée, à la bibliothèque ou dans ses déplacements.

Il comprend instantanément que seul un événement grave l’aurait poussée à laisser tomber son appareil. Christina lui jette un œil inquiet. Il regarde l’attroupement au loin, et Christina l’entend murmurer « Tris… ». Tobias se met à courir à toutes jambes vers la bouche, Christina se lance à sa poursuite sans un mot. Ils arrivent alors que Tris, à quatre pattes au milieu du grillage de bois, vient de libérer le pied de la petite fille. Mais ce faisant, un des fins tasseaux s’est fendu. Tris pousse la petite vers le bord.

-   Vite, prenez-la ! Ça va casser ! crie-t-elle.

Le père se tend avec l’énergie du désespoir, et récupère la petite fille par le bras en tendant la main et la tire puissamment vers le bord pour la mettre hors de danger. Tris respire de soulagement. Christina et Tobias arrivent comme des ouragans et ne peuvent que constater le danger dans lequel se trouve leur amie.

Mais le père a appuyé fortement sur le bord du grillage pour prendre appui, Les yeux de Tobias sont figés sur Tris, à qui il tend la main depuis le bord. Il est trop lourd, il ne peut pas avancer pour aller la chercher. Les tasseaux grincent dangereusement. Tris essaie d’avancer sur les croisillons, plus résistants, pour rejoindre le bord de la bouche et saisir la main de Tobias, au dessus du vide laissé par l’escalier incomplet de la bouche du souterrain inachevé. Mais, soudain, le bois cède, le grillage craque de toutes parts, se démembre dans un craquement sinistre et glisse dans la fosse. Tris passe à travers en une seconde.

Christina et Tobias voient avec horreur Tris disparaître dans la bouche béante avec les bouts de bois brisés, comme si la terre l’aspirait dans une paille géante. Elle n’a même pas crié. Les parents serrent contre eux leurs deux enfants, horrifiés par la chute de la sauveuse de leur petite fille.

-   Nooon !

Le hurlement de Tobias était si puissant qu’il a couvert celui de Christina, et même le fracas du torrent à deux mètres en-dessous.

« Pas cette fois, non, pas une deuxième fois », le jeune homme ne peut pas s’y résoudre.

-   Christina, envoie les secours de l’autre côté ! Je ne peux pas la laisser ! crie Tobias.

Christina hurle à nouveau quand il saute à son tour dans le trou béant, sous les yeux effarés des spectateurs.

Au début, Tobias est secoué dans tous les sens, comme s’il était pris dans le rouleau d’une vague déferlante. A chaque trou d’air qu’il sent sur son visage, il vide ses poumons, inspire et hurle pour appeler Tris en essayant de couvrir le fracas de l’eau, puis il respire à nouveau autant qu’il peut l’air qui s’offre à lui l’espace de quelques secondes avant que l’eau ne le recouvre dans un nouveau tourbillon. Son corps est propulsé en tous sens, il heurte les parois, puis est renvoyé comme un élastique surtendu. Grâce aux éclairages bleutés installés par les plongeurs avant l’opération, il essaie de garder la notion du haut et du bas, et regarde désespérément partout pour tenter d’apercevoir Tris. Un bras devant sa tête pour se protéger, et l’autre tâtant l’eau autour de lui. Ses pieds touchent rarement le fond. Mais il ne la voit pas, l’eau l’emporte, et il est terrorisé à l’idée de l’avoir déjà dépassée sans l’avoir vue. L’immense couloir fait un coude dont il prend le l’angle de plein fouet sur l’épaule, puis quelques mètres plus loin, un autre. Tobias tourne sur lui-même sans pouvoir résister au courant, pour tenter de repérer son amie. A chaque fois qu’il peut, il crie pour l’appeler. Mais sa voix est couverte par le fracas assourdissant du torrent qui se déverse dans la gueule du tunnel.

Après le deuxième coude, c’est l’ancienne intersection, peut-être un répit dans la force du courant, mais avec son lot de mobilier et d’épaves en tout genre. Autant de points possibles pour s’accrocher. Mais aussi d’armes mortelles pour assommer n’importe qui s’y heurterait. Il sait qu’il n’aura que quelques secondes dans le grand espace de la salle d’aiguillage, pour tenter de la repérer, si elle y est déjà. L’eau est froide, elle engourdira vite les extrémités. La salle... Il attrape le premier objet qui passe à sa portée mais il n’est pas fixé, et sa course n’est pas interrompue. Puis, un long tube fin apparaît près de lui, il le saisit, et son bras se tend, le câble est fixé au plafond, c’est une petite gaine de caoutchouc assez souple, et résistante, sans doute pour le gaz. Affolé, il regarde autour de lui dès que l’eau lui en laisse le temps et il appelle, encore. Soudain, il ressent un violent choc dans le dos. Quelque chose l’a heurté. Quelque chose de mou et chaud.

-   Tris ! Tris ! répète-t-il.

La jeune fille vient de le percuter, inconsciente, il la rattrape avant qu’elle ne glisse loin de lui et la serre contre son torse en essayant de garder sa tête hors de l’eau.

-   Tris, réveille-toi, Tris ! lui crie-t-il.

Hissant son propre corps et celui de son amie le long du câble, il arrive à se plaquer contre la paroi de la salle, en appui contre un conduit en relief, où le courant est moins fort. Il libère sa deuxième main et la place sur la jugulaire en l’appelant, sans cesse.

-   Tris, réponds, me laisse pas, Tris !

Son pouls est faible, mais il le sent. Elle doit absolument se réveiller pour lutter contre l’eau, sinon elle se noiera, et lui avec. Pressant le corps de Tris contre la paroi, en le protégeant du sien, il trouve un appui sur un objet avec ses pieds. Peut-être les objets fixés sur un quai, cela lui permet de souffler et de se concentrer sur la jeune fille. Impossible de savoir si elle respire, le courant est trop fort pour permettre de sentir son souffle. Tobias décide de lui faire le bouche-à-bouche, pince son nez et souffle dans sa bouche. Elle a sûrement avalé beaucoup d’eau. Plusieurs fois, en vérifiant son pouls d’une main sur la jugulaire, il souffle dans sa bouche, partage son air et l’appelle sans relâche, l’eau lui glace le dos, les jambes, lui endolorit ses épaules, mais il ne sent pas le froid. Enfin, la jugulaire se gonfle un peu plus, Tris tousse en crachant de l’eau et inspire un grand coup. Tobias respire, il a réussi ! Plaqué de toutes ses forces contre son amie, il ferme les yeux, et appuie son front sur la joue abîmée de Tris qui reprend conscience en toussant.

-   Tris, ça va, ça va, je suis là. Respire ! lui dit-il fermement.

-   To… Tobias !

-   Chut ! Respire ! Tu m’as fait si peur !

-   Pourquoi tu es là ? Tu… il ne fallait pas me suivre ! L’eau, le torrent, il va s’amplifier. Tu vas mourir ! articule Tris en crachant l’eau qui lui reste dans les poumons et en repoussant les cheveux qui s’étaient collés sur son visage.

-   On va s’en sortir, tous les deux ! Accroche-toi !

Tris se cramponne aux épaules de Tobias, transie. Une idée, vite ! La seconde vague sera bientôt là, il le sait, et elle engloutira tout le tunnel.

Le câble qu’il tenait se balance dans son dos, à quelques centimètres, en éraflant sa nuque à chaque balancement.

-   Tris, écoute-moi, tu vas m’aider, d’accord ? Regarde le câble derrière. Je ne peux pas l’attraper, si je lâche prise, le courant va nous emporter. Tu as encore ton couteau ?

-   Ou… Oui, je crois.

-   Prends-le, ordonne-t-il, ne le lâche surtout pas, tiens-le bien, et essaie d’attraper le câble, il faut en couper un morceau.

-   J’essaie… répond Tris.

Ballotés par le courant, Tris parvient à ouvrir sa poche et à en tirer son couteau, elle passe ses bras autour du cou du jeune homme et attrape le câble en tendant un bras. Elle glisse le câble entre ses dents. Ses doigts transis peinent à déplier la lame, elle tremble de froid.

-   Allez, courage, coupe un morceau aussi long que tu peux !

Le courant dévie les mouvements, le caoutchouc mouillé résiste, Tris met toute son énergie à trancher le tube. Enfin, il cède.

-   Tu peux en couper un deuxième ? demande Tobias, crispé dans son effort pour résister au courant.

-   Non c’est trop loin, je ne peux pas ! C’est trop court ! s’affole-t-elle.

Elle parvient avec difficulté à ranger son canif, et serre Tobias de toutes ses forces, tenant le précieux tube dans sa main.

-   Ça fait rien, écoute, écoute-moi bien, lui dit-il tout contre elle. On va essayer de récupérer un bout de bois, si on peut pour servir de flotteur. Tu le glisseras dans mon blouson, d’accord ?

Il reprend son souffle et continue d’exposer son idée à Tris, terrorisée qui le regarde en papillonnant d’un œil à l’autre.

-   Quand la grosse vague arrivera, et avant si on peut, poursuit Tobias, on lâchera tout.

Tris gémit à cette idée.

-   Ça ira ! Ecoute-moi : on lâchera tout, quand je te le dirai. Le bois nous aidera à nous tenir en haut du courant. Il faudra me faire confiance, d’accord ? explique-t-il essoufflé. Je te serrerai fort, dans mes bras, et entre mes jambes, pour qu’on reste ensemble. Toi, tu devras tenir le tube fermement, tu ne feras que ça. On va s’en servir pour respirer, il sortira mieux de l’eau que nos têtes. Comme on n’en a qu’un, il faudra qu’on s’en serve en même temps, bouche à bouche, ok ? Glissé au coin de nos bouches et on se serre pour que l’eau ne rentre pas. On partagera notre air, ok ? Ça ira ? Tu y arriveras ?

Tremblante et transie de froid, Tris continue de cramponner Tobias et hoche la tête. Puis, elle cherche, tout ce qui passe à leur portée, elle essaie de le saisir, au cas où ça flotte. Des tubes, des débris passent près d’eux, des morceaux de bois, trop petits ou pointus pour être utilisables. Elle parvient à saisir à tâtons un bidon vide en plastique.

-   Super, vas-y, glisse-le sous mon blouson, dans le dos, essaie ! lui souffle Tobias.

Frigorifiée, elle se baisse en retenant sa respiration, pour glisser le bidon sous le pull de Tobias puis refait surface. L’eau balaye le dos de Tobias puissamment et tous ses muscles sont bandés pour lui résister.

-   Bien, voilà, essaie de respirer calmement maintenant, contrôle ta respiration pour abaisser le rythme cardiaque, respire doucement, dit-il d’un ton apaisant, comme pour sortir des simulations, tu te souviens ? Quand tu es prête, on fait un essai, d’accord ?

La jeune fille acquiesce, ferme les yeux en tremblant et respire à fond, doucement, plusieurs fois. Elle les rouvre et croise ceux de Tobias, il la regarde franchement, calmement, son regard est rassurant, confiant. L’eau dégouline le long de ses arcades sourcilières et perle sur ses cils, le froid l’engourdit petit à petit et fait trembler ses muscles sur tout le corps. Evidemment, il a aussi froid, aussi peur qu’elle, mais il est là, il la soutient et il ne flanche pas. Tris approche le tube et ensemble, ils essaient de le placer, bouche contre bouche, de telle sorte qu’ils respirent par lui, sans que l’eau ne rentre. Le tube n’est pas trop épais, leurs bouches s’emboîtent parfaitement, ça marche, apparemment. L’apport d’air est faible, mais c’est toujours ça.

-   On y va ? On a plus de chances si on part avant le gros de la vague. Il n’y a que quelques centaines de mètres de tunnel, tout droit, ok ? On se laisse porter. Pas de cri. Si tu as peur, ferme les yeux et plaque toi contre moi !

-   Tu ne me lâcheras pas ? articule-t-elle en tremblant contre lui.

-   Jamais, plutôt mourir, lui promet Tobias en serrant sa joue contre la sienne. Si tu meurs…

-   Je meurs aussi, termine Tris en dans un souffle contre son oreille.

Tobias se contracte à ces mots, mais ce n’est pas le moment des explications. Tris place le tube comme ils viennent de le tester. Il lâche une main pour enserrer le buste de la jeune fille, puis ses jambes emprisonnent les siennes en s’enroulant autour. Et alors qu’il place sa deuxième main sur la nuque de la jeune fille pour la protéger, le courant les emporte dans un tumulte glacé, serrés l’un contre l’autre et bouche à bouche.

A l’entrée du tunnel suivant, le courant, concentré dans un conduit plus étroit, accélère brutalement, et les emporte en les remuant comme des débris. Dès que leur tête dépasse de l’eau, ils inspirent du coin des lèvres, tout en serrant le tube. Au loin, la détonation a fait trembler la voûte, plus que quelques secondes avant que l’onde de choc ne propulse d’énormes volumes d’eau supplémentaires. L’énorme bouillonnement glacé arrive dans un bruit de tonnerre et la vague infernale les engloutit à nouveau. Tobias serre Tris de toutes ses forces. Les débris les griffent et les écorchent à chaque mètre.

Puis, le grondement assourdissant de la seconde vague se fait entendre du fond du tunnel. Tobias resserre encore son étreinte. Elle les rattrape en quelques secondes, alors que loin, tout au bout, Tris a cru apercevoir la lumière du jour. Trop loin. Tris prend une grande inspiration à pleins poumons, du coin de la bouche, quand leur tête sort une dernière fois de l’eau et puis, plus rien.

Tobias sent le corps de Tris se détendre complètement, elle a perdu connaissance. Il garde sa bouche désespérément serrée contre la sienne, aspirant l’air du tube dès qu’il sort de l’eau au-dessus de leurs têtes, puis il souffle le plus calmement possible dans les poumons de Tris pour continuer de l’oxygéner. La lumière augmente d’intensité, plus que quelques dizaines de mètres… Tenir…

Un tourbillon plus violent que les autres les balaie de gauche à droite, Tobias perd la notion d’espace, il se sent frappé de toutes parts par les déchets dragués par le courant. Puis, le choc, et une violente douleur lui transperce le crâne, c’est le noir total.

***

-   Tobias, reviens ! Allez ! hurle Christina en appuyant comme une brute sur la poire à oxygène.

Les sauveteurs s’affairent fébrilement pour le réanimer, accompagnant Christina. Enfin, l’eau coule de sa bouche, dégouline sur ses joues et purge ses poumons. Tobias, crache tousse à grandes poussées et inspire une grande goulée d’air, tordu de douleur. Christina, hors d’haleine, se jette à son cou.

-   T’en as pas marre de risquer ta vie toutes les dix secondes, bordel ! lui crie-t-elle, laissant sa peur rétrospective s’exprimer dans sa colère. T’es cinglé, cinglé !

-   Ecartez-vous ! jette un sauveteur à Christina.

-   Tris ? articule Tobias en crachant et toussant.

-   Ça va, elle est dans les vaps sous oxygène, ça ira, souffle Christina, dans un soupir de soulagement.

A quelques mètres, sur l’aéroglisseur, un autre attroupement s’affaire autour de Tris. Tobias, frigorifié, tremble de tous ses muscles. Deux hommes au-dessus de son buste lui prodiguent les premiers soins et le couvrent pour le réchauffer. Le jeune homme est couvert de plaies et de coupures et sa tête n’est qu’une boule de douleur. Il grimace.

-   Tiens-toi tranquille !  T’as pris un coup sur la tête, tu t’es évanoui. Ta bosse est énorme.

-   Et Tris ? s’entête Tobias.

-   Elle est contusionnée et coupée de partout, le médecin lui a injecté un calmant, elle n’arrêtait pas de crier et de t’appeler pendant qu’on essayait de te réveiller de ta sieste !

Tobias soupire, ils sont en vie, Tris est en vie, il lui semble être en miettes, mais il s’en moque, ils ont réussi.

-   Il a dû te coller des décharges électriques dans les muscles pour te faire lâcher prise, tu serrais Tris si fort qu’on ne pouvait pas vous détacher ! Tes membres étaient tétanisés.

-   J’aurais pu la noyer… articule Tobias.

-   Ouais, une chance sur deux. Mais tu l’as sauvée, Quatre, dit Christina. Elle serait morte sans toi. Chapitre clos. Je vais la rassurer, elle est très choquée, et je reviens.

Christina rejoint Tris, comateuse et gémissante, sur le brancard.

-   Tris, tu m’entends ? Quatre va bien. Vous êtes sortis d’affaire tous les deux, dit Christina à la jeune fille à moitié anesthésiée.

-   Tobias… il m’a sauvée, il va bien ? murmure Tris en tremblant de tous ses membres.

-   Oui, des coupures un peu partout et une belle bosse, ça ne sera rien.

-   Merci Chris, souffle-t-elle en s’endormant complètement, cédant aux sédatifs.

Christina essuie les larmes qui coulent des yeux de Tris sur ses cheveux mouillés et retourne vers Tobias.

-   Bon c’est quand que vous prenez des vacances vous deux ? Ça m’en ferait aussi ! s’emporte Christina, dont le soulagement fait place à la colère.

Tobias esquisse un sourire douloureux et faible, les yeux à moitié fermés, pendant que les infirmiers le mettent sous perfusion :

-   J’ai pas un muscle intact, tu plaisanteras un autre jour… souffle-t-il.

-   Ouais, mais il y a que maintenant que tu peux pas te venger, j’en profite !

-   Et… l’eau ?

-   Il faut attendre, on se préoccupera de ça plus tard, ok ? répond Christina. Pour l’instant, on vous emmène à l’hôpital.

Malgré les protestations de Christina, Tobias essaie de tourner la tête vers l’autre brancard où gît Tris. Mais même cet effort lui donne le vertige et déchire ses muscles de décharges telles des pointes acérées, des points noirs balaient ses yeux de l’intérieur, tout son corps n’est que douleur, plus qu’il ne peut supporter. Il sombre.

 Après avoir sécurisé les deux accidentés, l’Hovercraft se remet en marche dans un grand souffle étouffé, en direction du centre hospitalier. En chemin, Christina pense que Tris ne l’avait jamais appelée « Chris » auparavant, elle s’était toujours demandé pourquoi. Beatrice l’avait fait très rapidement. « Tris a perdu connaissance juste après, elle n’a sans doute même pas pu finir de prononcer mon prénom. » pense-t-elle. Sans doute.

***

Tobias ouvre les yeux, il voit trouble et, dans une sorte de brouillard, il perçoit la lumière du jour, sur le côté. Sa tête lui fait horriblement mal et ses membres lui semblent être en plomb. Il peut à peine bouger un doigt. Comme il tourne lentement la tête, le mouvement attire l’attention de Christina qui bondit du fauteuil pour s’approcher du lit de son ami :

-   Hey, ça y est ? Tu as fini de fainéanter ?

Tobias esquisse un sourire fatigué.

-   Tris ?

-   C’est dingue, vous avez que ça à la bouche ! Tris ? Tobias ? Vous ne pensez qu’à l’autre !

-   Elle est où, Christina ?

-   Dans une chambre un peu plus loin dans le couloir. Elle se repose. Toi, comment tu te sens ?

-   J’ai… une guerre entière dans ma tête. Je suis là depuis combien de temps ?

-   Hier. Ils t’ont fait dormir et soigné tes plaies. Tu as eu une commotion. Repos forcé.

Tobias fait mine de se redresser. La douleur à la tête l’envahit et lui crispe le visage.

-   Bouge pas ! commande Christina et appuyant sur le bouton d’appel aux soignants. J’appelle l’infirmière. Je vais aller voir si le médecin peut venir te servir ton petit déj au lit !

-   Je veux aller voir Tris, déclare Tobias.

-   Ça attendra qu’on t’en donne l’autorisation. C’est pas toi le chef ici, Quatre ! Tiens-toi tranquille !

-   Vous voilà réveillé, Monsieur Eaton ! dit l’infirmière en entrant dans la pièce. Comment vous sentez-vous ?

-   Comme un légume, grogne Tobias.

-   C’est bon signe si vous êtes de mauvaise humeur ! répond-elle avec un sourire. Vous devez avoir mal à la tête ?

-   Je voudrais me lever, insiste-t-il sans répondre à la question, de peur qu’on l’en dissuade.

-   Le médecin vous dira si vous pouvez, c’est plus sage ! dit-elle en redressant la tête du lit, et l’invitant à s’appuyer sur le dossier de son lit, avant de sortir.

-   Tris est éveillée ? Qu’est-ce qu’elle a ? demande Tobias à Christina.

-   Elle va bien, Quatre, elle s’est réveillée ce matin avec des bleus et des plaies un peu partout, elle est fatiguée, rassure la jeune fille.

Tobias soupire. Il se sent impuissant. Il veut voir Tris, s’assurer de ses yeux qu’elle va bien. L’immobilité le rend fou. Le médecin entre, l’examine et prend sa tension.

-   Vous avez de la chance, vous savez, dit le médecin. Entre le coup sur la tête et votre baignade forcée dans l’eau froide, ça aurait pu être beaucoup plus grave !

-   Merci, docteur. Je peux me lever ? s’obstine Tobias.

-   Doucement, par étapes, et pas seul pour l’instant. Si vous avez des vertiges, il faut immédiatement vous recoucher. Je vous donne des anti-douleurs. Ne vous déplacez pas sans le bip d’alerte, au cas où vous vous sentiez mal dans le couloir. Allez-y doucement, ok ?

-   Oui, merci, dit Tobias en soupirant.

Christina donne à Tobias ses vêtements et sort pendant qu’il s’habille. Il enfile péniblement un tee-shirt et un pantalon, en grimaçant à chaque geste. Il apparaît à la porte, appuyé sur le chambranle, marchant précautionneusement, et ensemble ils se dirigent vers la chambre de Tris, en longeant le mur. Devant la porte, Christina lui fait signe qu’elle attendra dehors. Tobias entre, il voit Tris, pâle et fatiguée, les yeux clos, sur le lit. Le bruit de la porte qui se ferme la réveille, et elle lui adresse un sourire en tendant sa main vers lui.

-   Salut, dit-il avec un sourire.

Il s’assoit sur le bord du lit en prenant dans la sienne, la main qu’elle lui tend.

-   Ça va ?

-   Mieux maintenant que je te vois debout, dit Tris en serrant sa main.

Tris a un pansement sur le front et la tempe, sa main gauche est enveloppée d’un léger bandage. Tobias repousse une petite mèche de cheveux près de ses yeux en effleurant sa peau et laisse glisser son doigt le long de la cicatrice qui lui barre la joue. Tris sent un frisson la parcourir toute entière. Le jeune homme, le regard sombre, secouant doucement la tête, lui fait le reproche qui lui brûle les lèvres :

-   C’est de la folie, ce que tu as fait Tris, tu as pris un risque inconsidéré, murmure-t-il.

-   Cette petite fille, c’est à cause de moi, de mes recherches, qu’elle se trouvait là, je… ne pouvais pas la laisser, argumente Tris lentement, en détaillant son visage. Mais toi, il… il ne fallait pas me suivre, Tobias c’était du suicide !

-   Chacun de nos actes a des conséquences, ta sœur ne le comprenait pas. Dès qu’elle mettait sa vie en danger, elle entraînait à sa suite tous ceux qui l’aimaient. C’est pareil pour toi : je ne laisserai personne, ni rien, te faire du mal sans bouger.

Tobias dévisage Tris, sans lâcher sa main. Ses yeux papillonnent sur les siens. Tris retient son souffle, hypnotisée, et tente de maîtriser son trouble. Le lit d’hôpital, la chambre blanche, même la lumière par la fenêtre, tout disparaît, Tris se sent flotter, attirée en apesanteur par le magnétisme de son ami. Elle n’ose pas bouger sa main, de peur que Tobias ne la lâche.

-   Dis-moi Tris, quand nous étions dans l’eau, je t’ai dit « si tu meurs »… Tu te souviens ?

Tris acquiesce, oh oui, elle se souvient très bien. Son cœur se gonfle et elle s’attend à ce qu’il explose d’une seconde à l’autre. Elle rosit à l’idée que Tobias puisse voir sa jugulaire battre furieusement dans son cou. Sur le coup, en entendant ses mots, dans le tunnel, elle lui a répondu ce dont elle se souvenait.

-   Tu as fini ma phrase, tu as dit « je meurs aussi », souffle Tobias. Pourquoi as-tu dit ça ?

Tris ne lâche pas des yeux Tobias, elle entrouvre les lèvres mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle ne saurait pas lui expliquer, elle n’y arrivera pas, il ne la croira pas.

-   Autrefois, reprend Tobias avec douceur pour combler le silence, j’ai dit ça à Beatrice, chez les Erudits, quand elle s’était rendue à Jeanine pour faire cesser les suicides.

Tris hoche la tête. Elle le sait.

-   Mais je suis certain de ne pas t’avoir montré ce passage dans les transferts mémoriels. On y voit Beatrice allongée comme morte, je l’ai cru moi aussi à ce moment-là. Et je ne voulais pas te choquer, je n’ai jamais enregistré ni laissé accès à ce moment.

Tris baisse les yeux et ne répond pas.

-   Tris, dit Tobias en caressant sa main avec le pouce de la sienne, ce n‘est pas un reproche, j’ai juste besoin de savoir, comment connaissais-tu cette phrase ?

-   C’est… sorti tout seul, sans réfléchir, plaide Tris les yeux baissés. J’avais peur pour toi.

Tobias sourit tendrement, il entend dans la bouche de Tris les mêmes expressions qu’il a entendues autrefois dans celle de sa sœur. Pas un mensonge, non, mais pas la vérité non plus, il en est certain.

La porte s’ouvre et une infirmière entre.

-   Aah, vous êtes réveillée Mademoiselle Prior ! Parfait ! Comment vous sentez-vous ?

-   Je crois que j’ai… froid, dit la jeune fille en fixant Tobias, tremblante.

Le jeune homme sourit, mais en fait, la main de Tris dans la sienne est effectivement froide. Trop froide. Absorbé par le visage de son amie, il ne s’en était pas rendu compte. Tris frissonne et il fronce les sourcils.

-   Elle a froid, dit-il à l’infirmière en perdant son sourire. Tris, tu aurais dû me le dire !

-   J’étais bien, je ne sentais rien, je…

-   Monsieur Eaton, retournez dans votre chambre, c’est assez pour une première promenade, je vais m’occuper de votre amie.

-   Tris, je reviendrai plus tard, ok ? Si tu veux, dit Tobias.

-   Oui, reviens, murmure Tris avec un sourire.

-   D’accord, alors.

Tobias se penche et pose un baiser sur son front frais. Tris savoure sa bouche chaude en fermant les yeux et en serrant sa main que le jeune homme n’a pas lâchée. Elle voudrait qu’il ne bouge plus jamais.

-   A tout à l’heure, dit-il en se levant pour sortir.

Il lui jette un long regard pendant que l’infirmière teste sa température et quitte la chambre. Il retrouve Christina qui attendait dans le couloir.

-   Alors, raconte ! dit Christina d’un ton entendu.

-   Christina, elle a des frissons ! Elle est glacée ! coupe Tobias avec inquiétude. L’infirmière m’a renvoyé pour la soigner, je vais dans ma chambre, ma tête va exploser. Tu viendras me donner des nouvelles ?

-   Oui ok, je t’accompagne, déjà. Elle doit avoir pris froid, l’eau était gelée. Ça va, vous deux ?

-   Ça va. Un hôpital, il y a mieux pour discuter, répond Tobias évasivement.

-   Ouais, c’est sûr.

Tobias retrouve avec un certain soulagement son lit, il a mal partout et sa tête cogne, sans qu’il sache vraiment si l’inquiétude en est la raison, ou le coup qu’il a reçu. Un peu plus tard Christina lui apprend que Tris a un bon coup de froid, sa température n’est pas tout-à-fait remontée à la normale, mais le médecin n’est pas inquiet. Tris a été conduite sous une douche chaude pendant un bon moment, et gavée de boisson chaude. Dans la soirée, il retourne dans la chambre de Tris, mais elle dort, alors, à regret, il fait demi-tour.

Le lendemain matin, les nouvelles sont meilleures, la température de Tris est remontée, et il s’apprête à aller lui rendre visite. Il croise Johanna qui sort de sa chambre. Avec un sourire, elle lui dit :

-   J’allais passer te voir, comment vas-tu Tobias ?

-   Ça va, une belle bosse et des coupures. Et Tris ?

-   Elle s’ennuie, c’est que ça va ! s’amuse la présidente du conseil.

Comme Tobias s’apprête à entrer dans la chambre de Tris, Matthew arrive. Cela contrarie un peu Tobias, il aurait voulu être seul avec elle. Le généticien le salue, s’enquiert de son état de santé et annonce aller rendre visite à Tris. Johanna perçoit la contrariété de son assistant.

-   Tobias, je vais devoir te raconter l’évolution de l’opération Résurgence maintenant, je dois aller au bureau après, lui propose Johanna pour l’empêcher de ruminer.

Tobias fait demi-tour, agacé, et réintègre sa chambre, suivi de Johanna.

-   Tout se passe bien, c’est merveilleux, Tobias. Le tunnel qui déviait les affluents de la rivière sous la ville a été obstrué pour que l’eau retrouve le lit naturel, commence Johanna. Il n’y avait donc plus de nouvel apport d’eau sous la ville.

Tobias la laisse parler, mais son attention n’est pas entièrement dans la pièce…

-   Le cours a été interrompu comme prévu depuis le gouffre des Audacieux pour permettre les préparations dans les autres tunnels. C’était l’endroit le plus accessible. Les ouvriers n’ont pas cessé de pester contre la folie des Audacieux ! Ils avaient le vertige !

Tobias esquisse un sourire, ce n’est pas lui qui les blâmerait, il a dû se donner du courage avec un petit verre un grand nombre de fois pour s’habituer à se tenir au bord de ce gouffre sans ciller. Combien de fois a-t-il eu peur de mourir en tombant dans ce gouffre ? Il ne les compte plus. Par contre, il n’a pas hésité une seconde a sauter à la poursuite de Tris dans le tunnel…

-   L’accès de l’eau au canal reliant la rivière Des Plaines depuis la Chicago est rouvert, de même que l’alimentation du lac. Le débit sera partagé. Il faudra observer ce partage, afin de ne pas assécher la Marge et la zone de l’ancien aéroport.

-   Le canal sera découvert dans les mois à venir, j’imagine, l’eau sera plus accessible pour les populations, confirme Tobias.

-   Oui. Des patrouilles sillonnent la ville près des bouches et le long de la rivière et des canaux pour éloigner les curieux et assurer la sécurité. Un message est diffusé en boucle sur les écrans géants, sur les bâtiments et sur les véhicules de sécurité, ainsi que dans les journaux, pour expliquer l’opération aux citoyens et leur recommander la prudence.

-   Alors le lac va se remplir ? Elle a réussi… murmure Tobias comme pour lui-même.

-   Cela va être très long, mais oui, on peut espérer réparer aussi le lac, approuve Johanna. Il faut aussi nettoyer tous les déchets qui ont été dragués par le passage de l’eau dans les souterrains.

-   Ces souterrains vont faciliter les réparations, les communications, peut-être même avec les autres villes, dit Tobias.

-   Oui, les perspectives sont nombreuses, mais nous devrons nous assurer avant de la solidité des tunnels et les réparer si nécessaire. Tu avais déjà travaillé sur des possibilités avec Milwaukee ? demande Johanna.

Tobias se renferme un peu. Il n’avait pas aimé ce qu’il avait appris quand il s’était renseigné pour communiquer avec Milwaukee. Johanna observe son assistant et se demande ce qui le préoccupe.

-   J’ai contacté le président du conseil de Milwaukee, mais je ne suis pas allé plus loin pour l’instant. Il m’a appris que son collaborateur chargé des communications est Peter Hayes, explique Tobias l’air sombre.

Interdite, Johanna comprend pourquoi Tobias est réticent. Peter avait changé de camp plusieurs fois pendant la guerre civile, en fonction de son seul intérêt. Tobias le considère comme peu fiable, même s’il a sauvé la vie de Beatrice chez les Erudits pour payer sa dette envers elle. C’est un opportuniste, et bien que Cara dise qu’il a changé, Tobias s’en méfie.

-   Essaie de lui pardonner, Tobias, il avait assez conscience de ses propres défauts pour vouloir tout oublier et se soumettre au sérum d’oubli.

-   Je sais. Je préfère que ce soit le conseil qui décide ce que je dois faire.

-   D’accord, nous en parlerons.

Johanna sourit.

-   Chicago renaît, tout n’est pas réglé, il y a encore des violences et des gens dans la Marge qui ne veulent se plier à aucune forme d’ordre, mais nous avons parcouru un long chemin déjà, tu ne crois pas ?

-   Si, concède Tobias.

-   Je retourne au bureau, as-tu besoin de quelque chose ?

-   Si je peux garder la voiture quelques jours ? Pour sortir d’ici, et ramener Tris sans passer par le train ou le bus.

-   Bien sûr, elle est en bas, je te la laisse. Je rentre en train.

Johanna adresse un visage plein de confiance à Tobias et quitte l’hôpital. Le médecin entre, ausculte Tobias. Comme celui-ci insiste, il l’autorise à rentrer chez lui, en recommandant repos et surveillance médicale.

-   J’ai soigné de nombreux Audacieux, Monsieur Eaton, et recousu un nombre de plaies indécent, je sais qu’ils ne sont pas toujours raisonnables, dit le médecin.

-   J’ai un travail de bureau maintenant, et depuis mon domicile la plupart du temps, réplique Tobias. Et Tris ?

-   Ce soir, si sa température ne bouge pas aujourd’hui, elle pourra rentrer chez elle, et repos obligatoire sous surveillance.

-   Nous vivons ensemble, je serai là.

Il n’a pas réfléchi à sa réponse, mais il l’a prononcée comme il l’a pensée, dans sa tête, dans son cœur, il n’héberge plus Tris, elle vit avec lui. Du moins il l’espère. Dès que le médecin est parti, il prépare ses affaires et se rend dans la chambre de Tris. Matthew est toujours là, Tris rit et semble très détendue en sa compagnie. Le cœur de Tobias se serre. Voilà pourquoi il était réticent à l’arrivée de Tris, pour cette souffrance-là. Celle de voir peut-être Tris s’attacher à quelqu’un d’autre. Mais il n’y peut plus rien.

-   Salut, dit Tobias d’un ton neutre.

-   Ah tu es debout, Quatre, tu vas bien ? demande Matthew.

-   Oui, je sors ce matin, répond le jeune homme sans quitter Tris des yeux.

-   Je suis contente pour toi, dit Tris en souriant.

-   Le médecin pense que tu peux sortir ce soir. Je peux venir te chercher, si tu veux, propose Tobias rapidement avant que Matthew n’ait le temps de le proposer lui-même.

-   D’accord, approuve Tris avec un sourire ravi.

-   A ce soir, alors, conclut Tobias en jetant un regard assassin à Matthew.

Celui-ci laisse son ami sortir, puis lance en souriant à Tris, perplexe devant l’animosité de Tobias envers le généticien :

-   Il est jaloux…

Tris ne répond pas, mais au fond d’elle-même, sans trop oser y croire, elle l’espère bien.