Le sous-titre permet de préciser sous quels angles ces questions vont être posées : L’écriture, l’orchestre, la scène, la voix. Il s’agit d’un ouvrage pluridisciplinaire associant philosophes, esthéticiens, historiens, littéraires, musicologues et musiciens, fruit d’un colloque qui s’est tenu en 2015 à Rennes.
La première partie va donc s’attacher à étudier le véritable rapport de Mallarmé avec la musique et elle lève sans doute quelques idées préconçues. Mallarmé n’a jamais cessé de creuser et d’approfondir sa réflexion sur la musique. Il a d’abord pensé la musique en rapport avec le texte poétique. Mais en même temps, au-delà de ce que l’on pourrait appeler une musicalisation de la poésie, il a développé une pensée critique et souvent contradictoire à propos de la musique. Il va essayer de penser le fonctionnement de l’œuvre musicale et son insertion dans le monde et l’espace musical. Mais paradoxalement il sera pourtant difficile de le considérer comme un grand mélomane, il n’avait rien d’un spécialiste ni même d’un connaisseur averti, tous les essais qui composent le livre tendent à le montrer. Certes il allait régulièrement au concert, mais au fond il a vécu dès le début une forme de rivalité avec la musique et il la jalousait ! Se plaçant dans cette famille de poètes soucieux « de reprendre à la Musique son bien » selon une célèbre formule de Paul Valéry qui le décrit aussi écoutant la musique « avec cette angélique douleur qui naît des rivalités supérieures. ». Car en fait, comme l’écrit un des intervenants, Florent Albrecht, ce qui intéresse Mallarmé, « c’est moins la musique pour elle-même que son effet, son sens métaphysique ». C’est à l’aune de la poésie qu’il évaluait l’art musical et il pensait que la musique trouverait son accomplissement dans la poésie.
La seconde partie s’adresse sans doute plus directement au mélomane et au lecteur de ResMusica puisqu’il s’agit cette fois de se pencher sur la musique que Mallarmé a inspirée, en son temps et par-delà son temps. Non pas étude de toutes les musiques sur ses poèmes, mais plutôt étude de certains grands principes de la relève musicale de Mallarmé au XXème siècle, notamment sous les angles de la résonance et de la mobilité. Cette seconde partie comporte notamment une remarquable contribution de Pierre Charru, musicologue bien connu pour ses travaux sur Bach notamment, Pierre Charru qui se penche sur le Prélude à l’après-midi d’un Faune de Claude Debussy, à partir du poème du même nom de Mallarmé. Parmi les autres études on notera une interrogation sur la notion de résonance dans l’œuvre de Boulez ou de très intéressantes considérations sur la question du hasard (en rapport avec le fameux poème de Mallarmé Un coup de dé jamais n’abolira le hasard). Ainsi qu’une contribution de Guy Lelong qui voit dans la musique spectrale une « poursuite des opérations mallarméennes », ce que curieusement contredira dans une discrète note de bas de page le maître d’œuvre du livre, Antoine Bonnet.
J’emprunterai ces mots à ce dernier pour conclure : « Si la musique en tant que telle, n’aura jamais été le souci de Mallarmé, il aura toujours manifesté une extrême tension à son égard ».
Voici donc un ouvrage extrêmement riche autant pour le poète que pour le musicien en ce qu’il ouvre d’innombrables pistes de réflexion sur la véritable nature du rapport de Mallarmé à la musique mais aussi sur la fécondité de l’œuvre dans des domaines extra-littéraires et ici en particulier, dans celui de la musique.
Florence Trocmé
Mallarmé et la musique, La musique et Mallarmé. Sous la direction de Antoine Bonnet et Pierre-Henry Frangne. Coll. « Aesthetica », Presses Universitaires de Rennes. 246 p. 18 €. 2016.
Cette note est également parue sur le site ResMusica (Florence Trocmé est membre du comité éditorial de ce site dédié à l'actualité de la musique classique, de la danse et de l'opéra)