" J'ai porté des bidons de résine synthétique
Un produit dangereux réputé asphyxiant
Qui sert à fabriquer des sols lisses et brillants
Dans les halls des cliniques, les salles de gymnastique
J'étais intérimaire, c'est-à-dire moins que rien
Celui que le patron peut toujours congédier
Sans que jamais ne bronche aucun des ouvriers
J'essuyais le mépris de ces frères humains
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Au temps de ma jeunesse, j'étais un misérable
Me tuant à sécher le ventre des citernes
Avec de la sciure mélangée à du sable
Avant de tout repeindre d'une couleur si terne
Comme chauffeur-livreur, j'ai travaillé six mois
C'était une boucherie qui faisait abattoir
On entendait les bêtes, leurs cris et leur effroi
On sentait leurs carcasses pourrir au dépotoir
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J'ai été couchettiste dans les wagons de nuit
Nous partions de Genève, nous allions jusqu'à Rome
Dans mon compartiment je caressais l'ennui
Pourtant j'étais parfois le plus heureux des hommes
Parmi les couchettistes nous étions quelques-uns
A louer une Vespa pour aller à la mer
Vers neuf heures du matin nous commencions à jeun
A boire de la bière et des liqueurs amères
Et puis nous repartions à la tombée du soir
Titubant jusqu'au train, au bras d'une Romaine
Elle nous offrait enfin un baiser sans histoire
Nous en gardions le goût au moins pour la semaine
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De ces petits boulots, j'en ai fait des dizaines
Grouillot d'imprimerie, manœuvre de chantier
J'ai haï le travail et le monde ouvrier
Les ordres répétés, les hurlements obscènes
Et j'ai haï ma vie et tout ce temps perdu
Les journées fatigantes et les nuits provisoires
ces heures désolantes, ces gestes dérisoires
Tous ces mots étouffés et ces malentendus
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Je me revois aussi dans le Quartier latin
Crevant de solitude et recherchant quelqu'un
Un regard, une voix, dans le petit matin
Des mots de rien, de peu, même des lieux communs
Je voulais qu'on me parle de la pluie, du beau temps
Et des banalités qu'on se dit au comptoir
Devant un verre de vin pour faire durer l'instant
Ou bien les yeux mouillés sur le bord du trottoir "
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Frédéric Pajak : poème extrait du " Manifeste incertain T3 " Editions Noir Sur Blanc 2014