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L'honneur perdu de la ratatouille

Par Cotesdesneiges

Ni soupe, ni ragoût, ni jardinière de légumes du Midi, la ratatouille de Nice a perdu son âme.
Courgettes, poivrons, tomates, aubergines méritent mieux que d'être dissous dans un brouet informe.
Voici les secrets de ce plat d'été, dans le plus pur respect du droit des légumes à la libre expression.

Contrairement à ce que suggère une étymologie phonétique simpliste, la ratatouille n'est pas « un rata qu'on touille ». Au XVIII° siècle le mot désignait un ragoût grossier, voire une raclée. Devenu « rata » en argot militaire, il fut synonyme du redoutable mélange de haricots et de pommes de terre, puis de légumes et de viande qui constituait la ration du soldat. Rien à voir avec la ratatouille contemporaine.
Elle n'appartient pas plus à la famille des potées dont chaque province revendique sa version, mitonnée dans le secret des cocottes en fonte. Ni soupe ni ragoût et encore moins jardinière, la ratatouille est une création niçoise : la ratatouïa nissarda, très éloignée du brouet de tendance méditerranéenne, servi à pleines pelletées sur l'ensemble du territoire, au mépris du droit des légumes à la libre expression. Elle fait hélas partie des plats qui ont perdu leur âme en tombant dans le domaine public. N'a-t-on pas vu récemment un dessin animé qui, sous ce nom d'emprunt, nous a servi une drôle de salade ?

Il faut deux heures pour réaliser de A à Z ce plat dont les restes peuvent également être servis froids ou terminer en sorbet après passage au mixeur et à la glacière
Des légumes élevés au soleil
La ratatouille n'a franchi la Loire pour conquérir les brumeuses marches du nord que dans la seconde moitié du XX° siècle, préfigurant le réchauffement climatique, du moins à table. Avec un argument de vente imparable : elle serait facile et rapide à réaliser. « Vous coupez tous les légumes en quartiers, vous es mettez dans une casserole et vous laissez mijoter. Le temps de griller les merguez ou les sardines au barbecue et vous pouvez servir avec un petit rosé de derrière les fagots. » Telle est la « formule ratatouille », circulant en abondance sur le Net et disponible dans maintes échoppes à bouffe. Elle est indigne de la recette et des produits qui la composent.
La tomate, l'aubergine, le poivron et la courgette ont fait un long voyage avant de s'épanouir dans les jardins de Provence et du Comté de Nice. Vous l'avez deviné, la vraie ratatouille se confectionne avec des légumes du Midi, cultivés en pleine terre, élevés au soleil, propres sur eux et cueillis au sortir de l'adolescence. Certains devant garder leur peau - siège des vitamines mais refuge des pesticides - il est vivement conseillé de se fournir sur les marchés bio.
Pour réussir une ratatouille il faut appliquer une politique exactement contraire à celle de Brice Hortefeux : accueillir des étrangers avec générosité, dans le respect de leur culture et de leur identité, pour les intégrer dans un plat multiethnique obéissant aux recettes de cette république où l'huile d'olive a force de loi fondamentale. L'aubergine arrive des Indes, le poivron, la tomate et la courgette d'Amérique du Sud. Ils ont dû affronter préjugés et rumeurs malfaisantes avant d'être reconnus comme des citoyens loyaux et fréquentables. La ratatouille fut leur salut, leur nouvelle nationalité. Sans cette immigration comestible, souvent sous le manteau, elle n'existerait pas et les cuisiniers du Comté de Nice n'en auraient pas fixé la recette.
Si tu es seul(e) ou pressé(e) passe ton chemin. Ce plat nécessite du temps et du volume, d'autant qu'il peut être servi chaud un jour et froid le lendemain. Tout le monde peut réussir une excellente ratatouille à condition de traiter les ingrédients séparément. Les patrons du plat ont la tomate et l'huile d'olive. Les premières de préférence bien mûres, pelées et épépinées, sont écrasées grossièrement et versées dans un faitout où l'on a jeté une tête d'ail pelé et pilé dans l'huile d'olive frémissante. Bouquet garni, sel et poivre, la sauce tomate va se faire lentement à feu doux et sans couvercle, sans jamais bouillir et jusqu'à évaporation de l'eau rendue.
Les aubergines coupées en cubes ou en rondelles ont été mises à dégorger avec un peu de sel pendant une heure. Les poivrons équeutés, épépinés et coupés en quatre sont passés quelques minutes à l'huile d'olive dans une poêle ou une sauteuse, posés sur leur face extérieure. Retirés dès qu'ils s'amollissent, ils sont débarrassés de leur fine peau, coupés en lanières et remis au feu pour 7- 8 minutes.
Les réserver dans une passoire. Dans le même récipient émincer et faire suer le soignons jusqu'à ce qu'ils prennent une légère couleur blonde. Les égoutter également dans une passoire. Au tour des aubergines, soigneusement épongées, de passer à la même casserole en rajoutant un peu d'huile au fur et à mesure qu'elle est absorbée. Certains conseillent de les fariner. Attendries, mais pas colorées elles sont retirées et laissent la place aux courgettes débarrassées de leurs extrémités, non pelées et coupées en rondelles de 1 cm environ. Retournées sur chaque face elles sont égouttées et réservées avant de prendre des couleurs.

Croquants ou plus fondants

A ce stade de la recette la sauce-coulis de tomates est prête et vous disposez des trois légumes parvenus séparément au même stade de cuisson. Certains le font simultanément en mobilisant trois instruments différents, je préfère les passer l'un après l'autre dans la même sauteuse en changeant l'huile mais en gardant les sucs de chacun. Il existe alors deux options : la froide et la chaude. Pour la première, disposer les poivrons au fond d'un saladier, recouvrir de sauce tomate, puis les aubergines, à nouveau la tomate, les courgettes et finir par la tomate avant de mettre au réfrigérateur. Cette ratatouille encore légèrement croquante est particulièrement rafraîchissante.
Pour la version chaude tous les légumes rejoignent la sauce tomate et sont délicatement mélangés dans le faitout où ils vont mijoter une vingtaine de minutes pour devenir plus fondants et mêler leurs effluves. Parce qu'elle est originaire de Nice, on ajoute parfois quelques olives noires à ce moment. C'est au goût de chacun comme le basilic effeuillé à la dernière minute. Il est plus important d'éliminer l'huile superflue, avant de mettre en plat cette ratatouille où chaque légume a garde sa personnalité et s'est harmonieusement intégré dans une préparation multicolore. Il aura fallu deux heures pour réaliser de A à Z ce plat dont les restes peuvent également être servis froids ou terminer en sorbet après passage au mixeur et à la glacière.
A vous de jouer.
LES PROPORTIONS
Pour 4 kg de tomates, 1,5 kg d'aubergines, 800 g-1 kg de poivrons verts, kg de courgettes, 800 g d'oignons, une grosse tête d'ail nouveau et 40 cl d'huile d'olive.

In Le Monde 2 du 22 août 2008


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