Source : Elle - Mai 2016
Quelle énergie ! La star s’engage contre le cancer en jouant et produisant Ma Ma, et en réalisant un documentaire sur les enfants malades. Entretien avec une belle âme.
À peine 13 heures et la lumière est déjà blanche, quasi aveuglante. Il fait très chaud à San Agustín del Guadalix, jolie ville Renaissance, située à 40 kilomètres au nord de Madrid, où Penélope Cruz nous a donné rendez-vous. Elle y a enregistré des images de son documentaire sur des enfants atteints de leucémie qui sera sur nos écrans à la rentrée. Et c’est dans les environs qu’elle tourne La Reina de España, de Fernando Trueba. Entre deux prises, avant d’aller chercher son petit garçon à l’école, elle nous a retrouvés dans la grande salle de la Caseron de Araceli, l’un des restaurants les plus renommés de la campagne madrilène. Tandis que les jambons pata negra courtisent les gambas et que l’on hume avec délectation les parfums du riz caldoso au bouillon de poisson, Penélope Cruz nous parle de sa première expérience en tant que productrice. Ma Ma (en salle le 8 juin), le long-métrage de Julio Medem dont elle est l’actrice principale, parle d’un sujet grave : le cancer du sein. L’égérie beauté de Lancôme nous dit combien le personnage de Magda a changé sa perception de la vie.
Comment vous êtes-vous préparée au rôle de Magda, cette jeune femme atteinte d’un cancer du sein ?
J’ai d’abord pris conseil auprès d’un ami médecin, puis j’ai passé beaucoup de temps avec des femmes qui ont vécu cette épreuve. Une, notamment, qui a connu la même situation que Magda. Elle s’était battue contre la maladie une première fois et, lorsqu’il y a eu récidive, elle est tombée enceinte. Pour moi, c’était bouleversant de l’écouter parler du mal qui la rongeait et de la vie qui naissait en elle. Cette femme semblait indestructible et elle m’a communiqué une grande force.
Avez-vous hésité avant de dire oui à Julio Medem, le réalisateur du film ?
Pas une seconde. Les rôles ne m’effraient jamais au cinéma. Je suis toujours en quête de diversité, de défis aussi. Je me suis lancée à corps perdu dans Ma Ma. C’était un peu comme plonger au fond d’une piscine, on a l’impression de se perdre et au final on trouve en soi l’énergie pour remonter à la surface. Un personnage comme Magda me parlait à l’oreille, j’avais l’impression qu’elle était vivante et qu’elle me prenait la main. Aujourd’hui, je sais qu’elle fait partie de ma vie. Ce film est un hommage aux femmes qui souffrent de cette maladie ainsi qu’au personnel médical qui les entoure.
Certaines scènes sont chargées d’émotion, comme celle où Magda se rase la tête. Quelle était l’atmosphère sur le plateau ?
Ce jour-là, l’équipe était réduite et le silence profond car chacun d’entre nous connaissait quelqu’un qui était malheureusement passé par là. Comme Magda est une battante, un être solaire plein de vitalité même dans les pires situations, elle forçait l’admiration et le respect.
Avez-vous trouvé le sommeil facilement durant le tournage ?
Au début, tout allait bien. Je me sentais forte et je gérais les angoisses de mon personnage. Je me disais : « Tout cela n’est que de la fiction. J’interprète un rôle, c’est tout. » Mais l’investissement affectif était énorme et inévitable. J’affirme que j’y ai mis tout mon cœur et j’ai senti que Magda prenait possession de moi. C’était trop fort, et il fallait que je coupe. Notre « liaison » pouvait devenir dangereuse pour moi. La séparation a pris un certain temps. Le dernier jour de tournage, j’étais dans l’eau et je regardais le soleil se coucher, la lumière était diffuse, j’ai dit au revoir à Magda comme s’il s’agissait d’un rituel : « Tu peux partir maintenant. »
Vous êtes-vous sentie investie d’une mission : celle d’encourager les femmes à se faire suivre régulièrement ?
Lorsque j’ai parlé avec une femme et qu’elle m’a dit : « Voir votre film m’a culpabilisée. Je n’ai pas fait de mammographie l’année dernière. Je vais prendre rendez-vous tout de suite grâce à vous », j’ai compris la portée d’un tel film.
Le film évoque les listes d’attente en Espagne pour passer des examens. N’est-ce pas un signal d’alarme contre le manque d’infrastructures médicales ?
Ce problème n’est pas réservé à l’Espagne. Je vais souvent aux États-Unis et la situation est loin d’être enviable... Les examens de contrôle devraient être la priorité dans le monde entier.
Angelina Jolie a parlé ouvertement de la double mastectomie qu’elle a subie. Qu’en pensez-vous ?
Je l’admire beaucoup. Angelina est une femme exemplaire, elle est très courageuse. A sa place, j’ignore ce que j’aurais fait. C’est très difficile de répondre quand on a la chance de ne pas être ouvertement touchée. Ça relève de l’intime, et je respecte son choix.
Ma Ma est un film que vous avez produit. C’est une nouvelle expérience pour vous...
C’est excitant parce que, jusqu’au bout, on ne sait pas si le film va voir le jour. C’est la première fois que je suis toutes les étapes : la pré- production, le tournage et la postproduction. J’ai dû aller à Cannes convaincre d’éventuels acheteurs de l’intérêt du film. Ne pas se cantonner au métier d’actrice m’a plu car j’ai beaucoup appris.
Ma Ma
Vous venez également de produire un documentaire sur des enfants atteints de leucémie. Quelle année !
Je suis très fière de ce travail. Le film va sortir en septembre. Ma Ma n’était rien en comparaison ! J’ai agrandi mon cercle amical. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai des copains de 8 ans ! Ils font partie de ma famille et j’en suis fière. Je ne les lâche pas. Tous les bénéfices du film seront reversés à l’association Uno entre cien mil qui soutient la recherche contre la leucémie.
Être mère vous pousse-t-il à vous lancer dans de tels projets ?
Peut-être... Mais si on m’avait proposé de tels enjeux il y a dix ans, je pense que je les aurais acceptés de la même manière. Je n’ai pas peur. Jamais.
Vous enchaînez les blockbusters et les films d’auteur, vous êtes mariée à Javier Bardem et avez deux enfants... D’où tenez- vous une telle énergie ?
Le plus important pour moi, c’est d’avoir réussi à protéger ma vie privée. L’énergie... Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas, je ne me suis jamais droguée. Il y a peu, on m’a découvert une intolérance au gluten, donc je fais attention. L’éliminer de mon alimentation m’a permis de me sentir mieux. Je m’intéresse à la nutrition depuis la naissance de mes enfants. J’ai envie qu’ils grandissent dans d’excellentes conditions.
Votre mère vous a-t-elle transmis de bons gènes ?
Je pense que oui ! C’est une femme qui a travaillé toute sa vie, six jours par semaine. Pour moi, mener de front différentes activités n’est pas gênant. Au contraire. J’aime l’idée d’être dans une belle dynamique. Je pense que mon passé de ballerine n’est pas anodin. J’ai pratiqué la danse classique pendant dix- sept ans, à raison de quatre heures par jour. Aujourd’hui, plus que jamais, j’en récolte les fruits. Éduquer mes enfants m’oblige à courir dans tous les sens. Je ne remercierai jamais assez mon père et ma mère de m’avoir inscrite à une école de danse. Lorsque j’étais enfant, ils ont vu que j’étais hyperactive et que la danse pourrait canaliser dans le bon sens mes énergies. Ils ont vu juste. Mes parents étaient très intuitifs.
Avec Javier Bardem
Le fait d’être mère influence-t-il vos choix d’actrice ?
Ça m’a transformée. Comme toutes les femmes qui deviennent mères. Tout a basculé en une fraction de seconde. Pour moi, c’est la chose la plus révolutionnaire qui me soit arrivée. Avec mes enfants, c’est toute mon enfance qui revient. Je redécouvre le monde, je le regarde de manière différente. Les fleurs, les fourmis, toute la nature revêt une lumière autre. Mes enfants m’apprennent beaucoup en ce sens.
Vous sentez-vous plus proche de votre mère qu’avant ?
Avant la naissance de mes enfants, ma mère me disait : « Tu comprendras plus tard. » Cette phrase avait le don de m’exaspérer, ça me rendait folle. Aujourd’hui, elle prend tout son sens.