Libération publie ce jour une interview de Jean-Christophe Cambadélis que vous pouvez retrouver en cliquant ici ou lire dans son intégralité ci-dessous.
Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, défendra ce samedi lors du conseil national du Parti socialiste un vote de désignation du candidat à la présidentielle, François Hollande compris. Le PS organisera-t-il une primaire?J'ai décidé de soumettre au conseil national du Parti socialiste une primaire ouverte à la Belle Alliance Populaire si la primaire de toute la gauche est impossible.
Quand?Nous en discuterons ensemble ce samedi. Si la primaire de toute la gauche est possible, nous garderons les dates évoquées, soit les deux premières semaines de décembre. Si elle était impossible, nous organiserons ces primaires les deux derniers week-ends de janvier.
Quelles seront les conditions?Nous allons en discuter. Mais elles ne devraient pas aller au-delà de celles de 2011.
Les socialistes sont donc libres, sous condition de parrainage, de s'y présenter.
Si c'est la primaire de toute la gauche, on posera la question de qui représente le PS. Si c'est la primaire dans l'espace de la Belle Alliance Populaire (PS, Radicaux de gauche, certains écologistes, ndlr), les candidatures seront évidemment libres. Une commission de suivi de la primaire est en place. Elle fera des propositions pour septembre.
Pourquoi avoir évoqué cette semaine un "congrès extraordinaire" pour modifier les statuts du PS et ne pas faire de primaire?C'était une des options sur la table. Mais la presse ne voit que celle qui permet de faire le buzz.
Vous dites "si la primaire de toute la gauche n'est pas possible". Pouvez-vous préciser?Dès le 6 février, le PS a pris position pour la primaire de toute la gauche. Il l'a réaffirmé unanimement dans une adresse le 9 avril. Nous avons attendu les congrès du PCF et des Verts. Ces derniers ont fermé la porte à toute alliance et toute primaire à gauche. Les communistes ont repoussé leur décision au mois de novembre mais indiqué qu'il y avait un "mur infranchissable" entre la gauche qu'ils défendent et la gauche de gouvernement. Je le regrette profondément. Ils mésestiment la situation politique et ce que la droite a dans ses cartons. Je ne fais pas l'impasse sur la présidentielle de 2017. C'est une des élections les plus importantes de ces vingt dernières années. Il s'y jouera le destin de la France, tant du point de vue social que des principes républicains. Faire l'impasse pour spéculer sur une recomposition politique suite à une défaite programmée et parfois, pour certains, organisée, est une faute politique devant l'histoire et la gauche. Cessons la fragmentation et engageons un processus de recomposition. La primaire de toute la gauche pouvait le permettre. On nous a claqué la porte au nez, sans autre considération qu'une volonté punitive du Parti socialiste.
En même temps, on doute que vous y ayez cru à cette "primaire de toute la gauche"...Je prends les gens aux mots. Quand le PCF et les Verts ont condamné la sécession de Jean-Luc Mélenchon, je ne pouvais pas croire qu'il s'agissait d'un règlement de compte entre eux. Je ne peux pas croire non plus que les écologistes et les communistes aient fait une croix sur leur représentation nationale au Parlement au prétexte qu'ils sont en désaccord avec la politique menée. Nos amis font une erreur stratégique. Il n'est jamais bon de tourner le dos à la gauche et à son unité lorsque les menaces s'amoncellent à droite.
Vous leur proposez un accord législatif en échange d'une unité à la présidentielle?A cette étape, je ne leur propose rien. La seule chose que je propose, c'est une primaire de toute la gauche où ils s'engagent à respecter le verdict du vote. On ne peut pas faire plus simple! Je constate seulement qu'ils n'ont pas envie. Je ne veux pas attendre que leurs tergiversations conduisent à ce que le PS ne puisse plus le faire.
François Hollande est au courant?Je l'ai tenu au courant.
Qu'en dit-il?Que le Parti socialiste se détermine comme il le souhaite.
Donc, cela veut dire que si François Hollande est candidat, il passera par la case primaire ?Je le souhaite.
Beaucoup de ses proches, comme du Premier ministre, sont pourtant contre l'idée de primaire. Pour eux, le Président est légitime à se représenter.Je respecte cette position. Je pense, comme eux, que le président de la République sortant n'est pas n'importe quel compétiteur. Il a de grandes chances d'être le candidat de la gauche. Et - c'est une position personnelle - c'est peut-être lui qui est le seul capable, à cette étape à gauche, de gagner la présidentielle. Ce qui m'afflige, c'est que la gauche soit aujourd'hui dans un combat pour départager la gauche de gouvernement avec la gauche de contestation. Ce n'est pas à la hauteur des défis qui nous sont posés.
En 2011, vous aviez eu besoin d'une bonne année pour organiser la primaire. Est-ce encore possible, d'organiser une telle désignation ouverte en six mois?Nous avons conscience que le temps est compté. Que la situation est complexe. Mais il faudra se donner les moyens pour que cette primaire soit loyale et représentative.
Fin janvier, tout le monde aura un candidat, sauf vous. Ce n'est pas trop tard?C'est une question que la commission pourra étudier. Mais si nous le faisons en décembre, on nous reprochera de ne pas laisser de temps au débat.
La primaire est une façon de rassembler une gauche aujourd'hui très divisée?Oui. C'est un moyen de rassembler. C'est aussi un moyen de mesurer les nuances, interrogations, divergences... Et de convaincre! Puisque nous sommes confrontés au fait que "ça va mieux" économiquement et sur le front du chômage mais que les Français ne le perçoivent pas, ce sera aussi l'occasion de le faire savoir et de le faire comprendre.
Le lien semble pourtant coupé entre la gauche de gouvernement et son électorat non?Je ne crois pas. Il y a un profond sentiment d'unité. L'électeur de gauche distingue son appréciation de telle mesure gouvernementale de la nécessité de se rassembler pour faire barrage à l'extrême droite et battre la droite. Il y a une distorsion entre les appareils et l'électorat. Les uns sont radicalisés. Les autres sont attentifs. Nous sommes dans une phase de fragmentation des représentations politiques. La présidentielle sera un vecteur de recomposition.
Et en même temps, Jean-Luc Mélenchon fait aujourd'hui jeu égal avec François Hollande.Je ne confonds pas un moment de désaccord entre les gauches sur la démarche à suivre sur la loi Travail et le rapport de forces réel dans le pays. Ces sondages auraient dû s'affirmer dans les urnes. Or ce n'est pas le cas.
Pour vous, Jean-Luc Mélenchon n'est pas une menace ?A cette étape je ne mesure pas son axe de campagne. D'un côté, il y a un front populaire de combat que nous avions déjà vu lors de la précédente présidentielle. Mais il a aussi des accents à la Beppe Grillo que je ne lui connaissais pas : sortie des traités européens, salut aux assignés à résidence, l'idée que la droite serait moins pire que la gauche... A-t-il choisi un axe de débordement ou une nouvelle offre politique ?
Comment le PS peut-il éviter la fracture sur la loi travail ?L'expression de nos députés est libre mais la remise en cause de la solidarité en déposant une motion de censure n'est pas acceptable au regard de nos statuts. C'est une ligne rouge. Si certains d'entre nous vont jusque là, il y aura des sanctions.
Comment observez-vous les violences dans les manifestations?Il y a beaucoup de violence dans la société française et européenne. Aujourd'hui on peut à nouveau tuer pour des idées en Europe ou bien au nom d'une foi dévoyée. On peut brandir le masque de la haine contre les réfugiés. La démocratie est un bien précieux. Il faut conserver cette possibilité de dialogue, d'échanger et d'être en désaccord. J'ai demandé à la CGT de faire une pause car les manifestations sont instrumentalisées par des personnes qui veulent la violence pour la violence. Il ne s'agit pas pour ces derniers de stimuler le mouvement social mais d'imposer la stratégie du chaos. Qui en sortirait vainqueur ? L'extrême droite. Le Président est donc totalement dans son rôle lorsqu'il rappelle la loi.
En même temps lorsque le gouvernement ne bouge pas face à une réforme impopulaire dans l'opinion et qu'il brandit le 49-3 car il n'a pas de majorité à l'assemblée nationale...(Il coupe) J'avais, lors de la première version de la loi travail, dit que je trouvais le texte déséquilibré et qu'il n'était pas votable en l'état. Ce n'était pas anodin venant d'un premier secrétaire d'un parti au pouvoir. Le gouvernement a bougé. Il a reculé. Il a suspendu le texte, réuni tous les syndicats et bâti avec intelligence un compromis. Dans ce texte, les éléments les plus critiques ont été retirés et ceux souhaités par le PS - garantie jeune, première marche vers une sécurité sociale professionnelle - ont été augmentés. Un compromis a été trouvé. Puis des syndicats ont manifesté leur désaccord total et une minorité de socialistes s'est alliée avec des députés communistes et verts pour créer une minorité de blocage qui a conduit le gouvernement au 49-3 pour faire respecter ce compromis.
Vous pensez qu'il est possible d'éviter un nouveau 49.3 au retour du texte à l'Assemblée début juillet?Vu l'hostilité, je ne vois pas les parlementaires minoritaires opposés au texte revenir sur leur position. Certes, ils ne sont plus dans le retrait mais dans l'amélioration du texte. Mais leurs conditions sont telles que cela dénaturerait le compromis trouvé par le gouvernement. Le chemin n'est pas fermé, mais il est très étroit.
Propos recueillis par Rachid Laïreche et Lilian Alemagna