Article écrit en commun Nathalie MP et h16.
Purée de chatons condamnés à l’hépatite C, les tarifs des médicaments sont vraiment « indécents » ! Ils le sont tellement que les traitements efficaces, les plus onéreux évidemment, vont devenir inaccessibles pour le grand public !
Mais si, bien sûr, c’est vrai, forcément. C’est l’ONG Médecins du Monde (MDM) qui le dit – presque – dans ces termes, dans une grande campagne d’affichage urbain « Le Prix de la Vie » qu’elle voulait lancer à partir du lundi 13 juin 2016. Malheureusement, la méchante Autorité de régulation des professionnels de la publicité (ARPP) a émis un avis consultatif défavorable sur cette campagne qui manque de sources chiffrées, et qui fait prendre le risque à l’ONG que les labos ne se retournent contre elle pour atteinte grave à leur image, d’autant qu’en France, le prix des médicaments est particulièrement régulé.
Méchante, méchante ARPP (qui roule, à l’évidence, pour ces affreux labos) : les afficheurs se sont rangés à son avis.
MDM, acculée à ne pas pouvoir transmettre son important message sur les abribus, en fut réduite à une véritable « guérilla marketing » sur internet et dans les grands quotidiens nationaux. Non sans succès : au bout de 24 heures, la pétition associée qui enjoint la ministre de la santé Marisol Touraine de « faire baisser drastiquement le prix des médicaments innovants » avait recueilli plus de 28 000 signatures et en compte aujourd’hui près de 197 000.
Le refus des afficheurs joue finalement pour elle, car il permet à l’ONG de crier à la censure et accrédite l’idée que les labos font la loi, nous mentent, nous volent et nous poussent à une mort injuste faute de soins accessibles (et puis même qu’on soupçonnerait qu’ils nous filent le cancer exprès que ce ne serait même pas surprenant).
Une belle campagne… Mais pleine d’erreurs
Question sidération de l’opinion et des chatons malades, c’est réussi : la campagne est déclinée en douze slogans « choc » qui mélangent maladies graves avec profits scandaleux et bonnes affaires des labos sur le dos des malades.
Malheureusement, question sidération du lecteur attentif, c’est tout aussi réussi : la campagne se vautre lamentablement en affichant certains chiffres qu’on ne peut même pas qualifier de faux tant ils n’ont strictement aucun sens.
20 000% de marge brut, bravo, belle performance pour du labo-bashing sans chi-chi ! Mais c’est parfaitement grotesque : même en imaginant des coûts de production négligeables (!), le taux de marge sur chiffre d’affaires ne pourra jamais excéder ce chiffre d’affaires, soit 100 %, ce qui est déjà absurde. Pour arriver au 20 000 % frappeur, il faudrait non seulement que l’entreprise n’ait aucun coût de production, mais qu’en plus d’un chiffre d’affaires de 100 (par exemple), elle reçoive miraculeusement une dotation de 19 900. On voit que tout ceci n’est absolument pas sérieux. Le qualificatif « populiste » décerné par certains journaux à cette campagne est encore trop gentil.
D’autre part, malgré un système de santé toujours plus étatisé, malgré une assurance maladie qui fixe honoraires des médecins, niveau des prix et liste des médicaments remboursables, malgré une dégradation constante du niveau des soins, le Dr Françoise Sivignon, Présidente de MDM, estime assez curieusement tout à l’inverse que :
« Les autorités laissent les laboratoires dicter leurs prix et abandonnent leur mission, celle de protéger la santé des populations. »
Sans surprise, le Leem (syndicat professionnel des entreprises du secteur de l’industrie pharmaceutique en France) a rapidement riposté en dénonçant « la campagne de propagande mensongère de Médecins du Monde » dont il juge les propos « caricaturaux et outranciers » :
« Le prix (des médicaments innovants) est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) à l’issue de négociations avec les industriels. En aucun cas, les industriels ne fixent donc leur prix de façon unilatérale. »
En fait, l’enfumage de l’ONG va plus loin. Quand elle explique que le Glivec (anti-leucémique à 40 000 € par an et par patient) a un coût de production de 200 €, elle considère implicitement Novartis comme un simple producteur de génériques, en oubliant tous ses coûts de recherche et développement. Habile, mais pas très honnête.
Mis sur le marché en France en 2014 au tarif de 19 000 € par boîte de 28 comprimés, son prix a été ramené dès novembre 2014 à 13 667 € dans le cadre des négociations du CEPS qui a de plus demandé au laboratoire de rembourser l’écart entre l’ancien et le nouveau prix pour les ventes antérieures à l’accord. Le prix du traitement de 12 semaines est ainsi passé de 57 000 € à 41 000 €. Il a également été décidé de le rembourser à 100 %. Actuellement, le Sovaldi bénéficie en France du prix le plus bas en Europe.
Mais pour MDM, scrogneugneu, c’est néanmoins très insuffisant car la cure de Sovaldi à 41 000 € ne coûterait que 100 € à produire.
Seulement voilà : le coût d’un médicament innovant, pas encore dans le domaine public, n’est pas seulement un coût de production sur des chaînes automatisées, mais relève d’un calcul extrêmement complexe, incluant recherche, développement et mise au point. Il inclut aussi le risque de ne jamais obtenir in fine les autorisations de mise sur le marché.
Ce risque est tel que les laboratoires sont amenés à « vendre chers leurs succès » afin de pouvoir faire le dos rond pendant les périodes de faible innovation comme ce fut le cas au milieu des années 2000. Comme le rappelle également le Leem dans son communiqué,
« pour l’industriel, ce prix doit prendre en compte non seulement les coûts de recherche des nouveaux médicaments, mais également leur durée de mise au point (11,5 ans en moyenne) ainsi que les risques qui s’attachent à leur développement (seuls 7 % des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accèderont au marché). »
Oh, et puis au fait, dans tout ça, MDM semble oublier commodément que les laboratoires pharmaceutiques sont soumis à des myriades de contraintes réglementaires de plus en plus nombreuses et sévères, tant sur les essais cliniques que pour la commercialisation des produits. Là encore, ceci accroît les coûts de recherche et développement qui peuvent atteindre un milliard d’euros pour une molécule.
En réalité, le CEPS passe son temps à négocier avec les industriels pour obtenir les meilleurs prix. Seuls les médicaments très innovants sont habilités à être vendus au-dessus du prix des médicaments déjà mis sur le marché. Et ces derniers voient régulièrement leurs prix baisser, le brevet tombant dans le domaine public ou le volume de ventes augmentant.
En 2014, ces « ristournes » ont représenté 800 millions d’euros… On attend toujours l’image choc de MDM en remerciement de cette baisse.
D’autre part, les génériques représentent une part de plus en plus importante dans les ventes de médicaments, aussi bien en volume (de 19 % en 2008 à 32 % en 2014) qu’en valeur (de 11 % à 18 % sur la même période). Leurs coûts et par conséquent leurs prix sont plus faibles ce qui tend à faire baisser régulièrement le coût global.
Décidément, demander au gouvernement de faire baisser les prix (le point central de la campagne) ne semble guère sérieux. La campagne de MDM est bel et bien simpliste, idéologique voire mensongère sur les caractéristiques factuelles de l’industrie du médicament.
Une jolie campagne… Mais loin du compte.
Plus gênant encore, elle témoigne également de la méconnaissance complète de l’ONG de l’actuelle mutation qui s’opère dans ce secteur.
Aujourd’hui, les grandes pathologies touchant des millions de personnes ont déjà trouvé leur molécule de traitement. Les coûts de développement et de test étaient élevés mais s’amortissaient sur un très grand nombre de patients, autorisant les labos à les vendre à prix modéré tout en restant très rentables, et en gardant la faculté d’investir lourdement dans la molécule suivante.
Aujourd’hui, les labos sont face à des pathologies beaucoup moins répandues (cas de l’hépatite C), à des maladies rares, parfois orphelines. Or, du fait de réglementations toujours plus strictes, les coûts de recherche et développement sont toujours plus élevés tout en ne concernant plus que des populations limitées, ce qui renchérit automatiquement les molécules. Pour les évaluer, la seule considération du prix est très insuffisante. Il faut plutôt raisonner en terme de performance.
Comme le souligne Alexandre Delaigue, professeur d’économie qui tient le blog Classe Eco, à propos du Sovaldi :
« La seule alternative, pour les malades dont la situation se dégrade, est la greffe du foie. Une greffe de foie coûte 575 000 dollars (510 k€)aux USA. »
« Le Sovaldi est l’exemple d’un système pharmaceutique qui fonctionne : un médicament réellement utile, qui rapporte beaucoup d’argent à l’entreprise qui le développe. »
Et surtout, des marges d’exploitation* confortables, de l’ordre de 15 à 20 %, réalisées par les big pharmas (Novartis, Pfizer, Sanofi, Merck, Roche …) sont une excellente nouvelle, pour les actionnaires de ces entreprises évidemment, mais aussi pour nous, car elles garantissent qu’en dépit des risques très élevés de cette industrie, elles attireront de nouveaux entrants qui proposeront à leur tour des médicaments performants, comme le prouve la multitude de petites « biotechs », plus ciblées et plus alertes que les grands groupes, qui se lancent, avec bonheur ou pertes et fracas, dans le développement spécifique d’une famille réduite de molécules destinées à des populations limitées.
Conclusion
En réalité, la campagne agressive de l’association MDM a pour but ultime d’éliminer le marché de l’équation santé. Sa présidente ne s’en cache même pas quand elle demande dans sa pétition adressée à la ministre de la santé Marisol Touraine :
« Quand il s’agit de Santé, est-ce au marché de faire la loi, ou est-ce à l’État ? »
Autrement dit, en plus d’une connaissance très superficielle du secteur qui pousse à sortir des âneries par pur esprit de propagande alarmiste, l’objectif réel est ouvertement de pousser vers une solution collectiviste, dépourvue des mécanismes de marchés, qui a partout démontré son aptitude à générer des pénuries.
La fixation arbitraire des prix des médicaments par l’État aboutirait inévitablement à la disparition de la France sur ce marché, avec un départ des laboratoires et un affaiblissement de la recherche et du développement qui déboucherait à terme sur la baisse de la qualité des soins et donc sur la mise en péril de notre santé.
Quand il s’agit de Santé, peut-on vraiment faire confiance à l’État ?
* Marge d’exploitation : Résultat d’exploitation ou EBIT (bénéfice avant intérêts et impôt) rapporté au chiffres d’affaires (CA).
En milliards d’euros et en 2015 :
1. Novartis ( Suisse) : CA = 43,8 EBIT = 8 Marge = 18 %
2. Pfizer (USA) : CA = 43,3 EBIT = 8 Marge = 18 %
3. Merck (USA) : CA = 34,9 EBIT = 4,8 Marge = 14 %
4. Sanofi (France) : CA = 34,5 EBIT = 5,6 Marge = 16 %
Jolies marges, mais ne pas oublier les capitaux engagés pour les obtenir : pour Sanofi, ils se montent à 66 milliards d’euros pour un CA de 34 milliards, et sont financés essentiellement (environ 80 %) par des fonds propres et fort peu par de la dette, indice certain du haut niveau de risque du business et de l’intangibilité de ses actifs.