Article écrit pour Le Matricule des anges
Peu d’auteurs auront consacré leur vie à la littérature comme le fait César Aira depuis près de cinquante ans. En toute discrétion, loin de la vaine agitation des cénacles littéraires qu’il a toujours fuis, lui qui considère qu’un écrivain ne devrait avoir d’autre mission qu’écrire. Inlassablement, si possible. Guidé par sa seule capacité d’affabulation, faisant de l’invention un maître mot. C’est à Flores, un quartier anonyme et populaire de Buenos Aires, qu’il élabore lentement mais sûrement une œuvre en constante expansion, comme si d’un livre en naissait toujours un deuxième, puis un troisième, jusqu’à l’infini. Il est venu s’y installer en 1967 et les vagues études de droit qu’il avait alors entamées ne firent pas long feu. La passion littéraire - prolongation directe chez lui des lectures de l’enfance qu’il a renouvelées au contact des avant gardes - fut la plus forte.
Flores, c’est le genre d’endroits où il ne se passe jamais rien, la banalité même, qui aura pourtant été le théâtre de plus d’une de ses fictions. Un lieu qu’il a su rendre mythique, ouvert à tous les possibles, décrivant avec précision ses rues et ses habitants pour mieux faire ensuite exploser ce qui dans des mains moins habiles n’aurait donné que de gentils romans de mœurs. Là où d’autre s’arrêtent considérant le travail achevé, Aira ne fait que commencer. Le réalisme n’est qu’un point de départ sur lequel asseoir une fantaisie des plus débridée. Ses personnages sont des gens normaux qui vivront - comme dirait Pierre Bellemare - « des aventures extraordinaires ». Aventures qui sont aussi voire surtout celles de la littérature en tant que telle, entendue comme un terrain de jeu infini. Une littérature à même, si besoin est, de faire sa propre critique au détour d’une page. Aira n’étant pas seulement un conteur né, mais également un théoricien aussi doué qu’iconoclaste de la chose littéraire, qu’il retourne comme un gant.
Du quotidien sans transcendance peuvent naitre toutes les merveilles. Une affirmation qui prend une tournure particulière chez celui qui s’auto-définit comme l’auteur de « contes de fées dadaïstes ». Dans La guerre des gymnases, par exemple, le gymnase du coin de la rue devient la scène d’une guerre de fable orientale - Chin Fu contre Hokkama. Un jeune acteur venu s’y inscrire dans le but de se sculpter un corps à même de provoquer « la peur chez les hommes et le désir chez les femmes » finira embarqué à toute vapeur dans une aventure pleine de rebondissements et de réflexions subtiles sur la création, l’amour et la vie. Une sorte de roman d’apprentissage qui s’achève sur les épaules d’un géant qui traverse la ville à grand pas, tandis qu’au loin resplendit l’aura mystérieuse d’un animal légendaire, le « lièvre légibrérien ».
Lorsqu’il délaisse momentanément son quartier fétiche, il raconte des histoires de princesses : l’une vit dans l’improbable royaume turc de Biscaye (J’étais une petite fille de sept ans), l’autre sur une petite île menacée par le Général Hiver et son lieutenant l’Arbre de Noël (La princesse Printemps). Ou bien il s’invente des doubles, sous les masques successifs d’un écrivain vulgaire qui plastronne sur son yacht, d’un savant fou qui cherche à dominer le monde, d’un docteur aux guérisons miracles, d’une petite fille qui est en fait un garçon, etc. Une multitude de César Aira, à l’image de son art kaléidoscopique. L’autobiographie étant d’abord une forme de fiction. Il suffira de lire Les larmes ou Le congrès de littérature pour s’en convaincre. Autant d’exemples d’une technique narrative que l’argentin a définie comme la « fuite en avant ».
Cette fuite – doublée d’un autre concept, celui de « continuum » - c’est celle d’un récit qui avance sans cesse. Sans jamais se retourner, se construisant alors à coup de digressions, de bifurcations, de réajustements voire de récapitulations quand les virages paraissent trop brusques. La littérature chez Aira semble s’inventer en temps réel, sous les yeux d’un lecteur invité à jouer le jeu. Mais c’est aussi comme ça qu’elle s’écrit. Lentement, au rythme d’une ou deux pages par jour dans les bars de son quartier, sans revenir en arrière, sans corriger. Tout accident, dès lors, se doit être intégré à la fiction, qui devient très flexible. Si l’auteur se laisse ainsi guider par sa fantaisie, par ses lectures du moment, par le monde qui l’entoure (si quelqu’un passe dans la rue avec un grand chapeau, il court le risque d’apparaître aussitôt dans ce qu’Aira est en train d’écrire), il n’en possède pas moins une prodigieuse mémoire qui lui permet de relier des fils qui pourraient trainer éparts. Les pistes ouvertes ont toujours l’air d’aboutir quelque part, quand bien même ce n’est qu’illusoire. Un peu comme chez le cinéaste Raoul Ruiz, autre grand artificier des récits alambiqués – qu’on pense à un film tel que Trois vies et une seule mort - il est passé maître dans la construction de ce qu’il nomme lui-même de « belles asymétries ». L’art du roman tient chez lui de la boule à facette, et les reflets multiples qu’elle projette sont autant de récits potentiels, qui s’empilent parfois les uns sur les autres (ou les un dans les autres). Il a le don des constructions d’équilibristes, aussi fragiles que gracieuses. Un jeu de transparences légèrement floues, derrière lesquelles dansent les poupées gigognes. Tous les comptes n’y sont pas bons, mais il n’écrit pas pour les comptables.
Dans Le prospectus, un simple flyer visant à faire la promotion d’un cours de théâtre prend des proportions inédites, le texte publicitaire se transformant en roman (tout en continuant d’être le texte du flyer). Un coude abrupt est franchi lorsque le récit passe sans transition des tranquilles rues de Flores à un récit d’aventure à la Salgari. Une Inde en technicolor ouvre son coffre aux trésors, reluisant d’un exotisme de chromo, pleine de thugs tueurs et de diamants mystérieux, où trois pieds nickelés avancent à dos d’éléphants. Ailleurs, dans Varamo, nous est conté l’avènement du grand poème lyrique latino-américain, « Le chant de l’enfant vierge », sous la plume d’un obscur gratte papier panaméen que rien ne prédisposait à un tel coup de génie. S’y mêlent des éditeurs pirates, des trafiquants de clubs de golf, l’art d’empailler les poissons. Mais aussi de la fausse monnaie, celle de la paie de notre petit fonctionnaire, ce qui déclenche chez lui d’insoupçonnées inquiétudes existentielles. Evitant le piège de ce qui pourrait ne ressembler qu’à un amoncèlement d’éléments surréalistes hétéroclites, ce que l’auteur déteste et se garde bien de faire, Aira y revisite le mythe grandiloquent de l’artiste, faisant de l’art le résultat d’un heureux hasard plus que d’une volonté d’airain. Il a aussi le goût du paradoxe : dans Le magicien, il imagine un illusionniste qui s’avère posséder de véritables pouvoirs magiques. Dans Les fantômes, il conte une histoire de spectres qui, en plein jour, hantent un bâtiment neuf, loin des vieilles bâtisses grinçantes des romans gothiques.
À l’instar de son quartier de Flores, la petite ville de Coronel Pringles où il est né un beau jour de février 1949 est une autre scène propice à son théâtre inépuisable. Une poignée de rues tracées bien droites, un damier perdu quelque part dans l’interminable platitude de la pampa, à 1000 kilomètres au sud de la capitale. Une ville qu’il semble n’avoir cessé de fonder et refonder, comme si c’était la fiction elle-même qu’il s’agissait de faire toujours renaître de ses cendres. Un lieu où évoquer ses milles et une enfances possibles, parfois contradictoires. Un lieu encore, dans Ema la captive, son premier roman, où remonter jusqu’au dix neuvième siècle, celui des indiens mapuches et des gauchos, quand l’Argentine était encore en pleine conquête du désert. À ceci près que les indiens, plutôt que des guerriers farouches, sont des dandys languides et maniérés qui regardent passer le temps au milieu d’une pampa onirique où s’ébat un improbable bestiaire.
Ainsi, depuis l’adolescence, César Aira écrit un livre après l’autre, sans interruptions. Des courts romans qu’en espagnol il a choisi de nommer « novelitas », comme une manière à travers l’emploi du diminutif de signifier le rapport ambigu, fait d’amour et de distance ironique, qu’il entretient avec la grande tradition romanesque. Une tradition que cet admirateur de Balzac connaît par ailleurs sur le bout des doigts. Depuis 1981, il en aura publié plus de cent. Un chiffre qui correspond souvent au nombre de leurs pages, à de rares exceptions près, tel Canto Castrato, son seul long roman, qui fait éclater les conventions du best-seller depuis l’intérieur. Une labyrinthique excursion dans l’Italie du XVIIIème siècle, où les castras sont des géants mystérieux et le monde une série de trompe-l’œils en clair obscur. Les espions guettent et les jeunes dames de la cour gloussent comme de charmantes pimbêches engoncées dans leurs belles robes.
En France, c’est Maurice Nadeau, inlassable défricheur, qui le fera connaître, puis Gallimard dans sa collection La nouvelle croix du sud, prolongement de celle où Roger Caillois avait fait découvrir Borges. Ce sera ensuite le tour du marseillais André Dimanche et enfin Bourgois. Autant d’éditeurs prestigieux pour un auteur qui, sous de faux airs de farceur, ne l’est pas moins. Chez lui en Argentine, son rythme de publication paraitra stakhanoviste : trois, quatre, voire cinq livres par an, passant sans encombre d’une multinationale de l’édition à un micro éditeur presque artisanal. Les livres d’Aira, tels des pains infiniment multipliés mais jamais semblables, sont un peu devenu des trésors que ses lecteurs aiment collectionner jalousement, hypnotisés qu’ils sont par les charmes de ce magicien dont le chapeau déborderait de merveilles cubistes.
Comme si cela ne suffisait pas, en bon héritier de Borges, il est également un immense lecteur multilingue, doublé d’un traducteur pléthorique. Les quelques essais qu’il a publiés démontrent amplement sa finesse d’analyse. Il s’y intéresse aux œuvres tant du maître des limericks anglais, Edward Lear, dont il dissèque chaque vers, que du dessinateur, dramaturge et romancier Copi (une influence fondamentale, dont il s’est approprié la vélocité narrative). Ailleurs – le seul disponible pour l’instant en français – il fait une lecture aussi brillante qu’à contre courant de la poésie d’Alejandra Pizarnik, qu’il cherche à dépouiller d’une réputation tenace d’écrivain maudit. Sans parler des dragées critiques disséminés dans des revues, sur le web, dans des préfaces, qu’avec sa pudeur caractéristique il refuse de réunir en volume. Il y disserte aussi bien sur Roberto Arlt que sur Denton Welch ou le libertin Jean-François de Bastide (qu’il a également traduit). Et cerise sur le gâteau, entreprise pharaonique menée au début des années 80 avec la fougue de la jeunesse, un énorme dictionnaire des écrivains latino américains, somme aussi documentée que personnelle, où il déclare sa flamme à d’obscurs uruguayens ou mexicains au détriments de vaches sacrées telle que Neruda ou Garcia Marquez.
Son regretté traducteur français, Michel Laffon, grand connaisseur de la question, disait que les argentins sont « les meilleurs lecteurs du monde ». Si l’affirmation semblera le produit exagéré de l’enthousiasme d’un argentinophile incurable, elle n’en souligne pas moins une certaine réalité des lettres du pays austral. Un monde d’une grande vivacité où tout écrivain qui se respecte sera forcément polyglotte et connaitra par cœur les traditions françaises, anglaises, etc. Mais également les excentriques de tout bord, car l’excentricité fait partie intégrante de la tradition littéraire argentine. Une tradition qui n’en est pas une, qui peut dès lors les faire toutes siennes, comme ne manquait pas de le souligner Borges dans un essai de son recueil Discussion. Et César Aira, un écrivain devenu central en son pays, est une des expressions les plus achevées de cette excentricité de haute volée. Un héritier encore de celui que Borges considérait comme son propre maître, Macedonio Fernandez. Ce dernier était l’ennemi acharné de la littérature considérée comme illusion de réel, opposé à toute forme de psychologie et d’identification, fervent défenseur de la dénonciation de l’artifice, autant de traits qui définissent parfaitement l’œuvre d’Aira. Les livres à tiroirs de Macedonio - à commencer par son Musée du roman de l’éternelle, où à force de préfaces et d’éclaircissements opaques le roman véritable parait ne jamais vouloir commencer - semblent non seulement préfigurer, mais encore réclamer l’apparition d’un écrivain tel qu’Aira. À le lire, bien des choses ont tout à coup l’air fades, inoffensives. Ce que la littérature d’Aira n’est pas, malgré ses airs amènes, de textes faciles à lire. Chez lui la complexité n’est pas dans la langue – transparente - mais dans les milles feuilles qu’il déploie.
Si l’on peut dire qu’il jouit aujourd’hui d’une reconnaissance internationale, traduit dans plus d’une dizaine de langues, ayant même réussi à conquérir les farouches Etats-Unis, Rome ne se sera pas construire en un jour, ni même en deux. D’autant que celle qu’il a cherché à élever serait sans doute impraticable à pied, truffées de portes qui s’ouvrent sur des murs et d’escaliers qui s’interrompent sur le vide. Pendant longtemps, cette œuvre élastique et libre, qui n’en fait nonchalamment qu’à sa tête, se sera attirée des détracteurs de tout poils, de ceux qui ont la vue obstruée par le piédestal sur lequel ils ont malencontreusement placé la littérature, cette chose si sérieuse, qu’on ne doit surtout pas prendre à la légère. Or, la légèreté est justement une des marques de fabrique du style Aira ; légèreté dans l’écriture, aérienne, jamais pesante ; légèreté dans la capacité qui est la sienne d’inventer à partir de n’importe quel matériau, n’importe quelle situation, qu’il malaxe et transforme à l’envie, à toute vitesse parfois, lui faisant rendre tout son jus dans un système de dérivations par capillarités. L’auteur, jamais avare de provocations, parle même de « frivolité ». Frivole, il ne l’est pourtant pas, ou seulement si on considère frivole le malin plaisir qu’il prend à écrire sur tous les sujets, à considérer le réel comme un réservoir de fictions possibles, un encyclopédisme foutraque. La seule politique qui l’intéresse c’est celle de la forme, entendue comme invention permanente plutôt que comme jonglerie démonstrative.
César Aira est un grand mécanicien, disciple revendiqué de Marcel Duchamp et Raymond Roussel. Du premier, il retient le désir de construire des récits comme de parfaits objets autonomes, des « machines célibataires » ; de l’autre, le goût de la création comme un processus délicat et l’orgueil d’une idiosyncrasie assumée. Ce qui ne l’empêche pas d’aller piocher dans les romans feuilletons, les telenovelas, les comics de super héros (il en a créé un, Barbaverde, qui a vécu quatre aventures, hélas non traduites). Un tel contraste est chez lui des plus naturels. L’art y est un jeu d’artifices, à mi chemin du « il était une fois » des premiers récits - la plus belle des promesses - et de l’expérimentation conceptuelle qui expose au grand jour ses rouages. Le « procédé », dans le sens roussélien du terme, est un de ses mots fétiches. La théorie et la péripétie se fondent l’une dans l’autre, comme si un impossible troisième terme entre action et réflexion pouvait exister. Ecrire un livre, c’est prendre des éléments disparates, antagoniques, les combiner et construire à partir de là une « vraisemblance », autre mot fétiche, avec un certain goût pour les logiques de l’absurde.
De même que Roussel construisait ses textes à contraintes en partant par exemple du mot « billard » pour aboutir au mot « pillard », comme il l’explique dans Comment j’ai écrit certains de mes livres, Aira part d’un point a souvent banal, pour aboutir non pas à un point b – ce serait trop simple chez un auteur qui ne cherche qu’à compliquer les choses - mais au contraire à un point y ou z, impossible à prévoir. Tout l’enjeu sera alors de trouver comment faire tenir l’édifice, un château de cartes qui flirte avec le précipice sans s’effondrer. Comment rendre vraisemblable l’invraisemblable ? Cette question, il l’évoque dans son essai sur Pizarnik (comme souvent chez les écrivains, ses essais consacrés à d’autres auteurs sont également d’excellent guide de lecture de sa propre œuvre). Citant la fameuse phrase qui signa l’acte de naissance du surréalisme - « le cadavre exquis boira le vin nouveau » - il se lance dans un exercice de démonstration par le narratif que toute phrase, y compris la plus improbable peut s’expliquer et donc devenir vraisemblable. Il n’y a rien d’impossible à trouver les raisons qui feront qu’un cadavre aux manières exquises se mettra à boire du vin nouveau. La rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’une table de dissection devient l’opportunité immanquable d’écrire une histoire pour ce fan déclaré de Lautréamont. Il s’agit seulement de savoir la reconstituer.
La question n’est pas le réalisme (même s’il y a nombre d’effets de réels très réussis chez lui), mais la justification de toutes les fantaisies. Inventer, se laisser porter par ce courant réjouissant, est affaire sérieuse, quand bien même on rit, et pas qu’un peu, chez Aira. Lui qui par coquetterie ne cesse de répéter qu’il n’aime pas la littérature humoristique possède comme personne le sens du détail loufoque. Il commence d’ailleurs un de ses romans en se plaignant amèrement de ce sempiternel commentaire que lui font ses lecteurs : « qu’est-ce que j’ai rit ! », comme si ce rire cachait la forêt de l’invention poétique qu’il ne cesse de déployer, aux grandes qualités visuelles. Mais peut-être ne s’agit-il pas entièrement d’une coquetterie : l’humour est trop dépendant de l’effet qu’il va provoquer, qui peut très bien ne pas se vérifier, comme lorsque qu’on fait un flop en racontant une blague et que tout le monde se regarde d’un air gêné. Aira se méfie de l’effet comme de la peste, c’est pour lui le degré zéro de la littérature. Ecrire des histoires entièrement construites autour d’un effet de surprise final, très peu pour lui. Sans doute est-ce pour cela que nombre de ses romans ont des fins précipitées, comme si l’auteur en avait un peu marre et voulait passer rapidement à autre chose ; une nouvelle idée pour un autre livre, probablement. Les siens ont la beauté de l’imperfection, seul compte le trajet.
Comme un sale gosse qui sait combien il est malin, Aira n’aime rien plus que mettre les pieds dans le plat des conventions ronronnantes du littéraire. Il critique des auteurs intouchables comme Cortázar (« le meilleur Cortázar est un mauvais Borges », affirmera-t-il dans une interview qui fit grincer bien des dents). Il dénonce les clichés du roman car raconter, selon lui, c’est aller en permanence contre les attentes du lecteur, et probablement aussi contre les siennes propres, histoire de ne pas s’endormir sur le matelas trop moelleux des lauriers inévitablement accumulés. Il affirme préférer toujours la nouveauté à la qualité, rejette l’idée des romans « sur » quelque chose, dit qu’il ne se documente pas et invente tout, affirme qu’il n’écrit ses phrases que « parce qu’elles sonnent bien »… Bref, il n’hésite pas à jeter à la poubelle ce que 99% des gens appellent la littérature. Mais c’est qu’il se propose autre chose : considérer que la littérature, pour aussi vieille qu’elle soit, peut encore s’inventer ici et maintenant ; se lire avec les yeux écarquillés d’une enfance renouvelée. Et réussir l’improbable pari de concilier Jules Verne et Marcel Duchamp sur la table de dissection d’un vertige narratif appelé à ne jamais cesser de croitre.