Brexit : le Royaume-Uni partagé entre le camp du Leave et celui du Remain

Publié le 20 juin 2016 par Délis

L'assassinat de la députée travailliste Jo Cox, fervente partisane du maintien du Royaume-Uni dans l'Union Européenne, a profondément choqué l'opinion britannique. A quelques jours de la tenue du référendum sur le Brexit, cet événement sera-t-il à même de modifier le rapport de force, de plus en plus favorable au camp de la sortie de l'Europe depuis quelques semaines ? Parviendra-t-il à mobiliser le camp du maintien, dont la base électorale est plus friable ? Et en cas de Brexit, quelles seraient les conséquences sur la vie politique du pays ?

Une poussée favorable au Leave en fin de campagne

Malgré une grande volatilité, les sondages ont donné un certain avantage au camp du maintien ( Remain) depuis le début de l'année 2016. Toutefois, depuis le début du mois de juin, le camp de la sortie ( Leave) effectue une véritable percée ( cf. graphique 1). Ainsi, plusieurs enquêtes ont récemment donné une large avance aux opposants à l'Union Européenne : 5 points selon l'institut ICM, 7 points selon TNS BRMB, 10 points pour ORB et même 20 points pour un nouvel institut, Qriously. Toutefois, les jeux sont loin d'être faits, d'autres sondages donnant toujours un résultat très serré, voire une égalité entre les deux camps.

L'évolution des sondages depuis le début de l'année 2016

Surtout, l'assassinat de Jo Cox jeudi dernier pourrait avoir contribué à remobiliser les partisans du maintien du Royaume-Uni dans l'Europe. Les sondages les plus récents indiquent ainsi un nouveau resserrement des intentions de vote : selon l'institut Survation, le camp du Remain a gagné 3 points à 45% depuis le meurtre, contre 42% (-3 points) pour les partisans du Leave. La dernière enquête YouGov va dans le même sens, avec un Remain (44%, +2 points) et un Leave (43%, -1 point) à nouveau à égalité. Une tendance qui reste toutefois à confirmer dans les prochains jours.

Une autre incertitude pèse sur la campagne : celle de la fiabilité des sondages. Très décriés pour avoir été incapables d'annoncer la reconduction de David Cameron l'an dernier, les études d'opinion présentent cette année des résultats très différents selon la méthodologie employée. Les sondages réalisés par téléphone ont en effet tendance à donner des résultats beaucoup plus favorables au maintien du Royaume-Uni dans l'Europe que ceux effectués auprès de panels sur Internet ( cf. graphique 2).

La différence entre les partisans du maintien dans l'Europe selon la méthodologie des sondages

Plusieurs pistes d'explications ont été avancées. Les premières mettent en avant les difficultés croissantes des instituts de sondages à obtenir des échantillons parfaitement représentatifs de la population. Certains estiment que les enquêtes par téléphone comptent trop de diplômés, plus enclins à favoriser le Remain. D'autres jugent que les enquêtes par téléphone parviennent difficilement à joindre les jeunes, et qu'au contraire les enquêtes en ligne captent des électeurs âgés peu représentatifs de leur classe d'âge.

Un autre type d'explication réside dans la prise en compte des indécis dans les sondages. Alors qu'une option est offerte aux personnes incertaines dans la plupart des sondages en ligne, ce n'est généralement pas le cas pour les sondages téléphoniques. Or, certaines expérimentations ont montré que les partisans du Remain sont plus enclins à ne pas se prononcer quand cette possibilité leur était offerte, sous-estimant d'autant leur poids dans les enquêtes réalisées sur Internet.

Enfin, certains estiment que le fait de se prononcer en faveur du Brexit serait moins acceptable socialement. Les sondages en ligne capteraient alors mieux la réalité de l'électorat, car face à un enquêteur téléphonique, une partie des partisans du Leave n'oseraient admettre leur choix.

Reste que rien ne permet de dire à ce stade quelle méthodologie sera la plus proche du résultat final, mais cette différence entre les sondages accroît l'incertitude à quelques jours du scrutin.

Les raisons du choix

Bien que le débat public ait largement porté sur l'immigration qui, comme en France, est désormais au Royaume-Uni un enjeu structurant des clivages politiques, le choix des électeurs se fera avant tout sur des thématiques économiques. Selon un sondage ComRes, c'est avant tout " le futur de l'économie britannique " (76%), " l'avenir du NHS (le système de santé) " (74%) et " ma situation financière et celle de ma famille " (72%) qui détermineront le choix des électeurs. L'immigration (59%) est un sujet plus secondaire, même s'il est plus important aux yeux des catégories populaires (66%) et même primordial aux yeux des électeurs de l'UKIP (89%).

un électorat profondément divisé

La campagne a mis en lumière de profondes divisions de l'électorat britanniques. Le clivage générationnel joue un rôle important, mais en sens inverse à celui que les sondages mettent en lumière de ce côté du Channel. Alors qu'en France, ce sont les seniors qui sont les plus favorables à l'Europe et les jeunes les plus sceptiques, la situation est inversée au Royaume-Uni. Selon les différents instituts, les jeunes vont massivement se prononcer en faveur du Remain (aux alentours de 60%), les plus âgés choisissant le camp du Leave dans des proportions similaires. Le niveau de l'abstention risque donc d'être un facteur déterminant du scrutin : une faible mobilisation des jeunes, structurellement plus enclins à l'abstention, risquerait d'être fatale aux partisans du maintien dans l'Europe.

On retrouve aussi une nette fracture sociale, reflétant les perceptions divergentes à l'égard de l'Union Européenne entre les " gagnants " et les " perdants " de la mondialisation. Les catégories moyennes et supérieures se prononcent pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union Européenne, là où les catégories populaires choisissent le Brexit.

Politiquement, les clivages sont aussi très nets. Les sondages montrent que l'électorat conservateur est très divisé, ce qui ne sera probablement pas sans conséquences pour le futur du gouvernement de David Cameron, quels que soient les résultats du référendum. En revanche, les électeurs travaillistes se prononcent en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'Europe à hauteur d'environ 60%, malgré le manque d'enthousiasme de Jeremy Corbyn. Quant aux libéraux-démocrates, dont le parti a fait de l'intégration européenne un de ses principaux chevaux de bataille depuis plusieurs décennies, ils voteraient pour le Remain à plus de 70%, de même que les électeurs nationalistes Écossais et Gallois. A l'inverse, le camp du Brexit est alimenté par les sympathisants de l'UKIP, dont la quasi-totalité voterait en concordance avec les consignes de son leader Nigel Farage.

Enfin, les enquêtes d'opinion dévoilent aussi un fort clivage géographique. Les habitants du Grand Londres, dont les emplois dépendent plus souvent de secteurs très intégrés à la mondialisation économique, se prononcent nettement pour le Remain. Les autres régions de l'Angleterre sont plus favorables au Brexit : le sud, riche mais très conservateur, et le nord, pauvre et travailliste, semblent légèrement favoriser le Leave. Enfin, même si les nationalistes Écossais comme Gallois promettent une crise constitutionnelle en cas de départ de l'Union, les électeurs de la " ceinture celtique " semblent plus favorables au Remain. Une option très largement choisie en Écosse, une région relativement aisée et dont l'économie régionale est très intégrée aux circuits de la mondialisation. En revanche, le Pays de Galles, vieille région industrielle frappée de plein fouet par la crise, est plus partagée, mais reste moins favorable au Leave que le pays dans son ensemble.

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En cas de sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, les conséquences risquent d'être majeures pour le pays. Au-delà des conséquences économiques, largement débattues pendant la campagne, la vie politique britannique sera aussi profondément affectée par un Brexit. Les 140 députés conservateurs qui soutiennent le Leave pourraient demander la tête de David Cameron et son remplacement par l'ancien maire de Londres Boris Johnson - une option qui risque fort d'être rejetée par les 174 députés Tories favorables au Remain. Au point d'aboutir à une scission du parti conservateur ?

D'autre part, un Brexit pourrait conduire à un nouveau référendum sur l'indépendance de l'Écosse. Farouchement opposée à la sortie de l'Union Européenne, la Premier Ministre écossaise Nicol Sturgeon a fait planer cette menace, d'autant plus crédible que près de 60% des Écossais se rangent dans le camp du Remain. Dans cette hypothèse, les enquêtes d'opinion les plus récentes indiquent que les opposants à l'indépendance restent majoritaires, mais à seulement quelques points prêt. Il n'est donc pas totalement inenvisageable qu'un Brexit conduise, à terme, à l'intégration d'un nouveau membre dans l'Union Européenne.