Illustration par @Luaurentt
Le train grande vitesse n°6123 roule en direction du Sud. Côté fenêtre place 84, le monsieur cheveux blancs lunettes cerclées, mine débonnaire, tient calée sur sa bedaine une bande dessinée. L'homme qui tua Lucky Luke. Il caresse chaque page qu'il a lue et tapote ses lèvres d'un air pénétré. Devant moi, la place 95 persiste à vouloir caler son téléphone contre une petite bouteille d'eau minérale. Elle vit sa vie de cylindre couché sur le flanc et roule. Il insiste. Elle roule encore. La dame à droite de Lucky Luke humecte son doigt toutes les trois pages de son hebdomadaire. Le jeune homme la vingtaine place 91 scrute les ingrédients sur le pot en plastique de la mousse au chocolat d'une marque bobobranchouille qu'il a rapportée de la voiture-bar. Gentiment chamailleur, il porte la dernière cuillère aux lèvres de son amie. Ils chuchotent un peu de portugais et rient sous cape. Le lecteur de Fred Vargas, à la place 93, snobe le sublime arc-en-ciel qui traverse le paysage de part en part. Le couple d'amoureux pointe du doigt le commencement et la fin du phénomène qui peinturlure le ciel. L'homme de la 84 jette Lucky Luke et s'empare de son Nikon pour immortaliser l'épisode en technicolor. En vain. Furtif et magnifique arc-en-ciel qui s'évapore sous la soudaine averse. Le train grande vitesse n°6123 fend la pluie à l'approche d'Avignon. J'abandonne un temps l'observation impudique de mes voisins et me plonge dans la lecture du monde en bande dessinée.
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