Dans le cadre de mon précédent billet consacré à la segmentation des marchés financiers au sein de la zone euro, j'avais évoqué brièvement les problèmes insolubles auxquels la zone euro (et plus généralement l'UE) fait face. L'une de ces difficultés est la volonté déclinante du Royaume-Uni à poursuivre l'aventure commune en Europe...
La politique économique du Royaume-Uni
Disons-le d'emblée, la politique économique du Royaume-Uni n'est que très peu coordonnée avec celle de la zone euro :
* la politique budgétaire n'est pas soumise aux mêmes règles que les autres États membres de l'UE (en particulier le Royaume-Uni n'a pas signé le Pacte budgétaire européen TSCG) et cela finit par se voir !
[ Source : Natixis ]
* la politique fiscale est devenue un véritable outil pour concurrencer les autres pays de l'UE, en particulier depuis que George Osborne, chancelier de l'Échiquier du royaume, a annoncé une baisse de l'impôt sur les sociétés de 20 % à 17 % dès 2020, afin d'attirer les multinationales.
[ Source : MEDEF ]
* la politique monétaire est évidemment différente de celle de la zone euro, puisque le Royaume-Uni dispose encore du pouvoir régalien de battre monnaie.
[ Source : Natixis ]
À cela, pour bien comprendre les enjeux du Brexit, il faut ajouter que le Royaume-Uni a une industrie de petite taille, mais compensée par des exportations de services de grande taille (pas que financiers du reste, mais tout de même). Au total, les estimations économétriques laissent entrevoir qu'une hausse des droits de douane ne serait pas insurmontable pour la croissance du pays.
La promesse de campagne
David Cameron avait promis en 2013 d’organiser un référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE, dans le but de remporter les élections législatives face au parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip) et aux eurosceptiques de son propre camp. Il s'est donc retrouvé à devoir honorer cette promesse après sa victoire, alors même qu'il avait réussi à négocier un plan anti-brexit très avantageux avec ses partenaires européens en février 2016.
Les deux camps en présence sont les suivants :
[ Source : Ouest France ]
Le référendum
Le 23 juin 2016 sera organisé un référendum sur la sortie (Brexit ou British exit) ou non du Royaume-Uni de l'Union européenne auquel participeront les Britanniques résidant au Royaume-Uni, mais aussi fort opportunément les Irlandais et entre autres les citoyens du Commonwealth résidant au Royaume-Uni ou à Gibraltar. L'enjeu est évidemment inédit, car en dehors de la Grèce qui joue depuis 2010 à chat perché avec l'UE, aucun gouvernement n'a jamais affiché une quelconque volonté de quitter l'UE.
D'ailleurs, une telle sortie n'a guère fait l'objet que d'un tout petit article du Traité sur l'UE, tant elle paraissait hors de propos.
Art.50 TUE :
1) Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.
2) L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.
3) Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.
4) Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l’État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent. La majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
5) Si l’État qui s’est retiré de l’Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l’article 49.
Faut-il du reste rappeler qu'avant celui de Lisbonne, les traités ne prévoyaient même pas de retrait volontaire ? En bref, la doctrine considérait qu'une fois à bord du navire UE, vous n'aviez plus la possibilité unilatérale de le quitter...
Toujours est-il que d'après les derniers sondages, les deux camps sont donnés au coude-à-coude :
Mais attention, de nombreux biais subsistent dans ces sondages, de sorte que l'issue de ce référendum dépendra avant tout du taux de participation.
Les conséquences d'un Brexit
Les grandes institutions économiques (Trésor britannique, OCDE, FMI, BoE,...) font assaut de publications économiques pour prouver le danger d'un Brexit. Leur argumentaire se fonde sur l'hypothèse qu'une sortie de l'UE conduirait à un recul marqué du commerce du Royaume-Uni et des investissements directs étrangers entrants, donc à une amputation significative de la croissance :
[ Source : OCDE ]
Ce ralentissement pèserait également sur ses partenaires commerciaux, comme le montre cette étude d'Euler Hermes :
[ Source : Euler Hermes ]
Quant à la City de Londres, elle serait frappée de plein fouet par le Brexit, puisque les filiales d’entreprises du secteur financier installées à Londres n’auraient plus accès au financement en euros offerts par la BCE et ne pourraient plus compter sur le passeport européen pour vendre leurs produits financiers dans toute l’Europe.
Dans le camp des pro-brexit, on avance au contraire que la liberté retrouvée, notamment en matière réglementaire, offrira au Royaume-Uni la possibilité de renégocier des accords bilatéraux plus favorables à sa croissance, dans le cadre d'un libre-échange encore plus abouti qu'aujourd'hui. De plus, le rêve thatchérien atteindrait son paroxysme, en ce sens que le Royaume-Uni ne verserait plus son écot au budget européen dont il reste contributeur net.
Quant aux conséquences pour la finance, elles seraient modérées selon les partisans du Brexit. Ils avancent ainsi l'argument que certes une partie des acteurs financiers quitteraient le Royaume-Uni pour retrouver le continent, mais que la plupart y réfléchiraient à deux fois en raison de la réglementation financière moins contraignante que Londres pourrait offrir après le Brexit. Ne doutons pas que les fonds spéculatifs seraient certainement très intéressés par ce nouvel environnement financier...
En outre, certains affirment, avec raison comme nous l'avons vu plus haut, que le Royaume-Uni a déjà un pas en dehors de l'UE et que sa sortie serait au pire sans grandes conséquences sur son économie. Et ce d'autant que l’élasticité-prix des exportations en volume du Royaume-Uni est très faible et que ses exportations de services sont suffisamment spécialisées pour ne pas être trop affectées par un changement de législation.
Néanmoins, si pour éviter de se retrouver en autarcie, le pays décidait de s'engager dans un accord de libre-échange avec l’UE - ce qui équivaut à dire que le Royaume-Uni intégrerait l'AELE - alors il lui faudrait adopter l'essentiel des réglementations européennes, ce qui semble a priori contradictoire avec un Brexit. Il lui resterait sinon l'option de devenir une nouvelle Suisse, et donc de signer des accords bilatéraux qui prennent cependant beaucoup de temps. À moins que le Royaume-Uni ne se transforme à terme en Singapour européen...
Voici pour finir une infographie qui récapitule les principaux arguments développés par les deux camps :
[ Source : La Croix ]
En définitive, quel que soit le résultat de ce référendum, il est à craindre qu'une ligne de fracture durable demeure entre les deux camps. Le Brexit fut en effet trop présenté sous ses enjeux économiques, laissant ainsi les experts économiques s'appropriaient un peu trop le débat, ce qui a fait oublier qu'il s'agissait avant tout d'une question politique, de souveraineté même !